Immonde et L’Été fantôme d'Élizabeth Holleville

Identité remarquable | Élizabeth Holleville

Tableau d’horreur

 

Installée depuis peu à Marseille, la jeune autrice de bande dessinée Élizabeth Holleville fait paraître en ce mois de janvier 2022, après un premier ouvrage réussi, L’Été fantôme, en 2018, sa deuxième BD au titre trompeur, Immonde !, dans la collection défricheuse 1000 Feuilles des éditions Glénat. Une histoire d’adolescence, de pollution et… de monstres immondes !

 

 

Née à la fin des années 80 à Nantes, Élizabeth Holleville est venue à la bande dessinée par un goût du dessin, mais aussi par sa passion du cinéma, « et plus particulièrement le cinéma de genre, découvert au travers des programmes télévisés de la chaîne M6, et des cassettes VHS enregistrées par mon grand frère, que je visionnais en cachette bien sûr ! » Une passion qu’elle assume encore aujourd’hui et distille dans tous ses projets, même ceux à venir.

Après avoir fréquenté l’école d’arts appliqués Estienne à Paris, elle intègre l’EESI (École Européenne Supérieure de l’Image) à Angoulême, La Mecque de la BD en France, où elle côtoie dans le cadre de workshops des auteurs de bande dessinée admirés, comme Druillet, pape de la SF française.

Elle y rencontre également son futur compagnon, Felix Csech, qui, en plus d’être dessinateur, anime une structure de micro-édition, la Corde rouge, dans laquelle Élizabeth Holleville publie sa toute première BD, Lulu, en 2015, l’histoire d’un chat errant qui, pour avoir gîte et couvert, raconte des histoires à ces hôtes chaque soir.

À peine sortie de l’école, elle s’attelle à son premier ouvrage professionnel. « Passionnée de films et de récits surnaturels, j’avais envie d’écrire une histoire de fantômes et je me suis dit que ce serait intéressant de confronter cette figure du fantôme, figée et intemporelle, avec celle de l’adolescente, dont le corps change presque tous les jours. Pour cela je me suis plongée dans mes propres souvenirs d’adolescente, et dans les sensations de ces étés partagés avec mes cousines. »

Résultat : L’Été fantôme paraît en 2018 dans la collection 1000 Feuilles des éditions Glénat.
 On y suit un groupe de cousines adolescentes en vacances estivales dans la maison en bord de mer de leur grand-mère, notamment Louison, la plus jeune de la famille, qui va faire une étonnante rencontre… celle du fantôme de Lise, la sœur de sa grand-mère, morte alors qu’elle n’avait qu’une dizaine d’années. Une relation amicale va se nouer entre les deux jeunes filles, pendant que les autres cousines plus âgées essaient de profiter de leur été sans leurs parents.

Ce premier ouvrage inscrit d’emblée Élizabeth Holleville comme une autrice à suivre au sein de la nouvelle génération de la BD.

En plus d’une maîtrise de la narration, on y découvre un dessin très reconnaissable, alliant un certain classicisme « ligne claire » (comme a été désigné le dessin d’Hergé, le créateur de Tintin) à une approche plus personnelle avec un trait réalisé au pinceau et à l’encre de Chine.

Les couleurs d’Élizabeth Holleville, réalisées quant à elles sur ordinateur, s’avèrent également assez particulières. « J’aime quand la couleur est verbale et pas seulement décorative, qu’elle nous raconte quelque chose. Pour L’Été fantôme ,j’avais choisi une palette douce de couleurs pastels, liée au passé et aux souvenirs. Pour Immonde !, on passe aux violets, aux verts acides, pour que la couleur teinte l’environnement des adolescents d’une ambiance maladive et polluée, et que les couleurs rappellent aussi les gammes des films d’horreur des années 80-90 et des illustrations des livres de la collection Chair de poule. »

Justement, côté influences, l’horreur, le bizarre et le fantastique sont toujours bien présents : les films de Carpenter ou Cronenberg, les livres de Stephen King ; et en dessin, les américains Charles Burns (on ne peut s’empêcher en lisant Immonde ! de penser à son Black Hole, incroyable feuilleton en forme d’hommage étrange aux teen movies) et Daniel Clowes ou le français Ludovic Debeurme, entre autres.

Après L’Été fantôme et un ouvrage didactique pour les jeunes lecteurs (L’Évolution de l’homme, chez Casterman), Élizabeth Holleville signe en ce début d’année 2022 Immonde !, toujours dans la collection 1000 Feuilles des éditions Glénat — collection connue chez les amateurs pour avoir révélé le jeune Timothé Le Boucher avec son impressionnant Ces jours qui disparaissent, qui, ancien collègue d’atelier d’Élizabeth Holleville, propose d’ailleurs une courte BD bonus à la fin d’Immonde !). Un récit là encore empreint de fantastique mettant en scène trois adolescents férus de films d’horreur à Morterre, une ville fictive des Vosges qui accueille depuis plusieurs années une usine d’extraction d’un minerai très puissant, le tomium. Très vite, des événements étranges (disparitions et mutations physiques de certains employés…) intriguent les héros qui vont se mettre à enquêter sur cette usine.

L’autrice mêle à ce récit fantastique des thèmes plus sociétaux comme l’écologie ou le questionnement du genre. « Je ne fais pas ce mélange de façon consciente ; dans mon idée, à chaque fois que je commence une nouvelle BD, je me dis que je vais faire une BD d’horreur, qui va faire super peur ! Et je me retrouve à me passionner pour ce que ressentent les personnages et leur sensibilité… et du coup, ça devient plus intime et réaliste qu’horrifique. Et de ce mélange peuvent naître d’autres types d’histoire, alors ça ne me dérange finalement pas tant que ça que le résultat diffère de l’attente initiale. »

Mais ce qui ressort le plus dans ses deux BD en tant qu’autrice complète, c’est la prédominance du thème de l’adolescence dont elle livre un portrait très contemporain (usage des nouvelles technologies, jeux vidéos, drogues douces, questionnements sexuels et de genre…). « Je suis assez fascinée par cet âge où les émotions sont poussées au maximum et où l’on commence à avoir des avis philosophiques et politiques sur les choses. Comme dans Immonde !, où les héros se questionnent sur l’avenir de leur planète,comme ceux du spectaculaire Mouvement des jeunes pour le climat né à l’été 2018. »

Ses ouvrages sont avant tout des récits sur l’amitié, un sujet central pour l’autrice, y compris dans sa vie. « Mes années d’études m’ont permis de rencontrer des amis pour la vie, avec qui je collabore toujours aujourd’hui ! »

Auparavant installée à Strasbourg, elle travaillait en atelier avec des auteurs comme Timothé Le Boucher, Erwann Surcouf ou Lucie Deroin, « des amis formidables dont c’était toujours un plaisir de partager le quotidien plein de fantaisie et de joie. Travailler ensemble en atelier nous permet de rompre la solitude de nos métiers, d’élargir notre vision des choses grâce à celle des autres, de nous soutenir et surtout de nous marrer en travaillant ! Bref, j’adore ! »

C’est aussi par amitié qu’elle est venue s’installer à Marseille, où elle a rejoint notamment l’autrice Iris Pouy, rencontrée à l’école Estienne à Paris et avec qui elle est partie étudier à Angoulême (et dont nous avons déjà eu le plaisir de parler dans ces colonnes à l’occasion de son excellente adaptation en BD de Marx le retour, la pièce d’Howard Zinn).

« Iris est une de mes meilleures amies, avec qui je faisais déjà des BD à quatre mains lorsque nous étions étudiantes. Récemment, nous nous sommes dit que son trait plus précis et réaliste que le mien collerait bien avec un trio de nouvelles dans l’esprit Contes de la Crypte que j’avais imaginées. De là sont nés Les Contes de la Mansarde, qui devraient sortir début 2023. »

Quand on l’interroge sur ses autres projets à venir, encore et toujours le fantastique ! « Je travaille actuellement à l’écriture d’une nouvelle BD qui parlera d’une jeune femme possédée par une secte de femmes de sa famille pour la forcer à enfanter et qui découvre un affreux secret. Encore entre autobiographie et horreur ! »

Et quand on lui parle de sa récente installation à Marseille, elle nous livre ses premières impressions sur la ville : « J’adore son énergie, les gens y sont très ouverts et avenants, j’aime sa lumière et son site incroyable, avec la nature qui se rappelle à nous au détour d’une rue où apparaît un pan de montagne illuminé et spectaculaire… Et aussi, bien sûr, le soleil dont je manquais franchement à Strasbourg ! »

 

JP Soares

 

 

Dans les bacs : Immonde ! (Glénat)

Pour en (sa)voir plus : https://www.glenat.com/auteurs/elizabeth-holleville