Château de Forbin, vue de l'intérieur photo de Pierre Belhassen
Château de Forbin, vue de l'intérieur © Pierre Belhassen

C’est arrivé près de chez vous | Le Château de Forbin

Un château sous les bombes

 

À Marseille, la culture graffiti est partout, des fresques murales du cours Julien aux rooftops en vogue jusqu’aux tags politiques sur les murs fissurés de la ville. Pourtant, l’histoire de ce mouvement n’a pas de place dédiée dans les musées et aucun lieu ne présente une collection historique avec sens. La street cred’ n’aurait-elle pas sa place dans l’histoire de l’art ? À défaut de voir les institutions s’engager dans la représentation historique du mouvement graffiti – notamment français —, le Château de Forbin nous fait voyager dans le berceau du graffiti, le New York des années 80’-90’s.

 

Collectionneurs avertis, Stéphane Miquel et Caroline Pozzo di Borgo, et l’ancien industriel M. Haegel ont réuni plus de 130 œuvres du graffiti, post-graffiti des années 80’-90’ au cœur d’une demeure datant du XIXe : le Château Forbin, à Saint Marcel.

Au fond d’une allée, après avoir passé le double portail, un parc arboré et le son des grillons accompagnent la découverte de l’immense bâtisse. Accueilli par la collectionneuse Caroline Pozzo Di Borgo, on se laisse porter par un discours passionné et passionnant, au gré d’anecdotes amusantes et de moments historiques. On déambule doucement de salle en salle, tentant d’engranger la masse visuelle, un accrochage dense : à l’image du graffiti, pas un mur vide de toiles, pas une toile vide de sens.

De la finesse du crayon de Dondi White sur blackbook, au fat cap de Fab 5 Freddy jusqu’aux macros si symptomatiques de Crash, la collection du Château Forbin ne peut laisser indifférent. Aone, Daze, Doze Green, Keith Haring, Lady Pink, Phase2, Lee Quinones, Quik, Richard Hambleton, Rick Prol… La liste est longue. Les dessins préparatoires et pages arrachées de carnets laissent deviner les heures de croquis à la recherche du style. Les toiles attestent du dynamisme et de la diversité du mouvement de l’époque. L’œuvre de l’illustre Futura 2000 trouve une place de choix, ses recherches stylistiques sur papier sont légion, ses toiles abstraites stellaires embarquent (toujours) le visiteur dans l’esthétique d’un Ulysse 31. Coup de cœur pour le génie hyperstructuré de RAMMƩLLZƩƩ, qui dispose d’une salle dédiée. Il fallait au moins cela pour entrapercevoir ses théories sur la lettre délaissée de tout carcan, la lettre pour elle-même, hors du mot, hors du sens, libre d’interprétation.

Une future bibliothèque et des documents d’archives finissent de nous persuader… Le photographe Henri Chalfant apporte un éclairage indispensable sur la culture du métro, l’évolution du lettrage, l’apparition des highlights et des 3Ds… et Martha Cooper d’évoquer avec tendresse les moments de vie de cette époque mythique.

Carolie Pozzo Di Borgo atteste : « Même au Museum of Graffiti de Miami, il n’y a que très peu de pièces anciennes. » Comprenez donc que la collection présentée au Château de Forbin est non seulement inédite par son nombre, mais aussi par sa sélection et sa qualité. Une collection qui se veut mouvante, en fédérant les collectionneurs privés et les institutions autour de prêts et d’acquisitions. Une collection qui désire également être vue par ses pairs, questionnée et remise en question au gré de résidences d’artistes. En premier lieu dédiée aux pionniers (Chris « Daze » Ellis), puis ouverte aux contemporains, la résidence se clôturera par une exposition dans l’espace galerie.

À tous les amoureux, à tous les curieux jusqu’aux sceptiques, cette collection unique ne pourra que vous impressionner par la richesse qu’elle confère à cette période : la naissance du mouvement retrouve enfin ses lettres de noblesse.

 

EL

 

Passage(s) : jusqu’au 25/08 au Château de Forbin (30 traverse Cavaillon, 11e).

Rens. : 04 91 45 39 68 / www.chateaudeforbin.com