Cécile McLorin Salvant & Vincent Peirani © Emmanuelle Vial

Les festivals de Jazz 2016

Jazz à tous les étages

 

Si l’offre estivale de festivals jazz devient pléthorique, elle n’en recèle pas moins des pépites. Tour d’un horizon bleu.

 

L’été jazz (re)commence à Vitrolles avec le Charlie Jazz Festival. La vénérable association convoque des artistes d’exigence au Domaine de Fontblanche pour un évènement toujours populaire. Du guitariste John McLaughlin à l’exceptionnelle rencontre entre la diva féministe Cecil Mc Lorin Salvant et le non moins terrible accordéoniste « punk » Vincent Peirani, en passant par un échange entre le trompettiste Stéphane Belmondo et le pianiste Jackie Terrasson… la barre est haute, très haute. Encore ne s’agit-il que des têtes d’affiche, puisque sont conviés sur scène les excellents Yaron Herman (le pianiste sensible sera ici en duo avec son batteur, formule alléchante), Enrico Rava (le trompettiste italien free qui n’a jamais oublié le swing), sans compter les sélections d’artistes plus émergents (Ion, Imperial Quartet, le trio Un Poco Loco). Evidemment, la convivialité sera encore au rendez-vous, avec des fanfares détonantes (notamment les zigues du Syndicat du Chrome) et cet espace enchanteur du parc sous les platanes de l’ancienne bastide (on espère y retrouver les stands de la librairie militante Transit et des Allumés du Jazz, pour quelques riches échanges).
On pourra continuer le voyage en utopie à Avignon, où l’asso’ cousine AJMI convoque ses Têtes de Jazz en plein raout estival. Au fin fond du dédale de la Cité des Papes, les propositions alignent des doux dingues : en plus des artistes émergents présents à Vitrolles, on pourra s’encanailler avec divers projets de Leila Martial, amener ses enfants au Jazz for Kids, se délecter de ciné-concerts, mais aussi retrouver le jazz contemporain de Benjamin Faugloire, les délires oulipiens du saxophoniste Lionel Martin en duo avec le pianiste Mario Santchev.
Dans la famille des cités jazzistiques idéales, Jazz à Porquerolles s’affirme comme un vénérable écrin, accueillant comme il se doit le blues boy presque octogénaire Archie Shepp (parrain de la manifestation, qui fête ici ses quinze ans), ou bien encore le trompettiste new-yorkais Avishai Cohen, étoile montante d’un jazz sans concession, voire le sextet du contrebassiste Olivier Lalauze, lauréat du tremplin proposé par l’organisation, alignant des jeunes pousses d’exception issues de la couveuse du camarade Jean-François Bonnel au Conservatoire d’Aix-en-Provence (de même que Cécile McLorin Salvant, d’ailleurs…).
Pour autant, les musiciens embarqués dans les expériences utopiques n’en dédaignent pas moins les festivals populaires. Ainsi, on retrouvera le combo d’Olivier Lalauze au Festival de Big Band de Pertuis, en août… mais ce dernier aura auparavant tenu la basse avec la harpiste (très rare, la harpe dans le jazz) Christine Lutz, pour le Jazz en Sol Mineur de Gréasque, dont les organisateurs ont eu la très bonne idée de déplacer leur programmation après le Charlie Jazz Festival. Le village minier, culturellement très actif, aligne des concerts entre les Puits Hély d’Oissel (Musée de la Mine) et le parc du Château, avec notamment le Pannonica Quintet du saxophoniste régional Jean-Charles Parisi, ou bien encore le trio Azzuro du batteur légendaire Aldo Romano. Las, le même week-end, Kenny Barron, l’un des derniers boppers, se produira à Beaupré : emmenée par la figure tutélaire du mythique pianiste phocéen Roger Ménillo, l’association Art-Expression fait plus que jamais l’assemblage entre jazz et vin. Dans les périphéries d’une région métropolisée, Jazz à Grans émerge aussi avec notamment le trio du pianiste d’origine antillaise Mario Canonge, dont le swing n’oublie jamais les tropiques. Mais pour la gratuité synonyme d’un jazz populaire d’exigence, c’est à Toulon qu’il conviendra de se rendre : apéros avec des artistes régionaux en émergence, ateliers pour musiciens amateurs et têtes d’affiche d’excellence — avec des artistes nationaux d’importance pour l’évolution du jazz, comme le quartette de la saxophoniste Géraldine Laurent dans son hommage à Charlie Parker, ou encore les frères Bogé dans leur émouvant mix « celto-swing »…
A Marseille, désormais emmené par l’entreprenant Stéphane Kochoyan, Jazz des Cinq Continents a déjà peu ou prou commencé… Avec son dispositif Marseille Heure Jazz, les partenariats se sont développés, notamment avec les cinémas, voire le FID via la projection du cultissime Let’s Get Lost consacré à Chet Baker, suivie d’une prestation du duo Le Loil/Pacini (trompette/guitare) au Théâtre Silvain et, bien sûr, l’Alcazar (cycle Alcajazz, avec des musiciens présents au festival sollicités pour des conférences musicologiques et une exposition consacrée au label atmosphérique ECM), ou même les Archives Départementales — l’exposition Accordé O Jazz dont le commissariat a été confié au saxophoniste et chercheur Raphaël Imbert… En cette année « chet bakerienne », c’est un plateau en hommage au trompettiste maudit qui bénéficiera certainement de la ferveur des cats, alignant notamment la lumineuse Airelle Besson et le somptueux José James. Les orientations actuelles d’un jazz imprégné de musiques d’aujourd’hui seront bien là, notamment avec le trompettiste néo-orléanais Christian Scott, jeune homme en colère à la trompette affûtée, ou encore Snarky Puppy, pour des moments de groove sans pareil. La terrasse du MuCEM vibrera de l’émouvant hommage que Hugh Coltman rend à Nat King Cole, ou encore de l’électro-jazz « arménien » des frères Karapetian. Sans compter les afters animés par le trop rare Cyril Benhamou, ou encore Istanbul Sessions à La Friche…
Lassé de l’urbain, on pourra toujours aller prendre l’air, entre autres, à La Londe Jazz Festival : le village varois convie notamment le sémillant claviériste Laurent Coulondre à la tête d’un trio groovy et swing à souhait. Et puis, en bord de mer, on pourra rejoindre Ramatuelle pour les prestations toujours surprenantes du quintet du sax soprano Emile Parisien, voire de The Amazing Keystone Big Band, dans son nouveau répertoire en hommage à Django Reinhardt. Bien sûr, on aura pu pousser jusqu’à Juan-Les-Pins, notamment pour un plateau alignant rien moins que Gregory Porter, Archie Shepp et Charles Lloyd… Et l’on pourra profiter de la splendide cour de l’Hôtel de Gallifet à Aix lors du festival Arty Jazz qui, tout l’été, propose artistes régionaux et internationaux : des légendaires Camion Pizza à Sangoma Everett Trio, sans oublier John Massa, sax ténor ô combien coltranien, ou The Shoeshiners Band, emmenés par la délicieuse Alice Martinez, avec, tiens donc, encore Olivier Lalauze à la contrebasse… In fine, c’est bien toute une région qui se drappe de bleu.

Laurent Dussutour