Marseillais Yeah! Yeah! Yeah! d'Alexandra Musseau

Chronique | Marseillais Yeah! Yeah! Yeah!

Rockers à l’ouvrage

 

Alexandra Musseau signe le tout premier documentaire consacré au rock phocéen et dresse le portrait d’une scène vivante et unique dans laquelle chaque génération se veut un élément de transmission du passage de témoin. Rencontre avec la réalisatrice de Marseillais Yeah! Yeah! Yeah! à Léda Atomica Musique à l’occasion de la projection de son rockumentaire.

 

Cela fait plusieurs années que le rock marseillais est l’objet de toutes les attentions : on se presse régulièrement à son chevet pour vérifier son état de tension ; on dissèque et on passe au crible ses faits d’armes ; on s’interroge sur sa pertinence, voire son existence. Bref, on l’analyse sous toutes les coutures, tant dans la presse magazine que dans la presse locale. Sauf que ces dernières années, l’éditeur Le Mot et Le reste a sorti des cartons deux précieux ouvrages consacrés au rock phocéen (l’un signé Robert Rossi, l’autre Pascal Escobar), levant le voile sur un demi-siècle d’une histoire riche et florissante, sans cesse renouvelée grâce à une dynamique propre à la ville elle-même. Qu’on se le dise, le rock marseillais existe depuis que le rock existe et, quand bien même aujourd’hui le rock se meurt, ici, il n’est pas prêt de rendre l’âme.
En découvrant cette riche épopée à la faveur d’une colocation avec le guitariste d’une formation locale, Alexandra Musseau se dit que le monde du rock « méritait son film » d’autant « qu’il y avait jamais eu de films ou de reportages dignes de ce nom sur le rock à Marseille ». Le projet de documentaire naît de ce constat. Sans expérience cinématographique, elle se jette à l’eau. Un an et demi de tournage plus tard, le temps de trimballer sa caméra aux éditions 2018 et 2019 de la Rue du Rock, Marseillais Yeah! Yeah! Yeah! voit le jour.

L’ex journaliste s’attache d’abord à dénouer les fils du temps pour appréhender les différents ressorts qui ont imposé la ville comme un des épicentres du rock alternatif. Elle fait appel aux figures tutélaires que sont Robert Rossi (Quartiers Nord) et Philippe Torel alias Phil Spectrum (Léda Atomica). Le premier assis derrière son bureau apparait comme le véritable parrain du rock marseillais : pensez donc, plus de quarante ans de carrière, un groupe toujours en activité et une aura intacte. L’empreinte du second, malheureusement décédé en 2017, est toujours vivace — le film est justement projeté au LAM, la salle qu’il a fondée. Un symbole fort du passage de témoin entre générations. Autre personnalité marquante, celle de François Billard. Qui sait que cet ancien journaliste aux manettes du Non-Lieu fut, avec Barricade, combo qui pratiquait un rock teinté de free jazz, un des emblèmes musicaux de la contre-culture de la fin des sixties, porté aux nues par le très parisien magazine Actuel ?
C’est grâce à ces groupes-là, et bien d’autres, que la génération suivante prendra le relais — le rock appelle le rock — dans les décennies 80 et 90. Ils s’appellent Cowboys from Outerspace ou Kill the Thrill. Si la fin du siècle est foisonnante pour le rock anglo-saxon, elle l’est également à Marseille et dans sa région. Pour s’en convaincre, l’impressionnante collection de cassettes audio de Robex, journaliste à radio Grenouille et l’un des plus fervents followers de la scène locale. Petite vignette récurrente et savoureuse du film : l’énumération de la multitude de groupes qui se produisaient à cette époque.

La réalisatrice quarantenaire a tenu à filmer les musiciens hors de leurs habitats naturels que sont les salles de concert ou les locaux de répèt’. En pleine lumière, au cœur de la cité, à la Friche, dans les ruelles du cours Julien et bien sûr pendant la Rue du Rock, événement familial incontournable de la rentrée à Marseille, là, où, selon les mots d’Aude-Lise Bemer, présidente de l’association Phocéa Rocks, se déploie « toute la panoplie du rock ».

Ce premier opus sur le rock phocéen est clairement placé sous le signe de la famille. Dans Marseillais Yeah! Yeah! Yeah!, le rock, c’est souvent la progéniture des rockers qui en parle le mieux, ce qui donne lieu à des scènes à la fois drôles et touchantes. Et puis, il y a la grande famille du rock’n’roll marseillais. Une famille unie et soudée au sein de laquelle règnerait l’entente cordiale, ou presque, à l’inverse de ce qui se passe à Paris, selon le rocker libraire Cédric Neuser. Mouais. À Marseille, comme partout, le rock est fait de multiples chapelles qui n’interagissent que très peu entre elles et qui, dans tous les cas, ne se refilent pas les bons plans sous le cuir. Les métalleux restent avec les métalleux, chacun dans sa paroisse, dixit l’ex Parisien Paul Milhaud, co-fondateur de Lollipop Music Store, qui joue d’ailleurs avec ce même Cédric Neuser dans le groupe No Jazz Quartet. La famille, quoi !

Emma Zucchi

 

Prochaines projections : en juillet à l’Eden-Théâtre (La Ciotat), en septembre à l’Alcazar dans le cadre de la Rue du Rock