Je sais qui j'e?tais quand je me suis leve?e ce matin de Pascal Navarro

Festival des Arts éphémères au Parc de Maison Blanche

Le lièvre de Mars

 

Pour le Festival des Arts éphémères, les pelouses du parc de Maison blanche se couvrent d’œuvres pour offrir un voyage dans le pays merveilleux… de l’art contemporain.

 

Vu de l’extérieur, l’art contemporain peut être perçu comme une élucubration imaginée par des gens qui marchent la tête en bas, autrement dit qui ne portent pas sur le monde le même regard que celui du commun des mortels, et qu’ils tentent de synthétiser dans une forme, une matière, un concept… Toute entreprise de rapprochement entre le grand public et le monde de l’art est salutaire, puisqu’elle tente de déjouer le pessimisme de certains. L’exposition Il est l’heure des rêveurs s’appuie sur Lewis Carroll, et particulièrement sur Alice, dont chaque épisode relève d’une trouvaille conceptuelle digne de l’art contemporain : le joyeux non anniversaire, peindre les roses blanches de la Reine de cœur en rouge… Chaque aventure que vit Alice procède d’une invention formelle où la matière se transforme, où la réalité flirte avec le rêve, où les idées se brouillent pour en faire émerger de plus extravagantes encore…
Pour cette sixième édition du Festival des Arts éphémères, Erika Negrel (association Voyons Voir) et Lydie Marchi (Hydrib) programment vingt et un artistes, dont les œuvres peuvent nous intriguer et nous amener, presqu’à notre insu, à entamer un voyage qui nous propulserait hors du parc, hors du temps et bien loin de toutes nos certitudes… L’idée curatoriale étant ici de prendre en compte la spécificité d’un public « non acquis » et de provoquer cette tendre rencontre guidée par les lapins de Denis Brun… Dans l’écrin du Parc de Maison Blanche, l’enjeu pour les artistes est de créer (la plupart des œuvres sont produites pour l’événement) avec deux contraintes : l’éphémère et la nature. D’où des œuvres qui s’éteignent, comme celle de Pascal Navarro (Je sais qui j’étais quand je me suis levée ce matin), qui trace dans la pelouse de mystérieuses formes dématérialisées, agglutinées on ne sait comment pour former une sculpture en forme d’ode à l’absurdité du monde d’Alice…  D’où aussi des œuvres de passage, comme la grotte féerique sur un îlot de sable où  Benjamin Marianne protège le reliquaire d’objets d’ailleurs, ou le satellite d’Amandine Guruceaga, construction fragile, posée là dans un équilibre précaire. La fugacité des œuvres et du festival nous ramène à des questions de temps : les œuvres vivent au milieu de cette nature en mouvement. Mais ici, le temps se distend, comme avec la toute petite balançoire de Micol Grazioli, accrochée tout en haut d’un arbre qui a poussé plus vite que prévu, ou le Nono de John Deneuve, qui a chu ici et dont on ne retrouve la trace que quelques années plus tard, démantibulé, dévissé, rouillé comme le vestige d’un futur fictionnel. Le temps s’accélère parfois, comme autour de la caravane de Driss Aroussi, recouverte par la végétation comme un temple bouddhiste dans les forêts d’Angkor. Des questions paysagères s’imposent à Nicolas Desplats, qui ose une peinture en extérieur, revenant à la tradition de peintre sur motif. Il crée une mise en abîme picturale de la réalité qui l’entoure. Les jeux d’enfants peuplés de monstres gentils ou inquiétants se sont glissés dans les œuvres de Wendy Vachal et de Gilles Oleksiuk. Ce dernier installe une gigantesque méduse réalisée avec des bouteilles en plastique récupérées. Quant à la première, elle nous invite à entrer dans une cabine où un miroir nous renvoie l’image d’une singulière robe pour une Alice prise au jeu de sa duplicité. Comme en écho aux toboggans et aux tape-cul, Emmanuel Régent joue sur les mots avec une étoile en rupture d’échelle…
Tout au long de la visite, le temps s’étire jusqu’à s’inverser parfois. Dans la bastide, Ludovic Sauvage nous plonge dans la nuit noire d’une salle de réunion transformée en porte qui s’ouvre sur un autre espace-temps, tandis que Luce Moreau nous livre les secrets des étoiles de l’hiver dans une gigantesque photographie, figeant le parc dans une autre saison. Avec un ton que ne renierait pas le chat du Cheshire, Emmanuelle Bentz propose pour sa part, à travers des performances et des vidéos, un étonnant parcours de santé qui peut nous mettre hors d’haleine. Unique et ultime : le pique-nique/performance d’Elodie Moirenc, qui imagine une œuvre fugace et participative en transformant la pelouse du parc en plateau vichy pendant le Printemps de l’Art Contemporain (le 1er juin de 12h à 15h)… Comme une invitation à déjeuner chez les fous… « Comment savez-vous que je suis folle ?, demanda Alice.?Il faut croire que vous l’êtes, répondit le Chat ; sinon, vous ne seriez pas venue ici. »

Céline Ghisleri

 

Festival des Arts éphémères : Du 22/05 au 7/06 au Parc de Maison Blanche (150 avenue Paul Claudel, 9e).
Vernissage le 22/05 à partir de 18h30.

Rens. www.marseille9-10.fr / https://www.facebook.com/festivaldesartsephemeres2014