Bibi Ahmed 4tet © pixxxo

Les 150 ans de l’Embobineuse et de Data

Soyez sympas, rEmbobinez !

 

Le 15 novembre sera lancée l’attendue célébration des quinze ans de Data et de l’Embobineuse. Au programme, deux jours de festivités qui marquent de manière emblématique et symbolique la vie de ces deux structures, et surtout leur survie dans un contexte de politique culturelle parfois compliqué. Nous avons rencontré les membres de ces lieux phares de la vie musicale souterraine marseillaise et fait un tour de scène de ce qu’elles ont été, sont et projettent de continuer à proposer dans l’énergie, le don de soi et l’envie vibrante qui transcendent chacune des personnalités de ces salles devenues cultes.

 

Nées toutes deux en 2004, les associations se sont très rapidement rapprochées et continuent chaque année de proposer des événements communs tels que les festivals Enfin Seule, Variétés Expérimentales ou encore Vendetta (dont la prochaine édition aura lieu dans un mois). Rapidement, à la fondation des structures, nombre de programmations, d’ambitions, d’esthétiques et même d’affiches sont communes. « Quinze, ce n’est pas un chiffre rond, mais ça marque que les deux structures existent encore malgré leur fragilité, c’est quasiment un exploit de continuer à avancer », explique Damien Morel, membre actif des deux entités depuis leurs débuts. « Ce sont des histoires de fragilité avec une volonté qui marche avant tout sur le désir. » Il faut rappeler que dans ces salles, rien ne serait possible sans la participation d’une équipe infatigable de bénévoles œuvrant avec passion à la vie de ces dernières et à la diffusion de spectacles et de concerts. Il y a une véritable « abnégation liée à la volonté de tenir des lieux face à la réalité politique avec ou sans subventions, souligne Marius Champion, de l’Embobineuse, qui rappelle que s’il n’ y a plus de gens ou plus d’énergie, ça ne tient plus. » « Les deux structures sont sœurs, cousines, incestueuses, les deux navires continuent à voguer côte à côte, et ce n’est pas rien car que la tempête est grosse », ajoute Damien, de sa jolie verve de prof. L’ambition politique est la même : diffuser spectacles et concerts qui seraient invisibles à Marseille sans ces salles, à des tarifs de lieux subventionnés alors qu’elles n’en ont que peu voire pas du tout (Data). « Ce n’est pas une économie misérabiliste mais bien l’envie de ne pas discriminer au portefeuille », précise Marius. Proposer des artistes du monde entier à des tarifs, à l’entrée comme au bar, raisonnables, tel est le leitmotiv du binôme, qui est conscient que le public les « aime aussi pour ça ». L’implantation en milieux difficiles ou populaires est également inhérente aux deux salles. Alors que l’ancienne usine de bobinage de moteurs électriques qu’est l’Embobineuse bat en plein cœur du quartier très populaire et chargé d’histoire de la Belle de Mai, Data, rue des Bons Enfants, se fait mauvais élève aux yeux de voisins peu tolérants face à sa marginalité, qui abrite à la fois locataires, concerts, et médiathèque. Ateliers, résidences, accompagnement d’artistes, lieux de vie… « On est multi-activités, mais on est pas limonadiers. »

La singularité de ces espaces n’a d’égal que la qualité incroyable de leur programmation, qui semble jaillir une nouvelle fois d’un instinct commun, celui de proposer leurs scènes à des inconnus comme à des artistes très reconnus dans leurs milieux. Lorsque Damien cite la visite remarquée de pointures de la musique spectrale que sont Ana-Maria Avram et son compagnon Iancu Dumitrescu, qui dirigent et conduisent l’Ensemble Hyperion de Bucarest depuis 1988, Marius se remémore avec amusement le concert de 69 DB, qui s’est produit devant les cent cinquante personnes de la petite salle du Boulevard Bouès une semaine après avoir joué dans un festival italien réunissant plus de 15 000 âmes. « Et c’était mortel ! » Petits mais costauds, on vous le dit.

La programmation, c’est donc leur point fort, et on ne les contredira pas. Veille qualitative, propositions internes et externes, sollicitations diverses, esthétiques pointues, en quinze ans et deux antres, on a dû faire trente fois le tour du globe. « Je ne crois pas exagérer en disant qu’au cours d’une saison, on voyage de l’Islande à l’Afrique du Sud en passant par le Japon et les États-Unis », s’enorgueillit Marius. Évolution notable, ces dernières années, l’« Embo » a également ouvert sa programmation à des collectifs qui n’ont pas forcément de salle fixe comme Champ Döner, Strident, Maraboutage ou le Laboratoire des Possibles. « Cela permet certes d’alléger le travail sans tomber pour autant dans de la location de salles pure. » Et tout cela dans les conditions d’accueil qui font partie intégrante de la réputation de ces salles : quel groupe s’y étant produit n’a pas évoqué en salivant le catering incomparable qui leur avait été offert, subtile élaboration de recettes savoureuses avec pour ingrédients de base amour et circuits « cours Juteux » ?

Le programme du week-end anniversaire s’inscrit en hommage symbolique au caractère original des deux salles. À Data, le 15, on écoutera les impros de guitare du Japonais Shin’Ichi Isohata sur fond de danse butô, et on retrouvera des artistes et membres habitués des huit murs d’hier et d’aujourd’hui, alliant musique, performances et surprises visuelles. Le lendemain à la Belle de Mai, c’est toute la journée que nous irons nous enivrer de nostalgie et de folies embobinesques. Nous nous perdrons dans le « Fort Boyau », escape game antidogmatique à l’image de ses organisateurs. On s’amusera toute la journée autour du thème des marges, guidés par Monsieur et Madame Loyal, choyés dans le « spa zombie », emportés par les performances artistiques qui renouent avec un des désirs premiers du « Théâtre de fortune ». Côté concerts, le soir, on retrouvera la virtuosité agressivo-caressante de Mr Marcaille, qui fait presque partie des murs : « Il ressemble à la salle. Il aurait pu faire ce qu’il voulait mais il suit son truc, brillant dans la traverse. » Symbole marseillais, le groupe de guitaristes Sound Off Mars a transcendé les âges du rock phocéen et représente à lui seul la diversité et la transversalité musicale de la ville. Ceux qui se sont produits pour la première fois en première partie de la Colonie de Vacances à l’Estak Crew jouent dans des groupes du coin qui existaient déjà avant l’Embo. Nash, jeune du quartier, viendra présenter de son beat box médaillé une création théâtrale rythmée. Surprises, dj sets, tournoi de bras de fer en inter-plateaux… « Si on avait voulu être complets et rendre hommage à toutes les activités de l’Embobineuse, on aurait fait un atelier de théâtre, organisé un mariage soufi et un couscous subversif, et, pourquoi pas un stage de peinture sur murs. » On ne peut ni résumer ni prévoir exactement ce qu’il va advenir de nous ce week-end. Et dimanche ? « On essaiera de dormir ! »

 

Lucie Ponthieux Bertram

 

Les 150 ans de l’Embobineuse et de Data : les 15 à Data (44 rue des Bons Enfants, 6e) et le 16/11 à l’Embobineuse (11 boulevard Bouès, 3e).

Rens. www.lembobineuse.biz / www.facebook.com/datamarseille

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