La vengeance aurait pu être terrible

La vengeance aurait pu être terrible

Les amateurs des BD d’Allan Moore garderont à jamais une amertume en repensant aux adaptations de ses trois chefs d’œuvres par la Warner : From Hell, V pour Vendetta et Watchmen (pas encore sorti mais déjà conchié par les fans)… (lire la suite)

Les amateurs des BD d’Allan Moore garderont à jamais une amertume en repensant aux adaptations de ses trois chefs d’œuvres par la Warner : From Hell, V pour Vendetta et Watchmen (pas encore sorti mais déjà conchié par les fans). Classées parmi les cent meilleures bandes dessinées du siècle passé, toutes les productions du scénariste anglais sont des modèles universels. Mêlant archives historiques, faits héroïques et références culturelles senties, Allan Moore utilise, à l’instar de Lars Von trier, tous les outils imaginables pour accomplir son dessein spirituel et politique. Ainsi, ce travailleur de la perfection manie les articles de presse, les paroles de chansons, les réminiscences, les parcours parallèles, les silences et les doutes, les impressions de déjà-vu… et surtout la narration filmique pour embarquer le lecteur : ses ouvrages sont des story-boards qu’il n’y a plus qu’à respecter pour obtenir les plus grands chefs d’œuvres. En effet, les équilibres de temps, les transitions… tout est étudié en détail. Le symbole de ce « la fin justifie les moyens » reste certainement l’utilisation, pour chaque volume, de dessinateurs et coloristes radicalement différents. Pour cette histoire prémonitoire (écrite début 80) de la société où là télévision d’Etat, la vidéosurveillance et la police auraient pris le contrôle par peur du chaos, Moore a recours au sale noir et blanc de la nuit griffée par le néon public. L’héroïne est un déchet apeuré de l’assistance qui fait la pute pour s’acheter ses médocs et oublier. Son nouveau mentor, qui l’a repêchée avant qu’elle ne se fasse à nouveau violer par la police corrompue, est lui-même un rescapé du génocide secret organisé par le pouvoir. On a ici à faire à deux traumatisés habités par un combat : la peur face à l’envie de vengeance. Loin de ces exigences et de ce talent, et sans scrupule vis-à-vis des thèmes les plus nobles, les frères Wachowski furent déjà par le passé les auteurs d’un bouillon de culture autour de leur religion (thème de l’élu, rêve de Sion[1]). Face à V — ce scénario si bouleversant sur l’insurrection —, ils ne mettent pas plus de gants et finalement, le transforment en une bluette où l’on peut lire, en gros : écrit et réalisé par les frères Wachowski. Pour se détacher de ce film comme des autres ouvrages adaptés, Alan Moore a en effet fait retirer son nom de tous les génériques. Le résultat, souffrant de déséquilibre et de raccourcis, est tout de même nourri par de nombreux éléments d’origine. Il reste donc un film à voir pour le ton et le propos, initialement habile et envoûtant, sur l’appel intime de l’insurrection : quel événement faudrait-il pour que nous arrêtions de « discuter » politique et individuellement, la nuit, commencer la révolution ?

Emmanuel Germond

Notes

[1] Matrix