Het Land Nod du FC Bergman © Kurt Van der Elst

Festival d’Avignon 2016

Rêve général

 

Sous l’emblème du cheval de Turin dessiné par l’artiste Abdel Abdessemed, qui figura l’adieu à l’humanité de Nietzsche avant qu’il ne sombre dans la folie, cette troisième édition du Festival d’Avignon sous la houlette d’Olivier Py se rêve aussi comme un symbole de la résistance de l’art face à l’impuissance politique.

 

Plus resserré que jamais (le In s’étendra sur dix-neuf jours), le programme du festival, qui célèbre cette année ses noces de platine avec sa concubine Avignon, n’en demeure pas moins vertigineux, tout comme sa thématique, « L’Amour des possibles », déclinée au travers de cinquante et une propositions jetant des passerelles entre le théâtre et la politique.
En chiffres, cela donne quarante pièces, dont vingt-six de théâtre, sept de danse, quatorze « indisciplinaires », quatre musicales et deux expositions, auxquelles s’ajoutent huit « Sujets à vif » et trois formes courtes sélectionnées dans le festival XS de Bruxelles.
Car si cette année offre, pour la première fois dans la Cité des Papes, un focus sur le Moyen-Orient avec notamment Omar Abusaada et Mohammad Al Attar, Ali Chahrour, Amir Reza Koohestani (invités des dernières Rencontres à l’Echelle) et Amos Gitaï, les Belges seront également en nombre (Raoul Collectif, FC Bergman, Lisbeth Gruwez, Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, Anne-Cécile Vandalem…).
En outre, les femmes comptent pour un tiers des artistes, une avancée encourageante même si la parité n’est pas encore atteinte ­— elle serait, selon Py, « difficile à faire ». Gageons qu’avec un peu d’effort, il finira par y arriver.
Lors de la conférence de presse donnée en mars dernier, plusieurs mots revenaient dans la bouche du directeur artistique pour présenter les différentes œuvres programmées : « peur », comme dans « peur de l’autre », « angoisse », « effondrement », « nationalisme », « populisme », « violence », « Europe »… Effectivement, plusieurs des artistes invités ont choisi de travailler sur des thématiques politiques ou sociétales faisant écho à une actualité anxiogène, s’emparant avec ardeur de l’objet politique pour lui redonner du sens.
Dans cette veine, artistes reconnus et moins connus se confondent pour livrer une image du monde qu’ils habitent. Images qui forment une mosaïque composite, témoignant de faits réels, historiques ou actuels, ou cherchant à convoquer de nouvelles réalités.
Ainsi, Maëlle Poésy se penche sur l’idée de la révolution par les urnes dans Ceux qui errent ne se trompent pas de Kevin Keiss, ou comment un pays imaginaire prend de plein fouet la vague de 83 % de votes blancs lors d’une élection. Angélica Liddell continue pour sa part son exploration radicale de la violence humaine dans un aller-retour entre Paris et Tokyo, entre les attentats de novembre 2015 et l’histoire du cannibale japonais Issei Sagawa, avec ¿ Qué haré yo con esta espada ?
La Cour d’Honneur accueillera deux œuvres adaptées du cinéma : Les Damnés de Luchino Visconti, dont Ivo Van Hove a extrait le matériau scénaristique comme base de jeu pour les acteurs de la Comédie-Française et qui dresse un parallèle entre l’Europe à l’époque de la montée du nazisme et celle d’aujourd’hui ; Amos Gitaï transpose quant à lui son film Yitzhak Rabin : Chronique d’un assassinat, le temps d’une soirée unique.
Les romans ont également inspiré plusieurs artistes, parmi lesquels deux metteurs en scène déjà présents et plébiscités en juillet dernier : Krystian Lupa, qui s’attèle de nouveau à Thomas Bernhard avec Places des Héros, et Kyrill Serebrenikov, qui s’attaque à Gogol dans Les Âmes mortes. Tandis que Julien Gosselin s’interroge sur la répétition au 21e siècle des horreurs du siècle précédent dans une pièce fleuve de douze heures à la Fabrica, adaptation du roman testamentaire de Roberto Bolaño, 2666.
Cette édition fait aussi la part belle aux créations de collectifs tels que le FC Bergman et leur Het Land Not, situé dans le Musée des Beaux-Arts d’Anvers, ou les Grecs du Blitz Theater Group, qui touchent au sacré dans 6 a.m. How to disappear completely.
Dans le focus Moyen-Orient, on retrouve deux créations vues à Marseille dans le cadre des Rencontres à l’échelle : Hearing de Reza Koohestani et Fatmeh d’Ali Chahrour. Ce dernier présentera une nouvelle œuvre, Leïla se meurt, ou le chant poétique d’une pleureuse. Et Mohammad Al Attar et Omar Abusaada, qui nous avaient émus avec Antigone of Shatila, scrutent la société syrienne par le biais d’un homme dans le coma suite à une bagarre dans Alors que j’attendais.

Côté danse, l’Américain Trajal Harrell nous initiera dans Caen Amour au « hoochie coochie », une danse du ventre suggestive éclose à la fin du 19e siècle à Philadelphie, Lisbeth Gruwez examinera la peur dans We’re pretty fuckin’ far from okay, alors que Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet réactualiseront le mythe de Babel avec Babel 7.16.
A noter, les « Sujets à vif » convieront entre autres Jonathan Capdevielle et Lætitia Dosch pour Les Corvidés, ainsi que la rappeuse Casey et le danseur et chorégraphe Kevin Jean pour Les Promesses du Magma.
En marge de cette programmation pharaonique, les événements récurrents tels que les « Ateliers de la pensée », « La Nef des Images », ou encore « Les Territoires cinématographiques », se dérouleront tout au long du festival qui se clôturera en musique avec DJ Pone, General Elektriks, et la Prima Donna de Rufus Wainwright.

Barbara Chossis

 

Festival d’Avignon : du 6 au 24/07 à Avignon.
Rens. : www.festival-avignon.com

Le programme complet du Festival d’Avignon ici