Dominique White © Aurélien Mole

Dominique White – Les Cendres du naufrage à la Tour-Panorama de la Friche La Belle de Mai

White Spirit

 

Du diaphane et aérien Panorama de la Friche Belle de Mai émergent Les Cendres du naufrage, sculptures monumentales de Dominique White qui sont autant de reliefs en suspension, et autant de vestiges subaquatiques de l’histoire des diasporas noires. Une exposition monographique tout en ambivalence, entre épave et combustion, entre abysse et nébuleuse, entre mythique et provisoire.

 

 

Si le Panorama n’a pas encore la fonction d’un périscope de sous-marin, il nous offre désormais cette vision. Son espace clair et cubique, Dominique White l’a investi en long, en large et en hauteur, en impulsant à ses matières une vibration tourbillonnante : ses sculptures agrègent les matières pour former des épaves abstraites, spectrales et flottantes, réussissant ce délicat tour de force de transformer l’air en eau, et de nous immerger, sans pour autant que nous ne nécessitions de scaphandre.

L’air devenu liquide, il reste en fait bien respirable. Et on inspire aussi parce que les thèmes travaillés par Dominique White relèvent encore trop du domaine du silence : si on dit commerce transatlantique, esclavagisme, XVIIe siècle et naissance du capitalisme, et puis que l’on avance commémoration, résistance, histoire des diasporas, on entend comme une dissonance… White s’inspire notamment de Derek Walcott, qui est aux pensées décoloniales anglophones ce que représentent les travaux d’Édouard Glissant dans la francophonie. Walcott, le poète antillais de Sainte-Lucie, composait Omeros dans les années 90 comme une réécriture de l’Iliade aux Caraïbes, ce qui lui a valu le prix Nobel. À son tour et à raison, Dominique White brûle et brunit de l’acajou, rouille des enferrures, forge des harpons, amalgame des fibres de jonc de mer avec des argiles claires, telles des nœuds d’algues blanchies par le sel que certains récifs exposent au soleil. Ce qui est remarquable, c’est que ses sculptures se reposent en fait davantage sur les creux que sur les pleins : ses formes se mêlent à l’invisible pour lui donner une force de mouvement cyclique, cyclonique, exponentielle.

Résidente de Triangle-Astérides et également nouvelle résidente de notre région marseillaise, l’artiste britannique Dominique White travaille le naufrage et son prisme depuis la contre-histoire, depuis l’antériorité, dans des perspectives afro-futuristes qui ne sont en fait, peut-être, pas vraiment optimistes. Sa série précédente, Hydra Decapita, réattribuait la figure mythique de l’hydre aux mille têtes — monstre marin considéré invincible, dont les multiples têtes repoussent inlassablement — au système étatique qui finit par écraser et dominer partout où il est éradiqué ; au contraire de la théorie du même nom des historiens et essayistes Rediker et Linebaugh (1), qui pensaient ainsi les forces de résistance inépuisables des marrons, pirates et autres rebelles à l’État.

Pour voir le verre (ou le Panorama) à moitié plein, les sculptures monumentales de White pourraient-elles enfin devenir des monuments ?

 

Margot Dewavrin

 

Dominique White – Les Cendres du naufrage : jusqu’au 5/06 à la Tour-Panorama de la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.trianglefrance.org/fr/

Pour en (sa)voir plus : https://blackdominique.com

 

 

 

Notes
  1. Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra : Sailors, Slaves, Commoners, and the Hidden History of the Revolutionary Atlantic, 2000[]