Retour sur Dad is dead et Manifeste au Théâtre du Merlan

Développement durable

 

Des nouvelles rafraichissantes du côté du Merlan avec la programmation de la compagnie Mathieu ma fille Foundation les 17 et 18 avril. Retour sur deux pièces courtes qui participent au renouvellement du cirque et explosent encore une fois les frontières avec le théâtre.

 

Après la chute mortelle de l’acrobate Yann Arnaud lors d’une représentation du Cirque du Soleil le 17 mars (la troisième en dix ans pour cette compagnie), il est grand temps de s’interroger sur l’avenir d’un cirque contemporain qui renoue avec l’essence du théâtre, loin des shows orchestrés dans les salles démesurées des grands casinos. Manifeste est une création qui installe l’artiste à 56 centimètres au dessus du sol, sur une cale dans un équilibre précaire, et où seule la présence de l’autre lui donne une chance de ne pas tomber. L’idée qu’une telle hauteur devient une aventure périlleuse réside dans l’attitude de ses interprètes et de l’envie d’être avec eux jusqu’au bout. Manifeste repose sur un capital sympathie qui s’installe durablement, à la manière d’un stand up qui trouve les mots justes. Arnaud Saury a déjà testé ses capacités à développer un fou rire dans Domestic Flight de Christophe Haleb. Ici, c’est le concept du buddy movie qui sert de trame au duo. Il est jeune, fort comme un arbre, la voix posée et rassurante. L’autre est indécis, inquiet, en demande, les mains légèrement baladeuses et une envie furieuse de s’accrocher aux épaules de son compagnon, pour se laisser transporter de l’autre côté de la rive. Cette dissonance des corps et des attitudes nous installe dans un moment de détente à la manière d’un bon film dans le canapé. Le cirque devient ludique et relaxant, la parole reprend ses droits dans un art où l’artiste a trop longtemps mis en avant ses aptitudes physiques au-dessus de la moyenne. Jean-Jacques Goldman et Joe Dassin s’invitent dans la conversation, parce que si Dieu est mort, il ne reste que le populaire pour nous rassembler. Manifeste, c’est une proposition en hauteur, une forme légère avec une distance d’un point A à un point B qu’il faut traverser. Si les interprètes tombent, on recommence, car on a le droit à une deuxième chance. On voit bien dans cette mise en place que tout redevient possible. Qu’on est en droit de rêver et d’envisager d’y aller soi-même. C’est cette identification possible aux corps qui agit comme un charme, car on devient partie prenante de ce duo qui se cherche une porte de sortie et par là même, une fin possible. En deuxième partie, la reprise de Dad is dead donne encore plus de consistance au travail de fond entrepris par Arnaud Saury. Là encore, l’idée des contraires s’assemble dans un duo lové sur un vélo qui dessine un mouvement perpétuel, et la proximité, voire la promiscuité, donne lieux à des gesticulations et des assemblages insolites. La rencontre entre le théâtre et le cirque s’inscrit dans un dialogue sur la question du genre (déjà abordée dans Domestic Flight) et chaque intention se raconte dans l’absolu nécessité de continuer à pédaler pour ne pas briser l’équilibre précaire du tandem. Ce qui apparaît comme anodin relève en fait d’une souplesse au-dessus de la moyenne et la banalité d’une conversation devient un débat sur le militantisme et notre besoin d’inventer le monde à notre image. Là encore, la dissonance agit comme un vecteur du rire. Il pédale tout en relâchement, de face, de dos, en avant, en arrière, et son alter ego se laisse transporter dans une idée du moindre effort, à la manière de Snoopy dissertant sur le toit de sa niche. Dad is dead déroule les quiproquos dans une justesse du rythme et une durée millimétrée. Ce qui se dit est également ce qui se voit, dans ce désir instantané de se rapprocher et de se toucher dès lors qu’on est embarqué dans le même voyage.

 

Karim Grandi-Baupain

 

 

Dad is dead et Manifeste était présenté les 17 & 18/04 au Théâtre du Merlan.

Prochaines représentations : les 15 & 16/05 au Théâtre d’Arles.
Rens. : 04 90 52 51 51 / www.theatre-arles.com

Pour en (sa)voir plus : mathieumafillefoundation.org