Identités Remarquables | Yvi Slan

Créature sensible à deux têtes

 

Grand nostalgique des années 80-90, Yvi Slan se présente comme un être revendicateur et contestataire. Sylvain, quant à lui, s’apparente d’avantage à « un animal de nuit », discret et solitaire. À eux deux, ils prétendent à l’affranchissement de la musique rock électronique et revendiquent le droit à la liberté d’exécution artistique.

Nous avons tenté de comprendre ce qu’il se passe dans les tréfonds de cette personnalité tout en anagramme. Deux faces distinctement visibles en perpétuelle activité.

 

Vous l’aurez deviné donc, Yvi Slan — « Ça sonnait slave et Iggy Pop » — renverse les codes, et les lettres de son prénom. C’est sans manquer d’autodérision (il rit de bon cœur à propos de ses déboires) qu’il se livre sans retenue au jeu des questions que nous sommes allés lui poser. À noter en guise de réponses : espièglerie en pagaille, une montagne de références musicales et cinématographiques, un accent aubagnais à couper au couteau. Particulièrement lorsqu’il s’agit de citer des groupes de rock anglais.

 

De Sylvain à Yvi Slan

Petit déjà, il est en marge. À douze ans, il découvre Orphée de Jean Cocteau et l’œuvre de ce cinéaste protéiforme qui bouleverse sans nul doute son chemin introspectif. Révélation ! Cocteau, comme un impact indéniable sur sa façon de percevoir le monde.

Inspiré des bédéistes heroic fantasy à la Métal Hurlant tels que Corben ou Marvel, il dessine. Avec frénésie et acharnement. Parce qu’il veut « fabriquer des effets spéciaux au cinéma ».

Recalé des écoles publiques de dessin bien qu’ayant réussi tous les concours, Sylvain pose les armes et ses crayons pour s’offrir un nouveau partenaire de vie : une guitare. Son frère débarque cette même année avec un disque des concerts de Cure, U2 et Echo and the Bunnymen (prononcé timidement avec l’accent « ikwoèdebonimeun »).

« Moi, ça a toujours été les guitares. Les sons de guitare. Tous les groupes que j’écoutais ont un son : les Cure ont un son, Jimmy Page a un son, Hendrix, les Floyd, Sonic Youth a un son. » Des créations sonores dont l’âme ressemble curieusement à l’univers gothique des bandes dessinées qu’il dévore. Son appétit change d’orientation : place au rock alternatif.

 

Spleen Indé

Dandy intrépide, Yvi Slan appartient au mouvement indé. Ne s’interdisant jamais rien, il fait comme bon lui semble. Ce qu’il aime ? Tordre les sons. Son dada ? La musique hybride à la Radiohead. « Machine, guitare, acoustique, tout ce qu’on peut utiliser aujourd’hui sans jamais être daté dans les sons. » Il insiste solidement à plusieurs reprises sur le concept de « son daté », notion désignant d’après lui qu’il faut éviter les sons d’usine.

Malheureux en communication, Yvi Slan a alors beaucoup de mal à exprimer de façon explicite ses envies créatives. Avouant en explosant de rire que le « diéthyllysergamide » (le LSD, ndlr) l’a aidé à s’ouvrir aux autres.

À force d’être incompris, accompagné de son synthé et de sa guitare, il finit par faire tout (presque) seul. « Avec trois francs six sous, on faisait un disque, des pochettes, on pressait les K7, on faisait tout nous-mêmes. »

C’est ce qu’on appelle le DIY, ou Do It Yourself. Il boudera longtemps les studios d’enregistrement, et même encore aujourd’hui, il aime travailler chez lui.

 

À contre-courant

Lorsqu’on lui demande s’il va sortir un album, ses yeux médusés rétorquent aussitôt que ce n’est plus dans l’air du temps ! « C’est préhistorique ! Notre génération chewing-gum préfère les singles. » Entre son 6 titres qu’il a mis cinq ans à peaufiner et ses 25 remixes prêts à être écoutés, Yvi Slan a de quoi subsister dans nos oreilles.

Sourire mutin aux lèvres, il nous explique son concept  avec l’exaltation d’un gamin qui découvre ses cadeaux de Noël : sortir en digital un remix par mois du 21 décembre 2018 au 31 décembre 2019. Attendez-vous donc à une myriade en série de titres remixés, parfois réédités. Sur la liste non exhaustive de ses envies figurent Fedor, Danton Eeprom, Nasser, French 79, Dubmood… Et puisqu’il pense à tout, afin donner une seconde vie à ses œuvres, Rome, Bruxelles, Montréal, New York, Toronto et San Francisco auront également le plaisir de découvrir les titres singuliers du « Frenchy » d’Aubagne.

Reboot. Un terme anglais qui signifie redémarrer, et un titre intéressant sans tomber dans la philosophie de comptoir. Yvi Slan a tout prévu. Une version instrumentale déjà enregistrée et une chantée prévue pour octobre prochain avec des sorties single selon les saisons, l’actualité. C’est f(l)ou, ça fait partie du personnage.

Et la scène ? « Oui ! Mais quand les gens paieront correctement ! » Cri du cœur. Plus sérieusement, il envisage un live intimiste en solo dans des lieux au décor discret, à l’instar de Beck et son Gold Mellow Tour. On pourrait bien l’entendre au détour d’une galerie d’art…

Sylvain se couche à vingt-trois heures, Yvi Slan se lève à cinq. Ça mouline sec dans leur tête ; il faut qu’ils écrivent, qu’ils chantent, qu’ils expulsent toutes ces idées ; parfois ils disparaissent et s’isolent jusqu’à trois semaines tout au plus. Les apéros et autres kémias finissent par manquer pour de bon…

Voilà une personnalité touchante, parce que trouble et sauvage, impétueuse et intègre. À l’instar de Brian Eno qui a bercé son enfance, Sylvain est, à deux, une musique expérimentale nappée de mélodie délirante.

Deux jours plus tard, il nous précise par texto : « J’oubliais, je suis né un 8 avril 1973, jour du décès de Picasso… » Comme un lien indéniable et inaliénable avec Jean Cocteau.

 

Cerise Steiner

 

Rens. : www.facebook.com/yvislan / open.spotify.com/album/2ZaRIeJq7jTKG2h6ueA6aN