A’Alehom d'Alexandre Paulikevitch © Patrick Baz

Retour de Scène | Les Rencontres à l’Échelle #16

Les ponts des arts

 

Covid oblige, la quinzième édition avait dû être annulée à quelque jours de la date de la première. C’est donc peu dire qu’on s’impatientait en attendant le seizième cru des Rencontres à l’Échelle, faisant suite au Focus Africa2020 qu’on a vu passer à l’été naissant. Nous allions à l’inconnu vers ces noms qui ne nous parlaient pas. Et ils nous ont parlé.

 

 

Le mois de novembre, à Marseille. Il pleut. L’hiver arrive. Et pourtant, pour notre plus grand bonheur, les expériences vécues ici dans le noir des salles nous auront fait vivre le bonheur de se retrouver au chaud de nos cœurs connectés à leurs engagements, à l’engagement de ces artistes venus d’ailleurs, loin de ce « chez nous » dont on ne saura plus à la fin du festival ce qu’il est encore.

Dans une palette incroyable d’esthétiques, d’univers, d’horizons et de pratiques, on pourrait dire que ce qui a fait le fil conducteur de cette programmation clairement réussie a été la rencontre d’hommes et de femmes de lettres, de plateaux, de danse, d’images, tous réunis pour mettre en perspective ce que l’histoire nous racontait de nous-mêmes. En conviant comme à son habitude des artistes venus d’Afrique, d’Europe et du Moyen-Orient, les Rencontres à l’Échelle ont fait se nouer des relations, ont établi des ponts entre les regards que nous (et eux-mêmes) portions sur leurs histoires.

Si la rage désordonnée et ô combien légitime d’Yves Mwamba (Voix intérieures) ne nous a esthétiquement pas convaincus en ouverture du festival, la suite s’est révélée au-delà de nos attentes — pourtant hautes — quant au traitement de ces sujets si importants que sont la colonisation, la guerre, l’indépendance et l’émancipation. On saluera particulièrement la justesse de la composition des soirées, venue confirmer la maîtrise de Julie Kretzschmar en dramaturge éclairée de son propre festival, véritable organisatrice d’une montée en tension de nos intellects un peu trop assoupis par l’occidentalité de nos sources.

Bien sûr, nous n’avons pu tout voir, tant la programmation s’est avérée dense sur les trois courtes semaines du festival. Mais on peut dire qu’on a particulièrement été émus, tout comme le public réuni ce soir-là, par l’instrospection enjouée et profondément sensible de deux actrices libanaises, Hanane Hajj Ali et Randa Asmar, stars sur le déclin, jubilant au plateau sur fond de guerre, de vies de femmes sur un front Beyrouth Est/Ouest (Augure, mise en scène de Chrystèle Khodr).

Dans une toute autre veine, plus performée, on s’amuse, on s’étonne et on se nourrit aussi sérieusement du parcours initiatique jubilatoire de Salim Djaferi, presque seul en scène, à la recherche d’une sémantique autour du mot Koulounisation, nom que sa mère donnait pour désigner l’occupation des Français sur le territoire algérien. Salim Djaferi nous emmène dans ses pérégrinations, de son HLM de banlieue parisienne au bled d’Algérie en passant par Bruxelles où il vit désormais, grâce à cette langue qu’il découvre et nous dévoile. Au fil de ses histoires, faisant preuve d’une exigence sérieuse tout autant linguistique que plastique, il nous emmène à la croisée des histoires, le tout sur un tempo des plus rafraîchissants.

Côté écriture, la soirée composée à Montévidéo nous aura emmenés, sur fond mêlé de politique et d’intime, de l’écriture douce de Kaoutar Harchi (Comme nous existons) à la rage exorcisée et percussive du Sensible de Nedjma Kacimi, premier livre et véritable coup de poing.

La danse ne fut pas en reste, qui, d’une proposition à l’autre, nous dévoila un coming out pudique et noir des existences masculines égyptiennes (The Love behind my eyes d’Ali Chahrour), une performeuse solide et troublante en la personne de Khouloud Yassine (Heroes) et un point d’orgue de la programmation avec Alexandre Paulikevitch, magnifique étoile du cabaret libanais transgenre (A’Alehom).

Il en reste que le transfuge de classe, grille de lecture si chère à certains de nos confrères occidentaux, ne sera pas ici de mise pour apprécier la polymorphie de cet organisme bel et bien vivant que sont devenus ces Rencontres, dans un élan émancipé et émancipateur de nos consciences. Bien sûr, beaucoup reste à faire, avant que de changer le monde. Mais le petit grain de sable s’est mis sous nos semelles et nous fera avancer, en meilleure conscience des trames qui se jouent au-dessus de nos têtes.

Pour l’heure, avant de prendre vos places pour la prochaine édition, vous pourrez toujours vous appuyer sur les mots des écrivains invités ou surprendre votre regard à l’exposition encore visible à la Friche, Mon ami n’est pas ici. Tout un programme (encore) !

 

JS

 

 

Les Rencontres à l’Échelle étaient présentées du 9 au 28/11 à Marseille.

Rens. : www.lesrencontresalechelle.com/