Roméo et Juliette © Didier Philispart

L’Interview : Josette Baïz (Compagnie et Groupe Grenade)

L’Interview
Josette Baïz (Compagnie et Groupe Grenade)

 

De nombreux projets en cours pour la chorégraphe Josette Baïz en cette année 2016, d’un déménagement de sa compagnie à la recréation de la pièce Time Break, en passant par la fin de la tournée de Roméo et Juliette. En résidence de création au Merlan, la chorégraphe revient particulièrement sur la réécriture de l’histoire d’Alice aux pays des Merveilles avec les jeunes danseurs du Groupe Grenade.

 

Première nouvelle : la compagnie a déménagé…
En effet, cela faisait un moment que je désirais m’installer dans des studios dédiés à la danse. L’Espace Jeunesse Bellegarde, qui nous a hébergés pendant de nombreuses années, me contraignait beaucoup les derniers temps en termes d’espace de création et d’accueil des cours ouverts de l’école de danse. Je travaille aussi avec d’autres chorégraphes dans le cadre de montages de programmes internationaux, dont les propositions assez vastes requièrent une prise d’espace en conséquence, mais aussi propre à chacun. On n’occupe pas l’espace de la même manière selon qu’on répète une pièce de Lucinda Childs, d’Emanuel Gat ou de Wayne McGregor. Nous bénéficions de trois studios à l’heure actuelle, ce qui nous permet une plus grande amplitude de travail.

 

Quid du spectacle en cours de création, Alice, pour lequel vous avez été tout récemment en résidence au Merlan ?
Alice est une création personnelle qui s’adresse à des danseurs et danseuses de huit à treize ans. J’ai préféré travailler l’aspect psychanalytique du personnage d’Alice au pays des Merveilles, non pas comme une comédie musicale mais plutôt comme un voyage initiatique, comme un essai de recherche des différents états que le personnage traverse. Le déroulement de l’histoire reste le même, vu d’un angle différent, où les garçons sont la représentation abstraite des personnalités qu’Alice rencontre au cours de son périple, tandis que les filles figurent les différentes Alice telles que je les conçois par rapport au voyage qu’elles entreprennent. Au début, l’œuvre de Caroll s’intitulait Alice sous la terre, un titre révélateur du moment où elle chute pour se retrouver dans un monde relativement agressif. J’ai souvent l’impression que les films et les pièces sur la thématique enjolivent l’histoire. Pour moi, cette chute est brutale et longue. On parle bien de torrent de larmes. L’eau (la matière) rentre dans le corps d’une petite fille. J’ai recherché des éléments permettant de mettre en valeur ce côté effrayant entre des personnages qui ne se comprennent pas et j’ai choisi d’exposer l’aspect noir de cette histoire, notamment au travers de cette idée d’angoisse de l’inconnu telle que peut la vivre un enfant. Par essence courageuse, Alice se métamorphose comme un avatar. Les scènes s’entrechoquent dans une certaine violence. En tant que chorégraphe, j’ai pris le parti de mettre en scène cet affolement,  ses questionnements qui restent sans réponse, son désir de stabilité sans cesse déboussolé par une opposition systématique entre discontinuité et soudaineté. C’est un voyage dans l’absurde, dans le non-sens, « un fond d’inquiétude dans le pays des rêves ».

 

Comment avez-vous pu réaliser ce gigantesque travail de création ?
Tout d’abord, grâce à l’équipe qui m’entoure : Mathieu Maurice, notre ingénieur son, a apporté en particulier des trames sonores et des extraits d’opéra de Bach sur de la musique électro ; Jean-Jacques Palix, compositeur et arrangeur avec qui je travaille depuis des années, a construit un univers sonore subtil qui permet de mettre en valeur ces moments d’inquiétudes dans le parcours d’Alice et d’introduire de la profondeur dans le propos artistique et la musique puissante de Robin Rimbaud. Il y aura également de la vidéo, réalisée par Dominique Drillot et Matthieu Stefani, mais je n’en dis pas plus pour l’instant. Disons simplement que c’est un medium/outil qui se justifie ici dans les différents rapports d’échelle que rencontre Alice et qui permet de développer une vision plus intime. Concernant notre travail d’équipe, nous nous comprenons immédiatement, dans un aller-retour de réflexion permanente.

 

Comment fonctionne le travail avec vos (très) jeunes danseurs ?
J’organise trois sections de travail : la technique, l’improvisation et la composition. En fonction du thème, nous mettons en place de nombreux moments où ils peuvent créer leurs propres solos et duos. Je dis « nous », car je travaille avec quatre assistants pour la chorégraphie, tous issus de la compagnie Grenade. Nous nous connaissons pour certains depuis plus de vingt ans et ils sont maintenant âgés de trente à trente-cinq ans. On se partage donc les tâches en fonction des diverses énergies que porte chaque personne. J’ai également une ressource documentaire en psychanalyse ; c’est un bonheur de me replonger dans la littérature qui me rappelle mes études. J’ai notamment eu la possibilité de travailler autour d’Oliver Twist, de Roméo et Juliette… Ces romans qui mettent en scène des personnages malmenés, dans un univers terrifiant, sont aussi un moyen de parler de la situation politique et sociale actuelle. Quand les enfants sont impliqués, c’est une chose qui me touche.

 

Quand cela a-t-il commencé ?
J’ai commencé à faire des spectacles avec des enfants lorsque je suivais ma formation avec Odile Duboc et j’ai toujours été soutenue. La création avec l’enfant est pour moi une chose naturelle, d’autant plus lorsqu’ils sont petits. Pour Alice, c’était l’âge parfait, je ne voulais pas le dépasser car j’essaie d’être au plus près de la dramaturgie pour la crédibilité de l’histoire. Roméo et Juliette sont censés n’avoir que quatorze et seize ans, et cela se justifie dans l’intrigue. Les adolescents à cet âge-là n’ont pas le filtre qu’ont les adultes, ils vivent tout au premier degré. Cette pièce ne pouvait tout simplement pas être écrite pour des adultes car c’est l’inconscience de la jeunesse qui met fin à cette histoire tragique.

 

Qu’en est-il de ce temps de résidence au Merlan ?
La résidence est une bonne chose en soi, elle me permet de prendre du recul. A la différence du cleanage en studio, le théâtre montre à voir les différences de ces lieux de représentation aussi bien au niveau de la technique, du costume, etc.

 

Quels sont vos projets à venir ?
J’ai la volonté de faire du lieu que nous avons investi à Forbin une plaque tournante pour la chorégraphie nationale et internationale, et de travailler d’autant plus à l’élaboration de pièces intergénérationnelles. J’ai depuis peu repris l’un de mes spectacles, Time Break, qui s’adressait à l’époque aux jeunes des quartiers Nord. Le résultat a été explosif et théâtral. En soumettant le même déroulé à mon groupe actuel, j’ai été surprise des si grandes différences que cela a rendu. Il est important de connaître de nouvelles énergies, de déséquilibrer les groupes afin de chercher autre chose, de démanteler les codes, de savoir où va la danse. Mais surtout d’où elle part.

 

Propos recueillis par Laura Legeay

 

P.O.I.V.R.E + Hommage à Trisha Brow + Time Break : le 14/05 à partir de 20h sur le Cours Mirabeau (Aix-en-Provence), dans le cadre du festival C’est Sud.
Rens. : www.aixenprovence.fr

Pour en (sa)voir plus : 04 42 96 37 56 / www.josette-baiz.com