Jeff Koons, Wrecking Ball, vue de l'exposition Jeff Koons Mucem © Laurent Lecat, Mucem

Jeff Koons Mucem. Œuvres de la Collection Pinault au Mucem

L’enfant roi

 

L’exposition Jeff Koons Mucem, Œuvres de la collection Pinault annonce le retour du grand public dans les musées et envoie un signal fort sur ce que l’on est en droit d’attendre d’un lieu emblématique dans le rayonnement de Marseille.

 

 

Il va de soi que le titre choisi pour cette exposition ne recule pas devant les oppositions et la contestation, mais avant de rentrer dans le débat sur la marchandisation de l’art, il est raisonnable de se pencher, sans préjugés, sur les dix neuf-œuvres de l’artiste qui nous sont présentées. Du Hanging Heart au Balloon Dog, en passant par le Bourgeois Bust ou le dytique New Hoover Convertible, New Shelton Wet/Dry 10 Gallon Doubledecker, chaque pièce marque un moment important du travail de Jeff Koons dans son questionnement sur la place du ready made et de sa représentation.

Jeff Koons a grandi dans l’Amérique des années 70, alors que la plupart des produits manufacturés l’étaient sur le sol états-unien : le réfrigérateur, la télé, le tracteur, la voiture… peu d’objets échappaient à la middle class américaine. Depuis, la mondialisation du commerce et la libre circulation des marques ont changé la donne. Considérer que l’aspirateur Hoover sous cloche serait un symbole d’une Amérique prospère est donc un leurre, car il faut voir dans cette pièce, méticuleusement conservée comme un jouet flambant neuf, une exacerbation d’un désir de possession et de fétichisme, plus qu’une idée de la marque.

Ce goût pour des choses communes qui touche le plus grand nombre est un sujet récurant dans l’histoire de l’art américaine (Warhol, Richard Prince, Jasper Johns, David Salle). Il y a donc dans ce socle commun une force de conviction et une esthétique solidement ancrée dans l’imaginaire.

Y a-t-il une différence entre une collection de pichets en terre cuite et un ready made ? C’est la grande question posée dans cette exposition. Jeff Koons a pris le temps de se pencher sur les réserves du Mucem et d’y puiser des pièces de l’art populaire (peut-on parler d’artisanat ?) qu’il met en regard avec ses œuvres. Parfois les vis-à-vis nous apparaissent trop évidents, mais les dernières salles s’habillent d’une fantaisie qui exacerbe la contemplation et abolit la question de l’âge. Est-ce un rêve d’enfant, un regard critique, une métaphore ? Tout se confond et se rassemble dans un geste fort.

D’immenses peintures ressucitent l’idée du collage et de l’hyperréalisme, ramenant dans le présent les heures de gloire d’un mouvement perdu (Chuck Close, Robert Cottingham, Don Eddy, Malcom Morley…). Il est difficile de trouver un sujet central dans ces toiles, comme semblerait l’indiquer leur titre (Elephant, Dutch Couple) mais il apparait que ce qui est global peut devenir local dans une idée de l’appropriation chère au Pop Art.

Jeff Koons se considère comme un peintre qui est arrivé plus tard vers la sculpture, mais rien ne nous oblige à le suivre dans cette vision des choses. Ce qui point, c’est la minutie et la perfection qui nous invitent à croire à une disparition du travail de la main, alors que tout est concertation, invention, patience et réflexion sur la qualité du travail qui est mis en place. Dès lors, quelle marge reste-t-il à la poésie de l’égarement et du droit à l’erreur ? Rien, car ce qui se joue, c’est un regard voyeur et contemplatif qui s’approche de chaque œuvre pour remarquer l’incroyable finesse des replis du plastique d’une bouée made in Taiwan (Chain Link), alors que l’ensemble jusqu’à la cordelette de la bouée est en aluminium.

Tout est peint dans ses moindres détails, rien n’est oublié et tout se joue dans un réalisme confondant, dans une illusion. Dans ce parcours du regard, une construction de la pensée prend forme, convoquant l’émancipation et la spiritualité d’un dévouement sans fin, d’une perfection sans équivalent. Le souvenir des jours et des nuits passés sur la construction d’une maquette de porte-avions, la frontière entre les obsessions du petit garçon et le rapport au travail de l’adulte s’épousent pour construire une théâtralité unique en son genre.

La célébration, les saisons, le voyage, le souvenir d’une famille heureuse, l’amour, le baiser et ces quelques heures passées dans la limousine de Salvator Dali deviennent le théâtre d’une vie.

Maintenant, que penser de la défiance que provoque le travail de Jeff Koons sur une grande partie du public ? De la même manière que la violence participe d’un storytelling, on peut remarquer que les médias n’ont pas ménagé leur peine pour dénoncer cet artiste comme le symbole d’un marché de l’art qui se serait égaré dans le monde de la finance. Mais qui écrit l’histoire de l’art ? Le public, les institutions ou les collectionneurs qui font des choix ?

L’avenir s’écrit dans un engagement où la morale se moque de la morale, car tout est à refaire et rien ne sera épargné. L’art contemporain n’est pas un projet de civilisation, il n’a pas à prendre parti pour untel ou untel. Il avance dans ses contradictions et son exubérance est partie prenante de cet avenir, de cette folie de la couleur et de l’infini des points de vue. Là où tout nous échappe, parce que nous avons besoin d’être étonné et secoué.

 

Karim Grandi-Baupain

 

Jeff Koons Mucem. Œuvres de la Collection Pinault : jusqu’au 18/10 au Mucem (2e).

Rens. : http://www.mucem.org