In Camera

In Camera à la Tour-Panorama de la Friche la Belle de Mai

Codes sensibles

 

Expérience esthétique mais pas seulement au beau milieu de In Camera, installation présentée par Sextant et plus, qui place le spectateur au centre d’un dispositif relevant à la fois du théâtre et des arts plastiques. De quoi se demander qui regarde qui…

 

« Le théâtre est aujourd’hui la négation de l’art. » (Michael Fried, 1967)
Le XXe siècle aura été marqué par la convergence des pratiques artistiques. De l’anti-théâtre dada à Fluxus, le théâtre et les arts plastiques ont commencé par s’influencer pour se mélanger ensuite et brouiller définitivement les pistes. Dans l’exposition Le Théâtre sans théâtre (1), Bernard Blistène mettait en évidence « les racines dramatiques de l’art, composantes de la modernité occidentale », montrant alors les points de convergence de l’art moderne avec les arts de la scène jusqu’au minimalisme américain. Comédiens, décor et mise en scène sont autant de notions qui s’appliquent désormais aux arts plastiques. Comment situer le happening et la performance, forme plastique à la théâtralité évidente, si ce n’est par l’intention de celui qui se met en scène et son appartenance à une caste fragile ? Si c’est l’institution qui désigne l’artiste et l’œuvre d’art comme telle (2), c’est donc l’institution qui en détermine le genre, état des choses que les artistes n’auront de cesse de vouloir détourner.
Question trouble et sans doute vaine que l’on se pose devant — ou devrait-on dire « dans » — In Caméra, œuvre commune du plasticien Graham Fagen et du metteur en scène Graham Eatough, artistes écossais dont il s’agit ici de la troisième collaboration.
Graham Fagen pratique un art conceptuel qui utilise toutes les formes et médiums possibles (sculpture, dessin, photographie, cinéma, écriture, texte, néon, installation, performance), dont il use pour questionner le principe d’individuation (processus de distinction d’un individu par rapport au groupe dont il fait partie).
In Camera rejoue sans cesse, dans une temporalité différente de celle du regardeur, le huis clos dans lequel quatre personnages comprennent qu’ils devront désormais faire les uns avec les autres pour l’éternité. Comme antre de la mort, Graham Fagen et Graham Eatough choisissent le white cube, sur les cimaises duquel pérorent des œuvres, sorte de citations ou de caricatures de l’art contemporain, néon ou tautologie kosuthienne (3).
In caméra opère le jeu fascinant de la confusion des genres, des temps, des dimensions, du spectateur et du spectacle auquel il appartient. Ce dernier devient metteur en scène en faisant appel à son imagination pour combler les ellipses de l’histoire, technique largement utilisée dans le cinéma. Une mise en abîme vertigineuse du décor filmé, mais aussi réel puisque c’est précisément dans ce décor (celui de la fin de l’histoire) que notre présent se déroule. La triple valeur sémantique du terme « pièce », qui désigne tout autant le lieu dans lequel le spectateur se trouve, le spectacle de théâtre et l’œuvre d’art, sert de point de départ à cet imbroglio de notions qui retombent toujours sur leurs pattes. Durant les trente-trois minutes de « l’histoire », le spectateur est amené à vivre les mêmes étapes que les personnages. Le dispositif nous assimile et nous place finalement au centre de cette pièce (dans tous les sens du terme), créant une promiscuité entre les spectateurs.
Graham Fagen et Graham Eatough nous soumettent ainsi — ici et maintenant — aux conditions de notre propre individuation…

Céline Ghisleri

 

In Camera : Jusqu’au 4/01/2015 à la Tour-Panorama de la Friche la Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. www.lafriche.org / www.sextantetplus.org

 

Notes
  1. Exposition organisée en 2007 par le Musée d’Art Contemporain de Barcelone, dont le commissariat était assuré par Bernard Blistène[]
  2. « L’art contemporain désigne l’art plastique tel qu’il est reconnu par un certain nombre d’institutions particulièrement influentes, au premier rang desquelles la critique d’art, mais encore les musées, les galeries, le marché de l’art, les commandes publiques d’œuvres d’art. » Catherine Millet[]
  3. relative à l’artiste conceptuel Joseph Kosuth[]