Uncanny Valley de Paul Wenninger

Chronique | Uncanny Valley de Paul Wenninger

Vallée de la mort

 

Présenté au dernier Festival international du Film d’Aubagne, Uncanny Valley, production d’animation estampillée Films de Force Majeure, impressionne par sa figuration hypnotique et cauchemardesque de la Première Guerre mondiale

 

Depuis sa création en 2010, la petite boîte de prod’ marseillaise Films de Force Majeure continue de défricher la création cinématographique via un savant mélange de documentaires, d’animation, d’art contemporain et de fictions pures. Dernière production en date, Uncanny Valley de Paul Wenninger, perturbant court métrage d’animation mettant en scène deux soldats perdus dans l’enfer des tranchées de la « Grande Guerre ». Le film s’ouvre comme une série d’archives abstraites en noir et blanc, qui se révélera bien vite être un ciel noir de fumée constellé d’éblouissantes gerbes d’explosion. Les deux soldats apparaissent alors, désarticulés, envahis par la terreur ; ils vont pourtant parcourir ce champ de bataille sans autre but que la survie. Par ses choix d’angle et de prise de vue, et sa photographie jouant sur les contrastes, Uncanny Valley met en place un procédé singulièrement immersif. Il donne une vision de la guerre qui n’est pas sans rappeler les jeux vidéo first-person shooter, et notamment l’illustration de la Première Guerre particulièrement cauchemardesque de The Darkness, un obscur jeu sorti en 2007. Tout le paradoxe du film réside ainsi dans son impression de réalisme découlant d’une construction cauchemardesque fantasmatique. Un réalisme des sensations rendu possible par le spectacle hallucinatoire de l’image. Tourné en prise de vue réelle image par image, le film se décline pourtant comme un long plan-séquence saturé par une musique oppressive omniprésente. Le procédé visuel reprend celui de Lardux, série loufoque des années 90, mais là où il faisait de Lardux un pantin grand-guignol, les soldats d’Uncanny Valley deviennent plutôt des zombies mus seulement par la terreur de la mort, telle la captive casquée de Martyrs de Pascal Laugier. Une victime qui, à force de souffrances insupportables, est devenue elle-même le monstre. Immergé dans ce monde de bruits et de fureur, saturé par la peur, la boue et l’écrasant fracas des bombes et de l’angoisse, on ne peut qu’être pris de nausée devant une telle hystérie de l’horreur du réel. Finalement, le film de Paul Wenninger surgit comme une vision ultra-réaliste des affres de la guerre grâce à des procédés filmiques aux antipodes du réel. Le ressenti des sensations révélées par le truchement de la fantasmagorie visuelle. Paradoxe qui trouve son achèvement dans le plan final, où le procédé technique, redevenu ordinaire, révèle la froideur du monde des vivants, miroir de la chaleur étouffante du monde des zombies, à travers le calme blanc d’un musée d’histoire.

Daniel Ouannou

 

Rens. : www.films-de-force-majeure.com