Yan Gourdon membre de France et du collectif La Nòvia

Festival Nuit d’Hiver

La grande boucle

 

« Repeat or no repeat ». Ainsi le nouvel adage du festival Nuit d’Hiver introduit-il cette douzième édition à la thématique forte et omniprésente, mais faite d’ouvertures. Du compositeur Moondog, le « Viking de la 6e Avenue », aux musiques d’Auvergne, il n’y avait par exemple qu’un pas, que le GRIM a franchi avec brio.

 

Forcément, pour le média spécialisé dans l’actualité locale que nous sommes, contraint par la répétition annuelle d’événements incontournables, les affres et les joies liés à la répétition, ça nous parle. Mais attention, car si la tâche n’est guère aisée de prime abord, c’est aussi dans ces moments de retrouvaille journalistique que l’on perçoit, sous un apparent schéma répétitif, tout le chemin parcouru. Car si la répétition n’est que le socle, ce qui s’en dégage nous dépasse tout autant que le présent nous glisse entre les doigts. De fait, sorti du cadre purement informatif, il est extrêmement périlleux de se risquer à l’analyse de phénomènes artistiques vivants, ressentis et perçus en temps direct. Plus simplement : est-il réellement possible d’avoir du recul sur le présent et ce qu’il implique ? D’autant plus lorsque celui-ci n’est par essence qu’une mise en abîme permanente de son propre passé. Sous cet angle, la répétition n’existe pas. Car sous une prétendue réalité, elle n’est autre que le fantasme de l’instant figé… Quoi qu’il en soit, dans le domaine musical, son étude et son analyse se révèlent passionnantes. Des montagnes occitanes aux grandes avenues américaines, d’une pratique à l’autre, lorsqu’on bouleverse les déterminismes imposés par les centres, il ne reste que des langages entremêlés. Exit « musique populaire », exit « musique savante », vous appartenez au passé. C’est toujours maintenant que tout commence !
Moondog, compositeur aussi célèbre pour avoir déambulé dans les rues de New York habillé en viking que pour ses nombreuses pièces « anachroniques » d’une épatante richesse, est en quelque sorte à l’honneur de cette édition (même si Reich et Riley se tirent la bourre) : le festival démarre fort en invitant l’ensemble pour percussions et cordes Minisym, lancé dans un vibrant hommage au « clochard céleste ». Juste avant le concert, Amaury Cornut, qui a signé la première biographie en français consacrée au compositeur, animera une conférence sur le personnage. Beaucoup qualifient à juste titre Moondog de « pont ». Tant il aura permis la rencontre, non seulement entre les sphères sociales, mais également entre les cultures : des percussions amérindiennes à la musique classique occidentale, en passant le jazz et la luxuriante Amazonie. Mais un autre fait marquant demeure dans cette nouvelle édition, des formes musicales malmenées par l’histoire, prêtes à briser l’un des grands tabous franco-français en résonnant au-delà des montagnes brumeuses d’une affiche en trompe-l’œil. Faune, France et Sourdure signent l’entrée des musiques traditionnelles auvergnates dans une programmation qui en devient d’autant plus pertinente. Il faut dire que des collectifs comme La Nòvia, Hart Brut ou Les Brayauds ne lésinent pas en matière de dissection des spectres sonores émanant de cabrettes, vielles à roue, bohas, boudègues et autres tambourins à cordes. Comme si le voile se levait chaque jour un peu plus sur des formes qui ont beaucoup souffert, de la Guerre de 14 (elle a vidé la France) autant que de l’ignorance (elle a vidé des cerveaux), que du centralisme avec sa pensée unique et indivisible (il a vidé la République). Il faut dire que la France pèche sérieusement en la matière, même si ce mouvement s’inscrit dans la continuité des collectages ethnographiques effectués depuis les années 30 en passant par le renouveau des années 70, tout en se distinguant. « Ce qui caractérise La Nòvia, c’est une certaine radicalité dans l’expression sonore qui s’appuie sur des éléments qui nous sont apparus essentiels à l’écoute des collectages : le bourdon, le motif et la répétition, la cadence, et la saturation acoustique. En choisissant de développer et d’affirmer ces éléments comme langage à part entière… », précise le vielliste Yann Gourdon, membre de France, au blog Les Maîtres Fous.
L’an dernier, nous interviewons Jean-Marc Montera, directeur du GRIM, à propos de son point de vue concernant l’éventuelle existence de révolutions musicales : « C’est un processus sur le long terme. La rupture est revendiquée, mais est mûrie depuis longtemps. Elle n’est pas issue d’une génération spontanée. » Si le format du festival se répète, contrairement à ce que l’on pourrait hâtivement penser, c’est à y regarder de plus près : vous découvrirez une perpétuelle évolution.

Jordan Saïsset

 

Festival Nuit d’Hiver : du 11 au 21/12 à Marseille.
Rens. www.grim-marseille.com

Apéro au Waaw (17 rue Pastoret, 6e) le 4/12

Faune sera également en concert le 13/12 dans les caves de l’Atelier C (Place F. Rey, à côté de l’Espace Van Gogh) à Arles. Rens. www.zinzan.festival.sitew.fr

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