La montagne d’or © VOID

La Montagne d’or à la Galerie du Château de Servières

L’art au sommet

 

Dans le cadre de la Saison du Dessin initiée par Paréidolie, l’exposition La Montagne d’or au Château de Servières invite six artistes à explorer la limite, parfois trouble, entre fiction et réalité, nous amenant à vivre une expérience sensorielle non dénuée de poésie.

 

La lecture du titre de l’exposition pourrait évoquer en nous ce projet d’exploitation minière en Guyane Française, abandonné en 2019 pour des raisons écologiques. Pourtant, c’est sur le texte de l’empiriste David Hume que se portent les réflexions de Martine Robin, commissaire de l’exposition. La Montagne d’or est invérifiable a posteriori, mais chacun peut se figurer la « montagne », tout comme « l’or », et le fruit de notre volonté fait la jonction entre les deux.

Si la montagne n’apparait pas toujours de manière formelle, c’est la trame prenant forme entre ces deux idées que les artistes tissent. Pour commencer, Rebecca Brueder dresse pour nous une sorte de récit minéral et millénaire, inspiré du site de Popigaï, immense gisement découvert en 1946 au Nord de la Sibérie. En guise de diamant, elle utilise du verre de sécurité, matériau contemporain qui se cristallise de la même manière lorsqu’il est chauffé à forte température. Le fond carboné de cette installation n’est pas sans nous rappeler l’immense concentration de ce matériau dans la région, tout en nous interrogeant sur nos manières de consommer, et d’envisager la rareté et la notion du temps. Dans une technique proche du pointillisme, dos à nous, des dessins reproduisent les corps de quelques alpinistes morts lors de leur ascension de l’Everest. Ici, la montagne devient tombeau et les corps conservés, un point de repère, une balise nécessaire lorsqu’on atteint de telles hauteurs.

En poursuivant notre déambulation, notre regard est intrigué par d’étranges dessins tachés d’un jaune vif. L’artiste Kenza Merouchi pratique le dessin en aveugle, à partir des diapositives de son père décalquées en jaune caldium, représentant l’architecture de grands ensembles à l’origine difficilement identifiables. C’est un travail tout en finesse, qui mérite que l’on s’y arrête tant il nous fait réfléchir à la notion d’appartenance à un lieu. En aveugle toujours, elle nous présente également son travail de fin d’étude : le film At Eternity’s Gate sur Van Gogh, entièrement retranscrit en dessins à partir des audiodescriptions et de l’imagerie mentale que tout un chacun partage.

Dans une autre mesure, Jean-Philippe Roubaud, musicien percussionniste passionné de free jazz, nous donne à voir la musique, enduisant ses baguettes de graphite. Le son prend de la matérialité dans l’espace. Par le biais de l’usage du même médium, il a effectué dans ses périodes de confinement une recherche sur la manière de se représenter l’univers, sorte d’immense négatif de l’espace, cartographie de l’imaginaire dont les influences oscillent entre univers de science-fiction à la Tarkovski et passages de la revue didactique Tout l’univers.

Le collectif bruxellois VOID s’inspire quant à lui de l’incroyable histoire du Golden Disk Voyager, envoyé par la NASA en 1978 à destination d’extraterrestres potentiels. Le disque en or est représenté par une immense parabole qui retranscrit le discours d’investiture de Jimmy Carter l’année précédente.

Comme une empreinte visuelle et sonore, le travail de Magali Sanheira lui fait face, restitution de sa performance lors du vernissage de l’exposition.

Enfin, tout au fond de la salle, nous apercevons l’œuvre diaphane de Delphine Wibaux suite à son récent voyage en Géorgie. Un poème récité comme un murmure fait écho à des dessins destinés à l’impermanence, tant les matériaux utilisés sont fragiles et menacés par la lumière qui les fait disparaître peu à peu. Les images se fondent et dépassent largement le cadre de l’exposition, jusqu’à sortir de l’espace officiel qui lui est dédié. Une sensibilité très personnelle qui tente de traduire par son langage ce qui est si difficile à se représenter.

 

Laura Legeay

 

La Montagne d’or : jusqu’au 18/12 à la Galerie du Château de Servières (11-19 boulevard Boisson, 4e).

Rens. : www.chateaudeservieres.org/