InLight Empire de Franck Lesbros

Franck Lesbros – InLight Empire à l’Artothèque Antonin Artaud

L’enfer du décor

 

Franck Lesbros nous revient momentanément de New York pour une escale à l’Artothèque Antonin Artaud, le temps d’une exposition personnelle dans laquelle se déploie tout son univers.

 

Les œuvres de Franck Lesbros se situent à la fois dans le registre du dessin (préparatoire), dans celui de la sculpture, de l’installation, de la vidéo et du cinéma, mais également du son. Il combine dans sa pratique artistique ses talents de plasticien et son savoir-faire cinématographique. L’artiste avance ainsi dans une voie qui favorise la transversalité des médiums et la porosité entre différents domaines d’expression. Une voie qui, pour le philosophe Yves Michaud, représente la seule véritable tentative d’échapper à toute normalisation de l’art (1)
L’ambiance de ses films s’avère généralement inquiétante, sorte de cauchemars d’enfants, voire de dystopies dans lesquelles la lumière au fond du tunnel n’est pas forcément salvatrice (The Drawing Expérience). Revenant à une pratique cinématographique datant d’avant le numérique et les images de synthèse, il expérimente la petite cuisine du trucage, « de décor », en passant par l’animation d’une maquette dont il met en branle le contenu avec différents artifices. C’est dans ce travail de préparation, de « bricolage », qui précède le passage de l’espace physique (la maquette) à la fiction (le film), que l’artiste crée ses mondes chtoniens.
Dans sa version filmée et définitive, après montage et incursion de la musique qui accentue les effets anxiogènes de l’image, l’œuvre ne révèle pas forcément le « truc », même si le spectateur peut toujours percevoir le côté low tech de l’entreprise. Car Franck Lesbros ne cache jamais totalement l’envers du décor, qui se révèle dans un rapport d’échelle. La maquette, genre de boîte à chaussure, prend sur l’écran des dimensions et des aspects intimidants, que les effets de lumière viennent accentuer ou amoindrir. Pour sculpter l’espace dans lequel il plantera sa caméra, l’artiste n’a recours qu’à des matériaux pauvres (papier froissé, cartons scotchés…) qui, par la magie de l’image, sont anoblis à l’écran. Une démarche volontairement opposée à une conception « bling bling » de l’art, parfois à la limite du design, prévalant sur le marché de l’art.
Le soir du vernissage, à l’Artothèque Antonin Artaud, le public voyait la vidéo InLight Empire prendre vie. « Le spectateur assiste alors en simultané au tournage d’une vidéo et à sa projection, ainsi qu’à la création du son. » (2) Un exercice relevant de la performance (les gestes de l’artiste semblant chorégraphiés), pourtant pas sans prise de risque. Tout se crée dans l’instant, à la fois le film, sa narration et la bande son, elle aussi improvisée par le musicien convié par Franck Lesbros ce soir-là, le percussionniste Charles Fichaux. Sur l’écran géant, des vers de terre et des mantes religieuses évoluent dans une ambiance sombre et humide : InLight Empire n’inspire rien de bon au spectateur et rappelle, dans une moindre mesure et sans la même férocité, les huis clos de l’artiste chinois Huang Yong Ping, dans lesquels diverses bestioles s’entretuent sous nos yeux (Théâtre des mondes). La démarche de Franck Lesbros est tout autre, cherchant plutôt à « déspectaculariser » qu’à produire un événement sensationnel, proposant au visiteur une expérience à voir et à vivre, en toute complicité avec l’artiste en train de créer, solidaire des erreurs et des couacs, des hésitations et des aléas, des éléments et des insectes qui entrent en scène.
L’exposition montre en préambule des dessins préparatoires, des éléments appartenant à des films antérieurs, diffusés également pendant l’exposition, dont la petite maison noire du très burtonien Nightsquare Apology ou encore quelques évocations cinéphiles comme le monolithe de 2001, l’Odyssée de l’espace et les entrailles d’un tunnel cronenbergien…
Se dégage de cette exposition une grande humilité face aux forces de l’art, un retour au premier pas et au plaisir de faire, une grande place au désir et à la transmission, au partage. Franck Lesbros demeure toujours en quête d’améliorations, de dépassement et de renouvellement sans renier les valeurs sur lesquelles se sont fondés sa pratique artistique et son regard sur le monde, à la fois inquiet et confiant…

Céline Ghisleri

 

Exposition Franck Lesbros – InLight Empire : jusqu’au 17/12 à l’Artothèque Antonin Artaud (25 chemin notre dame de la Consolation, 13e).
Rens. : 06 08 99 85 27 / www.artothequeantoninartaud.fr

 

Notes
  1. « La véritable audace, dans l’art aujourd’hui, c’est de passer à d’autres formes. » Propos recueillis par Erwan Desplanques et Jacques Morice, in Télérama, 21/03/2009.[]
  2. Entretien Franck Lesbros, Cahier n°62, Artothèque Antonin Artaud[]