Julie Vercauteren dans La Dafne de Caldara © Victoria Barracto

Festival Mars en Baroque

Galaxie baroque

 

Ainsi l’a fixé le comput annuel de Concerto Soave, Jean-Marc Aymes à la barre ramène le vaisseau Mars en Baroque avec la nouvelle Lune d’équinoxe. En cette XXI édition, musique et poésie souffleront ensemble pour gonfler la voilure du festival et leur chant célèbrera ce printemps des musiciens qui se leva sur l’Europe à l’aube du XVIIe siècle et d’une voix neuve se fit l’interprète d’une sensibilité qui changeait de saison.

 

 

La foudre n’eût pas agi autrement que cette nouvelle façon de séduire et de toucher. Ce lyrisme inédit s’ordonnance simplement (tout au moins au début) autour d’une monodie accompagnée et d’une déclamation où se mêlent le parler et le chanter. La foudre ? Plutôt l’illumination soudaine d’une scène de théâtre, car c’est bien l’opéra qui surgira de ces laboratoires de recherches artistiques en fermentation à Florence, Mantoue et rapidement se propagera à Venise, Rome, Naples, puis débordera les frontières de l’Italie. Cette édition rend justice à la voix comme vecteur privilégié d’un nouveau sentiment esthétique dont l’effusion a, comme toujours ce qui est neuf, chanté la joie d’éclore, d’espérer tout. Plusieurs concerts illustreront également l’empressement avec lequel la musique instrumentale a su adopter les séductions mélodiques de la vocalité.

« Baroque le traître mot (1)) » ! Les chrononymes réduisent le millefeuille des vécus, l’inextricable enchevêtrement de circonstances qui déterminent les acteurs d’une période musicale disséminés dans la nébuleuse d’un art intimement mêlé à tous les registres de l’existence collective. C’est l’une des vertus du festival que de restituer ses couleurs, année après année, au moyen de coups de télescope détaillés, à ce grand arpent de notre ciel artistique.

La musique possède, plus encore que l’image, des qualités immersives. Vibrez au diapason de la galaxie baroque en embarquant dans la machine à explorer le sensible que Mars en Baroque disposera de lieu en lieu du 4 au 31/03. Parmi ses trente manifestations, trois exemples particulièrement inspirateurs attestent de la vitalité du festival.

 

Transformisme

Pour chaque édition de Mars en Baroque, Concerto Soave s’attelle à la restauration, en version concert, d’un opéra méconnu dont les qualités musicales attendaient le coup de baguette providentiel d’un directeur artistique clairvoyant. Jean-Marc Aymes a choisi la Dafné d’Antonio Caldara dont les exécutions modernes se comptent sur les doigts d’une seule main. Créé à Salzbourg en 1716, ce drame pastoral est situé, comme son auteur, au carrefour de traditions lyriques européennes et sur un point d’inflexion de l’histoire du théâtre musical où, précisément, le baroque tardif rencontre les primeurs d’un style que, plus tard, Mozart portera à son zénith. C’est dire si la tâche de Jean-Marc Aymes est subtile afin de restituer le caractère bigarré d’une œuvre dans laquelle, c’est souvent le cas dans les moments de transition, tout paraît sapide et frais. À l’image du plateau vocal emmené, dans le rôle-titre, par la soprano Julie Vercauteren dont nous avions apprécié la prestation en 2021 dans La Contesa de’ Numi du même Caldara. Toute d’agilité cristalline, sa voix rythmera les cascades légères, les cabrioles aériennes, les intervalles bondissants de la fuite de Dafné avec, touchante, la pulsation véhémente d’un cœur qui bat la chamade jusqu’à sa métamorphose finale (le 21/03 à La Criée).

À l’occasion de cette production, le conférencier Patrick Barbier mettra ses pas dans ceux d’Antonio Caldara, musicien voyageur en son heure partout célébré, et nous entraînera à ses côtés dans un passionnant périple de Venise à Vienne (le 18/03 à l’Alcazar).

 

En ce temps-là…

Pour mettre en évidence le primat de l’historicité au cœur même de l’innovation musicale, Musicatreize féconde l’écoute contemporaine avec d’autres héritages et, pour le festival, enrichit le présent baroque de son passé rapproché et d’un lointain futur… Le siècle improbable que nous habitons. Le concert proposé par l’Ensemble vocal de Roland Hayrabedian place ainsi, en avers d’une messe de Claudio Monteverdi, une création de Dominique Lièvre pour douze voix et violoncelle, Noir Lumière et Outrenoir en hommage à Pierre Soulages. Les leçons de Ténèbres du peintre installent le compositeur en surplomb de la zone la plus originaire de la création où disparaissent, dans l’insondable, tous les faux-semblants de la représentation. La démarche pourrait sembler en discord avec le spectaculaire théâtre des apparences assorti à l’âge baroque si l’on ne se souvenait que la musique sacrée et les tableaux de vanité d’un large XVIIe siècle furent traversés par un memento mori radical qui demandait aux médiations de la religion et de l’art une ressource face à l’inexprimable. Modalités d’un même élan, le désir et l’angoisse, le plaisir et le tourment ont cultivé des accommodements déconcertants dont les artistes, savants casuistes de l’ombre et de la lumière, ont su ménager les effets. Translucide et impénétrable comme un brou-de-noix de Soulages, la composition de Dominique Lièvre confie son cantabile au violoncelle (Frédéric Audibert), si proche de l’intonation humaine dans son registre grave et méditatif, et le fait concerter en compagnie des chanteurs avec la poésie sibylline de Kévaly Kheuanesombath écrite pour la circonstance.

Encore emprunte de l’ancienne tradition polyphonique franco-flamande, la Missa in Illo Tempore de Monteverdi datée de 1610 est généralement donnée avec, en incise, deux stances composées par le maestro de Mantoue dans le style nouveau (seconda prattica) qui constituent une adresse aux premiers mots de cette messe « En ce temps-là … ». Façon de marquer le changement d’époque. Quoi de plus efficace alors que de suivre la lecture de l’Ensemble Musicatreize pour mettre en intrigue cette œuvre à l’intérieur du mouvement qui la prolonge, la conteste et l’utilise ? Un clin d’œil éclairant. (Le 17/03, église Saint-Théodore).

 

La nature de l’intime

En coréalisation avec le Ballet National de Marseille, le spectacle The Nature of Intimacy réunit quatre danseuses à l’intérieur du cercle étroit d’une proximité à fleur de peau. Les surfaces tactiles s’y frôlent à si faible distance qu’elles chargent l’espace entre elles d’une force attractive qui maintient l’ensemble en convergence. La chorégraphe Agostina D’Alessandro emprunte le visage d’une muse pour révéler, en transparence, la beauté d’une autre. Afin de pénétrer au cœur des compositions vocales de Francesca Caccini (1587-1641), elle adopte le conduit d’une danse dont l’esthétique relève de ce merveilleux ailé, pudique et sensuel, dérobé au regard de Botticelli sur la ronde de ses Grâces. Ici, les corps s’enroulent dans les torsades d’une même flamme que la fine pointe des sons module et caresse. Là, le chant moelleux de la soprano Roxane Choux, accompagné du violoncelle et du luth, opère ses onctions, magnétise les ondoiements des mains et des bras, étire voluptueusement le contraposto des bustes et des hanches, oriente l’axe invisible autour duquel les mouvements orbitent. Ainsi métamorphosées par les enchantements de l’une des toutes premières compositrices d’opéra, les quatre nymphes accèdent à la vie perpétuellement fugitive des groupes sculptés par le Bernin au moyen d’un langage commun qui est un ambigu précieux des choses de l’art et de l’intime. Une scène au carreau de laquelle il serait indiscret de frapper, mais dont on restera, dans la pénombre de la salle, le témoin médusé tel Actéon découvrant, au détour du chemin, le bain de Diane avec ses suivantes (Le 18/03, BNM).

 

Roland Yvanez

 

Mars en Baroque : du 4 au 31/03 à Marseille.

Rens. : www.marsenbaroque.com

Toute la programmation du festival Mars en Baroque ici

 

 

Notes
  1. (1) Vous avez dit Baroque? P. Beaussant (Actes Sud[]