L'Interview - Thomas Azuélos

L'Interview – Thomas Azuélos

Lorsque la commissaire Abigaël Martini, fraîchement nominée, est envoyée à Marseille pour résoudre une enquête a priori sans surprise, c’est le lecteur qui est pris à contre-pied. Thomas Azuélos, jeune auteur phocéen dont le dessin n’a rien à envier aux maîtres du noir et blanc, jongle avec une adresse malicieuse entre les codes du polar et une furieuse envie de tous les casser. Intrigué par sa surprenante BD, Ventilo est allé à la rencontre de l’auteur… (lire la suite)

Lorsque la commissaire Abigaël Martini, fraîchement nominée, est envoyée à Marseille pour résoudre une enquête a priori sans surprise, c’est le lecteur qui est pris à contre-pied. Thomas Azuélos, jeune auteur phocéen dont le dessin n’a rien à envier aux maîtres du noir et blanc, jongle avec une adresse malicieuse entre les codes du polar et une furieuse envie de tous les casser. Intrigué par sa surprenante BD, Ventilo est allé à la rencontre de l’auteur.

Après trois albums, tu es aujourd’hui un auteur de BD à part entière. Raconte-nous ton parcours.
La BD est un rêve d’enfance que j’ai poursuivi dans des fanzines jusqu’au début des années 90. J’avais dix-huit ans et j’étais presque prêt à me lancer, mais la BD officielle traversait alors un désert de nullité. C’était avant que tous les indépendants bousculent les règles. Et de mon côté, j’étais en arts plastiques où j’affrontais le sectarisme des profs et des élèves. Ce fut une mauvaise période, mais bénéfique : j’ai découvert qu’en BD, le dessin ne fait pas tout, que raconter une histoire, c’est manipuler la narration, une alchimie entre scénario, découpage, texte et dessin. En entrant à Taktik en 95, j’ai découvert le dessin de presse et le journalisme. J’ai pu essayer beaucoup de choses. J’ai aussi fait un passage en scénographie pour le théâtre. Puis David Calvo, que j’avais rencontré à Taktik, m’a appelé avec des idées complètement débridées. Jérôme Martineau, des Editions Carabas, nous a donné notre chance : il a cru en Télémaque. Abigaël, c’est encore autre chose : je suis scénariste et dessinateur, ce qui me permet de décider non seulement ce que je veux raconter mais aussi comment le raconter.

Justement, le travail sur Abigaël semble différent…
Pour Abigaël, je ne peux pas établir de lien direct avec mes livres précédents, plutôt avec ma pratique du dessin de presse. Le scénario — comme la suite en préparation — a un fond dramatique. Quand j’ai commencé à l’écrire, il y a quelques années, je voulais mettre à l’épreuve l’innocence et l’humanisme d’un personnage avec un monde brutal. J’ai travaillé en amont pour aiguiser l’angle d’attaque : ma narration glisse du réalisme de type social, au polar à l’américaine, puis au polar à la française, autant de styles dont je m’inspire des codes.

Ce mélange des styles s’avère plutôt déroutant pour tes lecteurs…
Je ne cherche pas à ruser, simplement à traduire les contradictions qui cohabitent dans la même histoire, et qui cohabiteront différemment dans les suivantes. Abigaël est destinée à « vieillir » en fonction d’évènements assez dramatiques. J’essaie depuis longtemps de concilier le besoin d’affronter des sujets denses, le désir de dessiner et de raconter une histoire de façon immédiate. Abigaël est née comme ça. On est donc loin des expériences de Télémaque et Akhenaton. En tout cas, ce fut une grosse remise en question : trois mois entiers d’impuissance graphique où la seule perspective de dessiner m’angoissait.

Comment décrirais-tu Abigaël ?
C’est un petit oiseau tombé du nid qui, plongée dans une enquête tarabiscotée, ouvre grand ses mirettes parce que la réalité lui est inconnue ; elle carbure à l’idéalisme, à l’empathie, à l’imagination et au petit blanc.

Enfin, quel regard portes-tu sur la BD phocéenne ?
J’ai très peu d’opinion sur la bande dessinée marseillaise, si ce n’est une grande estime pour les livres magnifiques de mes collègues Kamel Khélif et Jean-Philippe Bramanti. Ma seule opinion sur le monde, c’est Abigaël. Elle ne fait de mal à personne, mais défie l’injustice, le cynisme et le bien pensant : réponse humaniste au mépris des hommes politiques. De mon côté, j’emmerde l’autobiographie et la mode de la bande dessinée narcissique. Je crie que j’aime le vrai mensonge de la fiction, le monstre de Moby Dick et les scènes érotiques des Mille et une nuits.

Propos recueillis par Nicolas Loiseau

Dans les bacs, Abigaël Martini (Carabas). Claude Signoret a participé au scénario et aux dialogues, Mathilde Chèvre au scénario et à la narration.
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