Amour-de-nous-memes

Millefeuille | L’Amour de nous-mêmes d’Erika Nomeni

Du queer à l’ouvrage

 

Créatrice du festival Umoja, Erika Nomeni nous propose de partager son univers non plus du côté de la musique, mais de la littérature. Une autre manière d’aborder l’amour, les cultures queer et les mécanismes de la domination à travers un court roman épistolaire, L’Amour de nous-mêmes, paru le 3 février aux éditions Hors d’atteinte.

 

 

couverture livre L’Amour de nous-mêmes d’Erika NomeniUne première lettre écrite à une mystérieuse Sujja, nous plonge dans les bas-fonds de la précarité à Marseille, les logements mal isolés où le froid s’insinue, où les punaises de lit pullulent, où les éclats de voix transpercent la minceur des murs. Plus qu’un prétexte à décrire les conditions de vie de la protagoniste Aloé, ce lieu semble refléter la sensation d’enfermement qu’elle subit, les tribulations qui la déchirent de l’intérieur. Les questions se bousculent, sur sa situation financière mais également amoureuse, et comment les deux s’entremêlent dans un corps social. Ils font écho à la citation d’Angela Robertson, activiste afro-queer, amorçant l’incipit.

L’écriture, simple, interroge la sincérité et la portée de chaque mot, insufflée probablement par la revendication queer de l’auteur, un milieu aux multiples nuances qui se caractérise par cette rigueur sémantique. Elle y développe sans complaisance, une analyse d’elle-même et du monde qui l’entoure, de la position qu’elle occupe, tirant des conclusions parfois incisives sur la violence du quotidien.

 

« La couleur en soi ne veut rien dire, ce sont les concepts qu’on met derrière qui nous conditionnent et nous oppressent ». »

 

Que l’on voyage avec elle dans les rues de Marseille, de Douala, du Marais parisien ou de la banlieue de Saint-Ouen, la question de la couleur y est omniprésente. À l’image des romans de Claude McKay traitant de la cité phocéenne, la question de degré de blancheur ou noirceur subsiste. Ce qui nous prouve que, cent ans plus tard, le débat sur le racisme n’a que peu évolué. Aloé nous dresse l’inventaire de ses différents échecs amoureux à travers ce prisme, dévoilant sa vulnérabilité, ses divers problèmes d’addictions, dénouant par ailleurs l’intrigue de son enfance.

 

« Le milieu militant est vraiment un tremplin social. »

 

Aloé (Erika ?) dénonce la violence de la hiérarchie, implicite mais bien réelle, la définition d’une personne à partir de ce que l’on observe en superficie, la sensation d’être là, non pas pour ce que l’on est, mais pour les fantasmes que notre apparence véhicule. Cette invisibilisation de la personne issue de minorités n’est pas sans nous rappeler le roman de Ralph Ellison Invisible Man. Le constat pourrait être amer, et pourtant… Cet examen du passé nous apparait comme la nécessité de ne pas fuir son histoire, de se donner les moyens de se projeter dans l’avenir. L’unique lettre que Sujja adresse à Aloé, en toute fin de roman, nous apporte l’ébauche d’une solution teintée d’accents afro-futuristes. Dans un imaginaire flamboyant et inattendu, la réponse à l’oppression sous toutes ses formes s’appuie sur les bases solides d’une contre-culture.

 

Laura Legeay

 

 

À lire : L’Amour de nous-mêmes d’Erika Nomeni (Éditions Hors d’atteinte)

Soirée de lacement du livre le 18/02 à Coco Velten (16 rue Bernard Du Bois, 1er).

Rens. : https://cocovelten.org