Edito n° 170

Edito n° 170

Au moment où nous clôturons ce journal, tard dans la nuit, les derniers citoyens américains achèvent leurs obligations en se rendant au bureau de vote. Avouons que l’événement nous fait sourire : paillettes, acteurs liftés en guise de gouverneurs, shows hollywoodiens, scandales intimes et ex-première dame… (lire la suite)

Rentrée électorale

Au moment où nous clôturons ce journal, tard dans la nuit, les derniers citoyens américains achèvent leurs obligations en se rendant au bureau de vote. Avouons que l’événement nous fait sourire : paillettes, acteurs liftés en guise de gouverneurs, shows hollywoodiens, scandales intimes et ex-première dame devenue sénatrice… Autant d’artifices médiatiques qui peinent à cacher l’absence de débats porteurs des choix de sociétés. Bref, vu d’ici, les Etats-Unis d’Amérique se résument souvent à 270 millions de gros acculturés dirigés par une dictature moderne. Les médias français nous présentent, en effet, toujours les éléments de cette façon : caressés dans le sens du poil, nous aimons entendre cet air du « C’est pas à vous, républicains français aguerris par deux siècles de vie citoyenne, que l’on pourrait servir cette soupe grotesque ». Enveloppée dans notre conscience humaniste, la chanson est douce à entendre, accordée avec le « meilleur » système social, la « meilleure » université… La version a deux avantages : faire de l’audimat avec des sujets caricaturaux distrayants — évidemment — mais surtout endormir les millions de Français autour de quelques sujets, traités en surface, qui n’ont rien de politique : qui est avec qui ? Qui en veut à qui ? Qui a dit quoi ? Dans une ambiance dramatisée rappelant le Loft. Pour en revenir à nos voisins, quelques précisions s’imposent. Il faut tout d’abord séparer la vie politique en trois sphères : locale, régionale et nationale, cette dernière étant privilégiée dans les médias étrangers. C’est pourtant à l’échelle de chaque Etat que la politique se fait et c’est également à ce niveau que les surprises sont les plus nombreuses. Au cours de cette journée du 7 Novembre, par exemple, les citoyens californiens sont amenés à nommer les personnes qui vont diriger leur Etat : gouverneur, trésorier, sénateur… Evènement amplement moins rapporté, cette journée les invite également à se prononcer sur une dizaine de lois régionales : des emprunts pour les routes, des taxes sur les cigarettes pour la santé publique, la gratuité d’un service, la modification d’une loi électorale, une augmentation du budget pour les écoles et à un niveau local, les habitants de la baie de San Francisco doivent aussi se prononcer sur de nouvelles lois comme l’interdiction aux chaînes commerciales de s’installer sur la ville. Interpellés sur ces alternatives, autrement plus concrètes que « mafia rose ou mafia pomme », les habitants sont obligés de se renseigner, voire de communiquer. Il n’est donc pas rare de distribuer des tracts argumentés pour le « non à la loi 86 » ou trouver des petits panneaux devant chaque maison qui affirme ses convictions. Pour rajouter à l’atmosphère de ferveur démocratique, chaque ville héberge au moins un hebdomadaire qui, fait rare en France, prend part à la bataille sous la forme d’éditoriaux et de chroniques. Ces journaux parfois gratuits, dont la caractéristique principale est l’indépendance de ton, sont connus pour souligner sans complexes les mensonges observés, sitôt les discours finis. Evidemment, ces éléments démocratiques rassemblés ne suffisent pas à assurer un développement serein et concilié. En effet aujourd’hui, ce sont les inégalités et les initiatives belliqueuses qui restent les aspects principaux de ce monstre impérial. Loin des villes et des Etats, la cause se trouve au niveau national : les lobbys puissants au pouvoir, les télévisions avilissantes, quelques fraudes électorales et l’impact bien orchestré du onze septembre[1]. Aussi tardive que soit la prise de conscience américaine sur les cinq dernières années, elle ne doit pas nous faire oublier, à l’approche des élections de 2007, que nous, Français, ne sommes interpellés par aucun média[2] faisant office de contre-pouvoir, que nous ne votons aucune loi et ne nommons pas ceux qui les font[3], ni ceux qui les appliquent. Je parle à un niveau local, régional, national et européen. Elections, pièges à cons ? Ben justement, pas forcément. Mais ici, c’est garanti.

Texte : Emmanuel Germond
Photo : Vincent Lucas, le Forgeron du Village des Facteurs d’Images
http://levillagedesfacteursdimages.org

Notes

[1] Un événement illustrant cette distance entre manifestation citoyenne et décision fédérale a rassemblé un million d’Américains à Washington en 2003 pour empêcher la guerre en Irak.

[2] Signalons cependant www.rezo.net et le quotidien gratuit 20 minutes pour leur application.

[3] La pratique française veut que l’on nomme des députés qui votent mais ne font pas les lois. Celles-ci sont préparées dans les cabinets ministériels