Librairie L’Hydre aux Milles Têtes

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L’esprit livre

 

L’ouverture d’une nouvelle librairie indépendante à la Plaine, L’Hydre aux Mille Têtes, est la démonstration que la fatalité n’existe pas et que, contrairement à ce qu’Aristote pouvait prétendre, il ne faut pas toujours « savoir garder raison ».

 

Selon l’Agence régionale du Livre, une soixantaine de librairies indépendantes sont disséminées dans les Bouches-du-Rhône, dont la moitié à Marseille. Quand l’on sait que depuis dix ans, une quinzaine de librairies ont fermé dans la cité phocéenne, il est aisé d’imaginer le risque inhérent à l’installation de toute nouvelle enseigne. Les enquêtes menées auprès des potentiels consommateurs-lecteurs montrent bien ce qui se cache derrière les difficultés de ce milieu professionnel. Entre faible revenu moyen des habitants du centre-ville, où se concentre la grande majorité des librairies, pression foncière, circulation encore difficile, facilité des achats sur internet et marketing imposant de grandes surfaces spécialisées, les raisons ne manquent pas.

C’est dans ce contexte que Lucas Thouy et Mathilde Offroy ont pourtant fait le pari de quitter la librairie toulousaine Terra Nova pour ouvrir leur Hydre aux Mille Têtes dans le quartier de la Plaine. Outre le souhait de voler de leurs propres ailes, le choix de Marseille répondait à l’attirance pour un vaste espace urbain où de nombreux collectifs et lieux de fêtes se mélangent, et d’où une grande sociabilité se dégage. Les risques évoqués plus haut étaient bien connus de nos deux aventuriers des mots ; d’autant que leur étude de marché pouvait encore noircir le tableau. Mais Sherlock Holmes ne disait-il pas « qu’une fois qu’on a éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela soit, doit être la vérité » ? L’alliance de compétences professionnelles, de persévérance, d’un accompagnement financier à la création et d’un suivi par l’Agence régionale du Livre, et d’un mobilier soigneusement pensé et agencé par le collectif d’architectes ETC méritaient pourtant bien de rédiger la première page de cette Hydre.

Contrairement à leurs confrères libraires, dont l’enseigne rend hommage à son fondateur (Maupetit, Jeanne Laffitte), évoque le livre avec poésie (Histoire de l’Œil, l’Odeur du Temps, l’Encre bleue, la Boîte à Histoires, l’Attrape-Mots…), ou fait référence au lieu même d’implantation (la Salle des Machines à la Friche Belle de Mai, Borélivres au Parc Borély), cette nouvelle librairie tire son nom d’un ouvrage de Marcus Rediker et Peter Linebaugh, qui traite des exemples de résistance au capitalisme naissant à travers l’histoire de toutes les formes d’insurrections de chaque côté de l’Atlantique. L’Hydre aux Mille Têtes traduit ainsi un focus sur les sciences humaines et la littérature étrangère, ainsi qu’un engouement pour les éditeurs dont on ne parle pas forcément, ceux qui résistent, car « ce n’est pas parce qu’on lit peu qu’il faut proposer le tout-venant. » Le nom du lieu exprime surtout l’idée d’une grande diversité de contenu, l’envie de tisser des partenariats et, tout simplement, le choix d’un livre qui a marqué les deux co-fondateurs.

Lorsque l’on demande à Lucas et Mathilde quelles œuvres ils recommanderaient spontanément, en dehors de celle qui a inspiré la librairie, et qui donneraient le ton de leur entreprise, la variété est de mise. Mathilde cite d’abord un classique, Les Raisins de la Colère de Steinbeck, réflexion sociale sur la famille et le travail dans les années 30 aux États-Unis, et Fétiche de Mikkel Ørsted Sauzet, un roman graphique sans parole autour du vaudou et de l’esclavage. Lucas évoque quant à lui Biblique des Derniers Gestes de Patrick Chamoiseau, un récit de vie permettant de découvrir la culture créole, Zomia de James C Scott, sur l’histoire de formes de résistance à l’avancée de l’État dans le Sud-Est asiatique, ou encore Le Café du Coin de Sait Faik Abasiyanik, nouvelles inventives sur les populations marginales dans les rues d’Istanbul.

Le lieu revendique la proximité avec les habitants. Cela commence par de véritables conseils de lecture pour continuer autour d’apéritifs. C’est d’ailleurs « en buvant un coup à la sortie du boulot » en février 2016 que l’idée de créer leur propre librairie surgit en préface. Il faut dire que les vingt mètres carrés de terrasse jouxtant les cent vingt mètres carrés de la librairie devraient naturellement contribuer à souligner l’ambiance détendue et chaleureuse souhaitée, à l’image du quartier. Pour cela, la librairie ne s’arrête pas à la vente de livres en magasin ou commandés, mais anime aussi de nombreux évènements : dédicaces, ateliers, conférences-débats… En somme, une librairie « généraliste, accueillante, populaire, mais exigeante. »

La signature de la libraire passe également par le parti pris de « donner plus de places à des ouvrages de référence qu’à des nouveautés, d’amener les publics vers des livres pas forcément connus, de classer les livres par pays plutôt que par langue, de servir de lieu de passage vers des éditeurs indépendants, et de construire une offre complémentaire des autres librairies voisines. » Les envies de Mathilde et Lucas peuvent surprendre et donner l’envie d’en savoir plus avec des espaces dédiés au féminisme, à la piraterie, ou encore à l’écriture de l’histoire. Ce sont au total pas moins de 10 000 ouvrages et 8 000 références qui sont proposées par l’Hydre.

Une belle page s’ouvre ainsi à la Plaine, nul doute qu’ils seront nombreux à vouloir en dévorer tous les chapitres.

 

Guillaume Arias

 

Librairie L’Hydre aux Milles Têtes : 96 rue Savournin, 13001 Marseille.

Rens : 04 91 81 55 15 / www.facebook.com/Librairie.lhydre/