Ecris-moi un mouton par la CieArnica © Gaelle Delort

Ecris-moi un mouton par la Cie Arnica

Objets directs

 

La guerre d’Algérie (1954-1962) reste un souvenir douloureux qui peut se raconter différemment par l’objet, comme nous le prouve Ecris-moi un Mouton. Avec cette pièce, la compagnie Arnica apaise les douleurs de l’histoire.

 

Dans le tragique, la mémoire est longue et, plus de cinquante ans après, il est encore difficile de parler de ce trait d’union méditerranéen de larmes et de sang. Comment assumer le passé pour mieux inventer un futur commun ? Au présent, cela peut passer par un théâtre d’ici et maintenant, comme nous le proposent la metteuse en scène Emilie Flacher et l’auteur Sébastien Joanniez avec la pièce Ecris-moi un mouton. Sans préméditation, Emilie a commencé à rencontrer dans l’Ain, département où est installé sa compagnie, des personnes touchées par cette guerre, qui se sont confiées à elle. Cette transmission l’a conduite à souhaiter faire entendre ces voix, dans un contexte de questionnement sur l’identité française. Le choix de faire appel à Sébastien Joanniez fut une évidence étant donné son talent pour retranscrire avec justesse la voix dans le texte et… dans l’objet.
Car la compagnie pratique le théâtre de marionnettes. Il peut sembler paradoxal de parler d’un sujet si grave avec un vecteur aussi ludique. Le fond est lourd et la forme est légère, pourrait-on croire. Ce serait mal connaître la puissance de cet art et les motivations de la compagnie Arnica. Les témoignages recueillis étant retranscrits par la voix et les gestes d’un marionnettiste qui manipule, à vue, les objets et figurines articulées, une distance s’instaure entre le propos et son véhicule. Tant et si bien que l’incarnation physique du message n’a pas réellement lieu, alors même que nous le recevons en plein cœur. Non seulement, les émotions profitent de cette distance pour nous parvenir par des chemins insoupçonnés mais les silences deviennent aussi une seconde voix à eux seuls.
L’objectif est ambitieux, mais l’usage de ces bouts de chiffon ne nécessite pour autant pas de grands effets de manche. Le parti pris de la scénographie est simple : jouer toute l’histoire sur une table, de cuisine, de classe ou de conseil municipal selon les moments. Les objets sont quant à eux nombreux et souvent détournés pour voyager d’espaces en espaces sur un territoire limité.
Pour ce qui est de la géographie justement, tous les témoignages recueillis au quatre coins de la France ont souvent évoqué Marseille comme carrefour de souvenirs attachés à cette guerre. Pour certains Algériens, Marseille serait même le quarantième département de leur pays. C’est en toute logique que la dernière partie de cette pièce a été conçue dans la cité phocéenne avec un travail participatif associant deux classes de la Joliette complété par un séjour en Algérie.
Au final, la trilogie évoque successivement le passé des anciens combattants, le présent des enfants d’immigrés et un futur fictionnel à bâtir. Avec ce séquencement temporel, Ecris-moi un mouton fait ainsi théâtralement écho à la réalité de souvenirs douloureux qui traversent le temps pour arriver jusqu’à notre présent. Et cela n’a rien d’utopique, car « le meilleur moyen de réaliser l’impossible est de croire que c’est possible » (Lewis Carroll, Alice au Pays des Merveilles, 1865).

Guillaume Arias

  • Ecris-moi un mouton par la Cie Arnica : du 26 au 30/11 à la Cartonnerie (Friche La Belle de Mai, 41 rue Jobin, 3e). Rens : 04 95 04 95 04 / www.theatremassalia.com

  • Rencontre sur le thème « Théâtre documentaire – Marionnette et société » : le 29/11 au MuCEM (esplanade du J4, 2e). Entrée libre sur invitation à demander au Théâtre Massalia.

Pour en (sa)voir plus : http://compagnie.arnica.free.fr