Chronique | Claude McKay, de Harlem à Marseille de Matthieu Verdeil

Harlem Renaissance

 

Cela fait bientôt un an que ce film de Matthieu Verdeil Claude McKay, de Harlem à Marseille est projeté dans quelques salles d’art et d’essai de la région marseillaise. Consacré à la mémoire de l’écrivain et poète d’origine jamaïcaine, ce documentaire dévoile aussi des pans essentiels de la culture phocéenne contemporaine.

 

 

Le film ne pouvait que prendre une forme artistique, ne serait-ce que par respect pour l’œuvre littéraire et poétique de son sujet. Ainsi de l’usage pertinent de fondus-enchaînés entre les textes en anglais et les performances musicales live, permettant notamment à la lecture du blues archaïque Shake That Thing de prendre vie, en même temps que les mots de l’auteur, sur un fond de live du spectacle «Zou Shake That Thing que Moussu T & Lei Jovents donnèrent avec la performeuse américaine Arlee Leonard en 2012. Ainsi également du séquençage clipesque de la lecture d’un poème sur fond d’images de la Harlem Renaissance, ce mouvement artistique d’émergence d’une culture afro-américaine émancipée dont McKay fut l’un des chantres au début des années 1920. L’usage du split-screen est également le bienvenu, permettant d’établir un parallèle entre la musique originale composée par le « Big Hop Swing & Friends », permettant d’apercevoir quelques musiciens de jazz les plus en vue de la place de Marseille (mention spéciale à Lamine Diagne, qui, en plus d’être un redoutable saxophoniste et flûtiste, est aussi un lecteur d’exception de l’œuvre de McKay), en même temps que des plans d’archive de la ville où l’auteur composa l’immense roman Banjo et le très émouvant Romance in Marseille — récemment publié en français chez Héliotropismes, grâce aux bons soins notamment d’Armando Coxe, inlassable découvreur de l’œuvre du romancier et poète. Par tous ces procédés, le réalisateur évite justement l’écueil d’une patrimonialisation à outrance de cette dernière, la rendant plus accessible que jamais, par une approche sensible à souhait.

On ne peut évidemment guère séparer la forme du fond. Et c’était là une gageure pour Matthieu Verdeil, dont le domaine de prédilection filmique est le secteur artistique et culturel — il travaille notamment avec l’artiste performeur Abraham Poincheval. Comment mettre à l’écran une œuvre et une vie aussi foisonnantes que celle de Claude McKay ? Le réalisateur explore les ressorts de la créativité de ce dernier à l’aune des pans de sa biographie. Le séjour à Marseille, évidemment, occupe une place non-négligeable dans ce documentaire, avec, bien sûr, des extraits de films (Marius de Pagnol évidemment mais aussi Justin de Marseille de Maurice Tourneur), mais également des gros plans sur quelques tableaux iconiques (Marseille vue de l’Estaque par Cézanne pour illustrer les baignades de Mc Kay !), ou encore des photos du prolétariat de la ville au travail sur les docks ou en goguette à la Joliette. Le tout sur fond de lecture et de rappels du contexte par des experts en littérature caribéenne (Hélène Lee, grande experte du reggae également) ou plus généralement afro-américaine, voire jazz (« Claude McKay, c’est celui qui nous permet d’affirmer que Marseille c’est la ville jazz par excellence », déclare Raphaël Imbert).

Bien évidemment, la portée politique de la vie et de l’œuvre du romancier et poète n’est pas ignorée. De sa jeunesse jamaïcaine où il décide de devenir une voix des sans-voix pour le prolétariat insulaire, à sa vie à New York où il n’a de cesse de pourfendre le racisme (à travers le poème If We Must Die, consacré aux émeutes de 1919, au cours de laquelle des centaines de noirs furent assassinés lorsque, suite à la Première Guerre mondiale, ils réclamaient l’égalité des droits après avoir été en première ligne lors de la grande boucherie européenne), en passant par son séjour en Union Soviétique naissante (il fut véritablement une icône black pour les bolchéviks), jusqu’à sa dénonciation littéraire du racisme français vis-à-vis des noirs issus des colonies… sans ignorer sa liberté sexuelle assumée. Des propos somme toute très actuels, qui résonnent encore quand les migrants sont stigmatisés par les tenants de l’idéologie nauséabonde du « grand remplacement » (qui fait des ravages en Europe), ou quand les droits des femmes et des personnes LGBTQ font l’objet de trop de rejets… Ce film nous montre bien que l’œuvre de Claude McKay est une œuvre de combat pour l’émancipation du genre humain.

 

Laurent Dussutour

 

Claude McKay, de Harlem à Marseille de Matthieu Verdeil : le 7/10 au cinéma Le Gyptis (136 rue Loubon, 3e), en présence du réalisateur.

Rens. : https://cinemalegyptis.org