Lep0le

Databit.me #06

A fond de formes

 

Au-delà d’une semaine de création de formes numériques, le festival arlésien Databit.me injecte de l’humain dans la machine pour revoir notre rapport aux technologies.

 

A vrai dire, la chose nous taraude depuis quelques temps déjà, et semble plus complexe qu’elle n’en a l’air. Pourrait-on à ce point considérer qu’il y ait, dans les franges de la pensée progressiste de gauche du moins, d’un côté ceux pour qui il convient de freiner nos usages des technologies (voire carrément s’en passer) et de l’autre ceux qui pensent au contraire qu’il faut se les réapproprier, et les occuper un maximum ? En d’autres termes : doit-on aujourd’hui faire le choix entre décroissance ou accélérationisme ? Notre cœur doit-il ainsi balancer ? Je vous le demande.

Pour David Lepolard, alias David Lep0le, à la tête du festival Databit.me, la question est ailleurs : « Tu ne peux pas critiquer quelque chose si tu ne l’a pas maîtrisé, utilisé. Tu n’en comprendrais pas tous les enjeux si tu ne l’as pas éprouvé. D’un autre côté, il y a des choses à poser dans la façon dont on use des technologies. Il convient par exemple de toujours développer un sens critique à travers cet usage. Le problème, c’est l’addiction. Il y a une véritable addiction à ces machines. Elles sont conçues pour ça, comme Facebook par exemple, qui n’arrête pas de te solliciter avec des notifications… Ça pose des problèmes sociétaux, liés à une hyper individualisation induite par la technologie, et de fait c’est hyper dur, malgré tous les outils technologiques censés être collaboratifs, de créer des mouvements qui soient réellement construits par les outils technologiques. Malheureusement donc, les usages ne se font pas toujours dans une notion cognitive, intelligente, mais plutôt dans une forme consumériste. Après, qu’il y ait des gens complètement contre ces usages technologiques, c’est intéressant à écouter. Et qu’il y ait des gens qui veulent au contraire vraiment les investir, c’est aussi intéressant. Par contre, il faut des logiques d’usages, mais c’est quelque chose qui se forme, ça ne tombe pas du ciel. »

A cela, la petite équipe répond par une belle semaine de résidence d’artistes de tous bords (du hacking aux musiques trad, grosso modo), de créateurs, de musiciens, de plasticiens et d’activistes Internet passionnés par des choses dont le commun des mortels ne soupçonne pas forcément encore l’existence. Des nanas et des mecs du coin (John Deneuve, Morusque, Windows 93, Reso-Nance, Pink Ponk, Brk & Bad Jokes…), tout comme des musiciens et autres stars (du code) de l’ombre de France ou de l’autre bout de la planète (Miyö Van Stenis, Nico T00r0p, Zofie Taeuber, Ventre de Biche, Le Cénographe…).

In fine, une semaine de résidence à laquelle s’ajoutent quelques soirées sur des thèmes (plus ou moins) précis et des rendez-vous audiovisuels. De quoi à la fois attirer le curieux par le prisme d’expositions ou de soirées concerts/dj’s, tout en laissant libre court aux formes produites dans la semaine par ce laboratoire 2.0 militant qu’est Databit. Cette sixième édition ne déroge pas à la règle, placée sous la thématique « Energie et numérique ».

« Databit, c’est un festival de formes. On fait se rencontrer des gens pour qu’ils construisent des formes. La seule manière que l’on a pour résister de façon constructive à ce flux, à cette persistance d’informations, c’est d’être dans la proposition de formes fabriquées en commun avec des gens. Que le public soit là, les voit naître. On n’a pas trente-six mille façons de résister aujourd’hui. A un moment, tu faisais des grèves et tu faisais plier les mouvements d’oppression, aujourd’hui, ça ne marche plus Le mouvement hacker quant à lui, c’est peut-être des grains de sable, mais il y a des grains de sables super importants.

Derrière les apparences et la complexité des discours, on traverse au final une révolution somme toute industrielle, avec des enjeux très “dix-neuvième siècle” sur le coût du travail et la répartition des valeurs. On est encore là-dedans, la preuve avec la “loi travail”. On vit dans une société féodale, dans une espèce de mandarinat, dans lequel il y a très peu de mandarins qui savent écrire le code. Si tu regardes les choses sous cet angle, tu ne vois pas du tout la révolution technologique de la même manière. Il faut, pour résister, que l’on impose des idées, et donc des formes. Michel Serres est pas mal intéressant en la matière. Au-delà d’un discours pour savoir si c’est bien ou pas, il propose des formes, des nouvelles choses, de nouveaux métiers à inventer. Car la technologie que l’on nous vend, c’est quand même beaucoup de l’habillage, du marketing, du selfie, pour caresser son téléphone… Elle est le fruit d’une logique grégaire faite de maximisations de revenus. Le problème, ce ne sont pas les avancées, mais de savoir qui aura accès à quoi ? » A Databit de poser la question. Et à vous de faire.

Jordan Saïsset

 

Databit.me #06 : du 28/10 au 6/11 à la Bourse du Travail d’Arles (3 rue Parmentier).
Rens. : 06 80 96 98 75 / www.databit.me

Le programme complet de Databit.me #06 ici