Heather Leigh © Cole Peters

Festival Nuit d’Hiver #14

Savants de Marseille

 

Pour la dernière édition présentée sous cette forme par le GRIM, le Festival Nuit d’Hiver — patte d’oie incontournable des musiques mûrement réfléchies — profitera cette année du couplage salutaire entre le GRIM et le GMEM au début de l’année 2016 : deux collectifs historiques et engagés, soucieux du devenir de la musique expérimentale et contemporaine en France, mais pas seulement.

 

Cette fusion marquante est parvenue à s’établir dans les hauts plateaux de la Friche La Belle de Mai, devenant au même titre que le Cabaret Aléatoire, l’AMI et Radio Grenouille/Euphonia une figure intégrante de la SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) : une extension savante qui fera de Marseille la nouvelle capitale des centres de recherche et de création musicales de France. Ce nouvel espace pensé sur trois niveaux comprendra un foyer pour les artistes et les visiteurs, une salle pédagogique ouverte aux étudiants, deux salles de répétition, un studio d’enregistrement avec régie, des bureaux et une jolie chapelle pouvant accueillir différentes formes de représentations : un véritable pôle musical qui (pré)voit les choses en grand, et en groupe.
Manœuvré par l’artiste Jean-Marc Montera depuis son origine, le GRIM s’attèle à la défense de toutes les musiques « non-écrites » et « débridées », leur promotion et leur inscription dans la grande histoire de la musique, soutenues par différentes approches de l’expérimentation musicale. Son champ d’action s’étend de l’accueil d’artistes nationaux et internationaux, des formations, des résidences, des concerts et des sessions d’enregistrement, jusqu’à la production finale et matérielle de l’objet discographique.
Une démarche et une vision d’ensemble dans lesquelles s’inscrit naturellement le festival Nuit d’Hiver, de par son approche liée à l’émotion et au sensible, à l’expérience et à l’improvisation, qui déplacera l’auditoire aux confins du plaisir auditif. Qu’il n’y ait pas d’artifice sur l’emballage, il est ici question de musique contemporaine, noise et résolument « savante » : les cils auditifs ne seront pas bien coiffés, mais il fera bon s’y délecter les sourcils froncés.
Cette année encore, Nuit d’Hiver invite son public à des concerts, des séances d’écoute, des spectacles et des conférences, avec des musiciens et acteurs internationaux issus de tous bords. Une programmation plurielle et soignée répartie sur cinq lieux éminents de la culture à Marseille, à savoir la Friche, les Archives départementales Gaston-Defferre, le Temple protestant de la rue Grignan, l’Embobineuse et, bien évidemment, Montévidéo. Il est d’ailleurs saisissant de remarquer à quel point l’auditoire de Marseille — et cela concourt volontiers à sa féerie désenchantée mais passionnellement attractive — se complait si généreusement dans le bizarroïde crasseux, les concerts obscurs, intelligents et souterrains, symboles souverains du défrichage globalisé. Crânerie mise à part, ces rencontres débuteront dans les locaux de Montévidéo par la traditionnelle séance d’écoute de Nicolas Debade, qui s’intéressera cette année au message (volontaire ?) véhiculé par la musique et son compositeur, en convoquant aussi bien Beethoven que Merzbow ou Alvin Lucier, une conférence suivie par la prestation du Britannique Chris Cutler (ancien Henry Cow, Pere Ubu ou encore The Residents), qui mêlera percussions entortillées et manipulations « électroniques ». N’en déplaise aux terre-à-terre, le souterrain n’est pas le seul apanage de Nuit d’Hiver : il propose cette année une expérience électroacoustique au milieu des requins-marteaux, avec quatre points de diffusion et six oscillateurs reprenant chacun les enregistrements dudit animal. Une immersion sous-marine manœuvrée par Kaffe Matthews, qui sera soutenue par le concert de My Cat is An Alien, projet « maison » et singulier des frères Opalio, accompagnés cette fois de Joëlle Vinciarelli, aussi membre de la Morte Young. Le festival ne compte pas en rester là, à en croire la pluralité de la programmation : le spectacle total de La Longue Durée, les improvisations noise mais soignées de Mats Gustafsson (appui occasionnel de The Ex, Merzbow ou encore Sonic Youth) et dieb13, le krautrock remanié de Nicolas Dick et Jean-François Thieulen, Year of No Light (souvent décrit comme « The Cure jouant du sludge »), mais aussi Clara de Asís et Noël Akchoté, le folk déviante de Heather Leigh, le « super » orchestre Strange Angels, l’hommage à l’orgue par Freddy Eichelberger et la traditionnelle soirée de clôture. Un fusion gagnante, et un rendez-vous incontournable de cette fin année. On attend l’ouverture du nouveau lieu avec impatience.

Josué Fontaine

 

Festival Nuit d’Hiver #14 : du 14 au 21/12 à Marseille.
Rens. : 04 91 04 69 59 / www.grim-marseille.com

Le programme complet du Festival Nuit d’Hiver #14 ici