Merde à Shakespeare de Henri-Frédéric Blanc

Littérature d’ici

Du bon manger pour les neurones

 

Bonne nouvelle en ce début d’année agitée, la littérature va bien !

Lecteurs du dernier Musso ou du énième Marc Levy, passez votre chemin. On s’adresse ici au bouquineur responsable, celui qui aime à consommer les mots à peine cueillis, qui privilégie le cycle court et la production locale. Mais attention, une provenance locale n’exclut pas une portée universelle, et pour réfléchir en bonne santé, il est conseillé de lire varié.

 

Ne le dites pas en alsacien

L’Alsace a sa légende et n’en est pas peu fière. Il faut dire que sous prétexte de jouer simultanément de trois ou quatre instruments, l’homme-orchestre est devenu en la matière ce que Frigidaire est au réfrigérateur, la référence absolue.

Peuchère, mieux vaut en sourire, laissons à nos amis du Grand Est toutes leurs illusions car dans la catégorie touche-à-tout, nous possédons ce qui se fait de mieux, la Rolls Royce des Frigidaires : Médéric Gasquet-Cyrus. Ça un peu plus de gueule que Rémi Bricka !

Là où ce dernier se contente d’empiler un banjo sur un harmonica sur une cymbale à pied pour finir avec un flutiau andin, notre polyvalent à nous fait dans le vrai varié, le pour de bon différent, le rien à voir, c’est l’homme cafoutch !

Jugez du peu : auteur, acteur, éditeur, universitaire, animateur de radio, dresseur de génie atrabilaire, vétérinaire spécialisé dans la chirurgie vasculaire de l’Esque molle (de loin la plus emmerdante), mannequin pour tee-shirts de djeuns et en toute circonstance modeste et bon camarade.

Son truc à lui, c’est le mot, son origine, ses sens, sa prononciation, sa plasticité, sa capacité à se fondre en une expression, son pouvoir d’évocation plus un tas d’autres ficelles qu’il tire de droite et de gauche pour faire parler le verbe.

Dites-le en marseillais est le parfait moyen d’appréhender le phénomène, une compilation de vingt ans de chroniques sur Radio France Provence, au gré de l’actualité et de son humeur du jour, ou comment apprendre un tas de choses en se bidonnant un maximum. On y saura presque la différence entre « goper » et « agoper », on sera à deux doigts de savoir ce qu’est vraiment un « ratamar » et la « mafritude » nous livrera (presque) tous ses secrets. De petites tranches de lecture gouleyantes à s’envoyer façon tapas ; on pioche au hasard et on se régale, un vrai pain surprise, bon appÈtit !

LC

Dites-le en marseillais de Médéric Gasquet-Cyrus (Éditions Le Fioupélan / 19,50 chez tous les bons libraires)

 

 

Serial Cambronne

Les Éditions Titanic-Toursky (une des nombreuses tentacules de l’association des amis de Richard Martin (1) ) nous proposent régulièrement La Revue des Archers consacrée à mettre en avant une littérature et une poésie engagées et exigeantes auxquelles les circuits « officiels » n’offriraient aucune visibilité. Des poèmes et des textes surtout, mais quand le jeu en vaut la chandelle, le pari peut aller jusqu’à l’accouchement de jolis petits bébés d’encre et de papier.

Dernière cuvée en date, deux petits bijoux d’humour décapant.

Pour respecter la chronologie historique, commençons par Merde à Shakespeare de Henri-Frédéric Blanc. On est ici en plein théâtre, dans tous les sens du terme : un homme seul en scène va nous parler du célébrissime dramaturge anglais. Problème : HFB est dans sa tête et lui dicte son texte, alors fatalement, ça dérape et ça bouscule. Notre conférencier va donc progressivement lâcher toute sa rancœur à la face de l’icône dans une diatribe absolument jouissive.

Deuxième petit nouveau, Merde à Duchamp de Jean-Pierre Cramoisan. Là aussi, la destination est dans le titre. C’est donc l’art contemporain qui va en prendre plein la gueule. À travers un panorama érudit, de Duchamp à Koons, l’auteur distribue en effet les baffes à la chaine et démonte le bizness avec une férocité chirurgicale. Une pure bénédiction pour tous ceux qui ont rêvé de visiter un jour la FIAC en tractopelle.

Dans un cas comme dans l’autre, la volonté affichée est de renouer avec une littérature de combat. Et, incontestablement, le but est atteint : voilà deux beaux flingues (calibre culturel) qui font mouche et vous mettent la banane tout en vous enrichissant le citron.

Manifestement, et n’en déplaise à tous ces cons d’icebergs, le Titanic flotte encore.

LC

Merde à Shakespeare de Henri-Frédéric Blanc et Merde à Duchamp de Jean-Pierre Cramoisan (Éditions Titanic-Toursky. 10 €). En vente sur www.lalibrairie.com/livres/editeurs/titanic-toursky,0-739013.html

 

Zoé l’hybride

Rajouter un volet à la trilogie de Pagnol ? L’opération pouvait paraitre risquée, pour ne pas dire « kamikazesque ». L’Overlittérature se devait de relever ce défi.

À tout seigneur tout honneur, le roi lui-même s’y est mis, Gilles 1er l’Excessif a lâché le sceptre et pris la plume.

L’exercice est aujourd’hui à la mode et les préquelles se multiplient comme des petits pains, de l’enfance d’Obélix à la première échographie du binoclard magicien, de la jeunesse de Mathusalem à la vieillesse de Peter Pan, les possibilités sont sans fin. Mais là, on touche au sacré, au biblique. Déjà Pagnol… mais la trilogie, c’est carrément de l’emblématique, le type parfait de l’exercice casse-gueule. Il ne s’agissait là après tout que de prolonger un chef-d’œuvre.

« Zoé, c’était une petite fille très jolie, très coquette et qui ne pensait pas à mal. » C’est à peu près tout ce que nous en dira Marcel Pagnol par la bouche d’un César tout en émotion retenue (cette pudeuuur que l’immense Raimu avait su élever au rang d’art).

Et pourtant, son ombre plane sur toute la trilogie, son triste et mystérieux destin promis à son insouciante nièce, puis éloigné « grâce » au libidineux scénario Panisse, jusqu’au retour de Marius, toujours apte à faire resurgir la Zoé qui sommeille en Fanny…

On sent bien, au peu qu’on nous en dit, que l’affaire tient du secret de famille. Personne ne va plus loin que l’allusion fugace et le sujet semble avoir laissé un goût amer à plus d’un.

Cette histoire, Gilles Ascaride va nous la donner à connaitre par la bouche de Zoé elle-même : l’envers du décor en somme, la pièce qu’il manquait au puzzle pour que tout s’éclaire.

Le résultat va au-delà des espérances, le style de l’auteur est bien là sans qu’à aucun moment celui du grand Marcel ne soit trahi. Une petite prouesse (une soixantaine de pages) qui procure un plaisir immense. N’ayons pas peur des mots, Zoé est un chef-d’œuvre.

Saluons au passage cette nouvelle contribution de l’Overlittérature à l’aération du paysage littéraire français. Le Fioupélan joue une fois de plus son rôle d’éditeur, soit la parfaite combinaison d’audace et de flair.

Certaines grosses enseignes de la culture auraient fait la fine bouche, qualifiant l’ouvrage de trop « local » ! Comme quoi, s’il peut arriver au talent de venir de « quelque part », la connerie, elle, reste universelle.

LC

Zoé de Gilles Ascaride (Éditions Le Fioupélan. 10 € chez tous les libraires dignes de ce nom)

 

 

 

 

Notes
  1. Directeur de l’emblématique Théâtre Toursky.[]