Un coin d’air frais de Roméo Dini au Château de Servières

La Relève IV à Art-cade, au Centre Photographique Marseille et au Château de Servières

Rêve/Veille

 

Une fois calmées les ondes effervescentes des vernissages, jaillissent bien d’autres intérêts d’aller profiter des œuvres ultra-contemporaines de l’archipel d’expositions La Relève IV, organisé par le festival Parallèle. Parcourant Marseille, les expos se groupent encore pour quelques semaines sur trois îles : à Art-cade – Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine, au Château de Servières et au Centre Photographique Marseille.

 

 

On vous parlait dans notre numéro précédent de La Relève IV à Buropolis et à Coco Velten, qui s’associait avec La Compagnie pour investir les archives. Poursuivons le parcours rhizomatique des œuvres dans les Grands Bains Douches de la Plaine.

On peut dire que La Relève valorise les multiplicités, les diversités et leurs émergences. Les œuvres s’organisent autour de l’emblématique patio de la galerie Art-cade : à gauche toute, vers les paravents vaporeux aux plantureux motifs végétaux de Flo*Souad Benaddi. Son installation HormonoBotanik — composée de photos, de textiles sérigraphiés, d’habits et de flyers — explore les relations entre les hormones végétales et les hormones humaines, particulièrement celles qui induisent les genres, comme les phyto-œstrogènes végétales féminisantes. Un travail qui trouve un grand écho dans l’entrelacement très actuel des enjeux de l’intime, du politique et de l’environnement : des (dé)croissances humaines et de leurs rapports tantôt houleux tantôt amoureux avec le monde des plantes. Cette installation prend racine envers ce qui prévaut encore comme « naturel », car normé : la trop inflexible binarité des genres. La réflexion de Flo*Souad Benaddi se bouture sur plusieurs supports plastiques qui pollinisent l’esprit, lient humanité et végétal contre l’éternelle (que l’on espère désormais mourante) scission philosophique entre « culture » et « nature ». On peut notamment se souvenir de la performance radicale Trans*Plant — une injection de chlorophylle dans les veines de l’artiste — du collectif Quimera Rosa (en décembre dernier à Montevideo, dans le cadre des Transversales du collectif IDEM), dérangeante parce qu’elle actionne des leviers qui questionnent le transhumanisme, le bio-médical aux extrêmes limites de ce qui soigne ou de ce qui torture.

La suite de l’exposition vaut le trompe-l’œil, notamment avec l’installation de Prune Phi, où ordinateurs et smartphones en carton (littéralement !) sont sacrifiés dans les flammes, sur l’autel d’un vaisseau sci-fi argenté aux lignes tribales, au milieu de l’écrin de velours violet que constitue la petite pièce de la galerie. Otherworld Communication témoigne des nouvelles technologies qui prennent de plus en plus place dans les traditions, rites et cultes des ancêtres en Asie du Sud-Est. Ce thème peut rejoindre celui abordé par la sculpture-momie faite de câbles ethernet du collectif Grapain qui était exposée à Buropolis.

 

Fil rouge local des visites de La Relève IV, la cigale en céramique de Chloé Erb nous a valu quelques hauts sursauts ! Discret device for smashing entrance tient drôlement bien la garde des entrées et des publics, ce qui nous touche pour ainsi dire en plein cœur (des traditions provençales). Au Château de Servières, on découvre des installations rêveuses, aérées, aux multiples transparences et réfractions, traversant autant de couches d’émotions et de compréhensions. Par exemple, les dispositifs très différents mais qui se répondent respectivement : Un coin d’air frais de Roméo Dini et Candélous d’Aglaé Miguel. Ensuite, les assiettes accrochées par Camille Chastang sur son immense fresque fleurie et colorée reprennent à leur compte l’artisanat — dit « art mineur », des femmes dites « artistes mineures » et de toutes les contraintes qui y sont associées… Et on sera bien piqué.e.s par la curiosité de découvrir le poème de notre année de naissance (si elle a eu lieu ces 61 dernières années). Composés de fragments des discours de vœux présidentiels caviardés, Juliette George a veillé à déconstruire les très institutionnelles représentations de l’histoire. Une poésie minimale, par soustraction, ne laissant à voir que le froid du symbolique bleu « France » derrière l’estrade des « grands » ; pour mieux représenter en creux, par le vide, ce que révèle l’absence, en discours et en politique.

 

Dernière pierre angulaire de l’exposition, le Centre Photographique Marseille. On y trouve bien sûr une majorité de photos, accompagnée d’installations et de sculptures. La scénographie se révèle assez immersive et se parcourt sereinement, empreinte d’une douceur recueillie. C’est particulièrement ce qui se ressent devant la série Après que le soleil se soit couché de Lingjun Yue, faite de clairs-obscurs ténus avec ses photos d’installations lumineuses. Comme de ce qui nous reste lorsqu’on se trouve enfermé.e.s et seul.e.s, la lumière d’un téléphone est travaillée en veilleuse réconfortante, révélant une attention, une présence à soi et une présence en plus de soi. Lorsque le médium technologique n’est plus occupé à faire à lui tout seul le lien avec les autres, sa lumière incarne la présence de l’autre. Ses photos respirent la fragilité de l’éphémère, des âmes et des fantômes, dans une inquiétante étrangeté très ambivalente car aussi bienveillante…

 

Margot Dewavrin

 

La Relève IV :

– Jusqu’au 12/03 à Art-cade – Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine (35 rue de la bibliothèque, 1er).
Rens. : 04 91 47 87 92 / art-cade.net

– Jusqu’au 26/03 au Centre Photographique Marseille (2 rue Vincent Leblanc, 2e).
Rens. : 04 91 90 46 76 / www.centrephotomarseille.fr

– Jusqu’au 15/04 à la Galerie du Château de Servières (19 boulevard boisson, 4e).
Rens. : 04 91 85 42 78 / chateaudeservieres.org