Son Seul de Felix Blume

Félix Blume au Musées des Tapisseries

Ingénieux du son

 

L’association Lab Gamerz a installé tout un dispositif technologique dans deux salles du Musée des Tapisseries d’Aix-en-Provence. Au cœur de l’atmosphère ouatée des monumentaux tissages, datés des trois ou quatre siècles derniers, cet insert contemporain est occasion de donner à voir, mais surtout à entendre, le travail de l’artiste Félix Blume, qui focalise sa réflexion vers le pouvoir poétique du son, au service duquel intervient parfois une image dissonante.

 

 

« En général, en audiovisuel, en cinéma, on a tendance à travailler d’abord l’image, et ensuite à utiliser le son pour l’accompagner. Dans mon cas, j’essaie de renverser ces rôles, afin que l’image puisse servir le son. Voir le micro dans l’image crée une dissociation entre le point d’image et le point d’écoute, ce qui nous invite, d’une certaine manière, à écouter », explique Félix. C’est l’objet de sa série de trente-cinq films très courts, Son Seul / Wildtrack, dont le titre reprend modestement le jargon du preneur de son, parti en chasse de bruits isolés et sauvages, collectionnant les pistes qui donneront matière et profondeur aux paysages sonores des films. Les films de Félix, en boucle sur des écrans plats, sont tendus aux oreilles du public par des casques audio, ingénieux procédé pour nous isoler, et nous immerger à notre tour dans l’exploration sensorielle, à la poursuite d’un infime cliquetis ou d’un entêtant fracas. La perche du micro devient alors une sorte de prothèse : elle nous augmente d’une technologie, parce qu’elle amplifie notre audition. En résultent, on est bien d’accord avec Paul et Luce (Paul Destieu et Luce Moreau, aux arts comme à la co-direction de Lab Gamerz), « des situations un peu barrées, comme ce moment où l’un·e de ses ami·es à la caméra filme Félix, qui lui, avec sa perche, court dans le désert, autrement silencieux, à la poursuite d’une canette de Coca-Cola » qui roule en clinquant. Ces pratiques flirtent avec l’acousmatique (du décalage entre un son et sa source, qui peut être invisible), avec les parties intégrantes mais éclipsées du cinéma depuis l’extinction du cinéma muet, aux origines aussi de la musique concrète ou encore, plus récemment, renvoient au succès des podcasts et de l’ASMR. Elles fonctionneraient presque comme un caisson d’isolation sensoriel, au sein duquel ne subsisterait plus que l’attention aux subtilités de l’environnement sonore. Un décalage poétique, qui, pour une fois, nous guide au-delà de notre visiocentrisme ambiant, puisque l’accent tonique est mis, là, sur l’ouïe.

On entre dans une narration, une histoire fugace mais prégnante, dont « le protagoniste est le son », qui vit sa vie parfois extraordinaire, parfois ordinaire, de son. Félix consigne ses prises depuis les quatre coins du monde (avant de les mettre à disposition libre sur la plateforme web FreeSound). La focale auditive qu’il opère permet à la fois des « visions », si l’on peut dire, qui frisent la contemplation et l’amusant imaginaire, transport au-dehors et au-dedans, allant du joliment absurde au carrément grotesque.

Le circuit auditif nous conduit ensuite vers une installation spacieuse et aérée : l’Essaim. Félix Blume a enregistré le bourdonnement de deux cent cinquante abeilles différentes, tandis que Grégoire Levain a conçu deux cent cinquante circuits pour deux cent cinquante petits hauts-parleurs suspendus plus ou moins à hauteur d’oreilles. L’immersion est bien sûr curieuse, une petite promenade bucolique, tout à fait sécurisée : nul besoin de revêtir l’habit de cosmonaute pour alunir dans la cyber ruche. Peut-être aviez-vous déjà fait la rencontre de l’Essaim aux Ateliers Jeanne Barret, au cours du court festival Métaboles ? Toujours-est-il qu’il est mouvant, et qu’il a été installé dans la mesure de cette pièce, exempte de tapisseries, mais emplie d’une multitude de petits fils bien plus récemment tramés. Imaginons, pessimistes, si nous étions amené·e·s à remplacer les abeilles par des petits drones pollinisateurs : le bruit des abeilles disparaîtrait-il avec elles ? Au pire pourrons-nous écouter les archives que nous laisse Félix.

Le Lab Gamerz / M2F Créations devrait fêter bientôt ses vingt années de techniques et numériques services à l’accompagnement des artistes — et des publics — vers les formes artistiques multimédias. Contre le consumérisme technologique, leurs regards (et auditions) critiques s’inscrivent en recul de certaines politiques actuelles, de la course à la dématérialisation, par exemple. Ses membres actif·ve·s, et artistes aussi, organisent le festival Gamerz, qui devrait, espérons le, revoir le jour après la mise en veille générale ces dernières années. En attendant, on ne saurait que trop vous conseiller d’aller vous glisser derrière les tapisseries, pour emmener vos oreilles en trip avec Félix Blume.

Et d’aller ensuite jeter un sens ou deux à la prochaine exposition à Art-Cade, où Otto-Prod invite le Collectif ∏-Node, pour y exposer l’œuvre collective Radio Fischli Weiss. Un dispositif sonore sous le principe de dominos, dont le premier sera poussé jeudi 14 avril lors du vernissage.

 

Margot Dewavrin

 

 

Félix Blume : jusqu’au 15/05 au Musées des Tapisseries (28 place des Martyrs de la Résistance, Aix-en-Provence).

Rens. : www.lab-gamerz.com/site

Pour en (sa)voir plus : https://felixblume.com