Marius et Fanny de Vladimir Cosma

Marius, Jazzy et César

 

 

L’opéra jazz proposé par Marseille Jazz au Silo repose sur l’incontournable trilogie marseillaise Marius/Fanny/César, dont les tirades font partie d’un patrimoine devenu universel. Adaptée en opéra, la pièce de Vladimir Cosma, simplement intitulée Marius et Fanny, repose sur l’histoire d’amour entre les deux protagonistes, afin de clôturer en beauté 2018, décrétée « année de l’amour ».

 

Étrange tout de même, le rapport de Pagnol au jazz. Pendant qu’un Claude McKay célébrait les sonorités bluesy dans les bas-fonds de la cité phocéenne (Banjo, 1929), rendant hommage à la plèbe qui les peuplait, le futur académicien donnait au jazz les atours d’une musique quasiment dégénérée (« la joie animale du jazz »), entretenant les poncifs racisés qui accompagnaient l’émergence de cette musique dans l’hexagone (cf. Jazz, en 1926, qui n’a d’ailleurs que très peu de rapport avec la musique). C’est dans la foulée de cette dernière pièce que celui qui devait devenir le monument littéraire que l’on connaît écrivit sa fameuse trilogie. Celle du « petit peuple marseillais ». Vraiment ? On se doute que Vladimir Cosma a pris soin d’ignorer l’ignoble scène dite « de l’Arabe » dans Marius, dont le racisme virulent a été soigneusement effacé de la version encore disponible (scène présente sur la version originale de 1926, absente de l’édition définitive de 1974). Peut-être ne la connaît-il même pas, comme beaucoup. Ouf.

Espérons alors que l’opéra jazz de Vladimir Cosma, le fameux compositeur de musiques de films, et véritable homme de jazz, rende honneur à la part d’humanité la plus émouvante de l’œuvre pagnolesque. Le chef d’orchestre avait déjà donné un opéra intitulé Marius et Fanny au mitan des années quatre-vingt-dix dans un registre classique. Ici, il s’agira de swinguer et l’homme a de la ressource en la matière. Des bleus à l’âme de Marius et Fanny (faut-il vraiment raconter l’histoire ici ?) aux notes bleues, il n’y a qu’un pas. Avouons qu’il bénéficie d’un entourage musical des plus convaincants. Pour l’orchestre, rien de moins que l’immense NDR Big Band de Hambourg, l’une des plus puissantes machines à swing de la planète. Pour les personnages, pas de caricature pagnolesque, mais parmi les cats les plus convaincants de l’univers jazz hexagonal et même au-delà. Hugh Coltman (Marius), le contre-crooner dont on sait l’authenticité musicale, donnera la réplique au « vocalchimiste » béarnais André Minvielle (César), dont les performances vocales véritablement chamaniques devraient retourner le Silo. Le tout enrobé par la profondeur suave de la voix de Tom Novembre (le narrateur), et enlevé par les volutes de la soprano Irina Baïant (Fanny). Ajoutons à ces fondus de la voix le chœur des Voice Messengers, dont le sens du swing n’a pas d’égal dans le monde du chant choral, et l’on n’aura plus qu’à trémousser son tafanari.

L’on n’en attend pas moins une vraie dédicace à la plèbe phocéenne d’aujourd’hui. Puissent les souvenirs des martyrs de Noailles et de Madame Zineb Redouane guider les interprètes et leur chef d’orchestre dans une sarabande pour la dignité.

 

Laurent Dussutour

 

Marius et Fanny de Vladimir Cosma : les 20 et 21/12 au Silo.

Rens. www.silo-marseille.fr