La « night » avec l’accent parisien

On la dit endormie et sans surprise. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de d’arpenter et de raconter la vie nocturne de la ville. Cette semaine, il raconte comment la nuit marseillaise fait rêver… les Parisiens.

 

 

Après une programmation de journée sur le toit-terrasse de la Friche, entre apéro, transats, soleil et sonorités détendues, les choses sérieuses s’apprêtent à commencer au festival le Bon Air. Il est 22 h, et l’interlude nécessite de sortir par les escaliers avant de pouvoir entrer à nouveau face au Cabaret Aléatoire, avec trente minutes de battement.

L’occasion rêvée pour Élise et ses copines de se regrouper. Cette équipe de quatre filles vient d’un peu toute la France, de Nantes, de Lille, de Mâcon. Passées du côté plus sérieux de la vingtaine, leur dispersion s’explique par leur boulot, dans le marketing ou le management. Parce que leur lien provient d’une connexion plus profonde que les atomes crochus, l’origine ou les rêves communs. Il est plutôt un océan d’alcool dans lequel surnagent des histoires de mecs et de colocs : elles ont toutes fait la même école de commerce.

De ce fait, chassez le naturel pour gagner un peu d’argent et établir sa carrière, il revient néanmoins au galop. Pour contrôler la bête, après une première année d’adaptation pas toujours facile au monde de l’entreprise, il y a eu débat sur le timing du week-end mais pas sur le lieu : « Marseille, c’est the place to be pour la night en fait », résume Élise. Pourquoi ? « Tu vois, pour ce genre de trucs. » Elle pointe du doigt le rond-point devant l’entrée de la Friche côté rue Jobin, à la sortie du tunnel. Un concours de roue arrière en trottinette y prend place, pendant que les Uber cherchent leurs clients. Dans le tunnel résonne un concours de cri et de moteur de motos, pendant que les coins sombres accueillent ceux qui ont besoin d’un remontant. « On était déjà passées à Marseille, laisse tomber, franchement, vous savez faire la fête. »

Elles aussi, savent faire la fête, avec une méthodologie qui force le respect. Après s’être posées contre une grille, l’ordre du jour des vérifications est bien établi. Via le téléphone, story Instagram à l’appui, on est heureuses d’apprendre que l’autre moitié du groupe est bien rentrée au stade Vélodrome pour le concert de Jul, après avoir eu peur de fausses places. Les clés du Airbnb à Saint-Victor ont été retrouvées, et la palette de produits pharmaceutiques allant du Spasfon au moins légal est bien dans le sac de la plus sérieuse des copines. Seul point de désaccord, après avoir pris soin de partager la batterie externe, est-ce qu’on rentre en Uber, en vélo électrique ou en trottinette ? Le débat est vite réglé : « On s’en fout, on fait la fête pour l’instant non ? » L’ouverture des portes et le joyeux moulon qui s’ensuit donnera raison à l’épicurienne : la nuit est souvent carpe diem, la nuit marseillaise en particulier.

 

La nuit marseillaise est devenue sexy

Après des années à avoir porté les stigmates d’une réputation au mieux morte, et au pire sulfureuse, la nuit marseillaise a pris du gallon ces dernières années, proportionnellement à l’attractivité de la ville. Dans les circuits classiques des noctambules, les accents changent jusque sur la plage, et l’été en particulier. Avec un impact sur les acteurs : « La destination Marseille est devenue sexy pour un tas de gens, on a sûrement un peu bénéficié de ça », résume Johan Dupuis de Marsatac. Le festival, qui se déroule ce week-end, joue d’ailleurs la carte Marseille dans sa publicité : « On vient de faire partir une newsletter qui parle quasi exclusivement de Marseille, ce qu’on peut y faire et y voir en dehors du festival. » Avec un impact certain : d’après les statistiques internes du festival, un tiers du public vient d’ailleurs. Avec en particulier, plus d’un « marsattaqueur » sur dix qui vient de Paris. Des chiffres qui concordent avec ceux, quoiqu’un peu flous, prévient l’organisation, du Bon Air, qui donne 16 % des festivaliers venus d’Île-de-France.

De retour à la Friche, la techno s’est nettement durcie au fil de la nuit en ce samedi de Bon Air. Jean, sous son bob, chemise ouverte et en tongs, est l’un de ceux qui ont pris le TGV pour l’occasion. Il est parisien et l’assume. Il tient un discours relativement clair à cette heure avancée : « J’ai offert le billet de train et ma femme a pris le pass pour les trois jours du Bon Air. » La raison qui l’amène est une forme de week-end en amoureux très particulier, celui du week-end de teuf. « Lundi, ça va pas être facile, mais ça vaut le coup. C’est vraiment dingue comme endroit et l’ambiance est bonne. Je savais pas trop à quoi m’attendre, mais je suis pas déçu. » Point notable, s’il disait ne pas connaître tous les artistes, c’est un point très marseillais qui a fini de le convaincre : « J’avais plusieurs copains qui m’avaient parlé de Metaphore, je comprends mieux pourquoi. » Le collectif de musique électronique marseillais avait une scène carte blanche au Bon Air qui, dans sa programmation, met beaucoup en avant les artistes locaux.

Si la notion de parisien est souvent floue à Marseille, en tout cas, sur cette terrasse de la Plaine, elle est bien claire dans le regard des Marseillais et ça créé le débat. « J’ai que des Parisiens ce week-end, ça me gonfle, résume un serveur transpirant. Ils sont insupportables, ils parlent mal et ils veulent être servis vite, ils rendent fou. » Le patron n’est pas d’accord, parce qu’une chose qui rentre souvent dans la définition assez libérale du « parigot », c’est que le portefeuille est large. « Et en plus, eux, ils s’attendent pas à ce que je paye la mienne. » Le serveur montre une grande table : « Regarde les faire ! » Force est de constater que cet apéro est bien fait de vacanciers, chaussettes remontées et short, buvant du Ricard en le commandant avec un « R » pas bien marseillais. « Ben ouais, on boit du jaune, on est à Marseille », souligne fort pertinemment l’un d’entre eux. De quoi déprimer le serveur, qui est bien décidé à les faire attendre un peu. « Ça leur fera les pieds, peut-être qu’ils seront un peu plus patients chez eux. » Chez eux, c’est où ? « On est de Bordeaux. » Des Parisiens, en somme.

 

 

Iliès Hagoug