Passage de la Cadière sous l’A7 © Loic Magnant

Caravan : une randonnée atypique en milieu urbain et périurbain

L’Interview :
Baptiste Lanaspèze (Cercle des Marcheurs)
et Alexandre Field (CAUE13)

 

Sur le GR2013, production de MP 2013, le CAUE et le Cercle des Marcheurs nous guident dans une randonnée atypique en milieu urbain et périurbain via le projet Caravan. Rencontre avec deux de ces explorateurs des temps modernes.

 

Comment est né Caravan ?
Baptiste
: J’ai été initié à la randonnée périurbaine par des artistes marseillais qui font ça depuis des années, le Cercle des Marcheurs. Via ma maison d’édition, Wildproject, j’ai donc proposé un projet dans ce sens à MP 2013 : la création d’un chemin de randonnée unique en son genre, en milieu urbain et périurbain, c’est-à-dire la banlieue, les zones industrielles, tout ce qui n’est pas vraiment valorisé à l’inverse des jolis centres-villes, des belles avenues, etc.  Suite à l’accord de MP 2013, j’ai rencontré Alexandre du CAUE13 (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement des Bouches-du-Rhône) et on s’est lancé le défi de faire cette grande boucle.

Pourquoi ce nom de Caravan et pourquoi cette forme de huit ?
A
: Le terme « caravane » désigne d’abord une assemblée de gens qui marchent ensemble. C’est aussi un lieu de vie, de travail. Enfin, Caravan, c’est aussi un thème de jazz que tout le monde joue différemment, mais ensemble. Dans ce projet, il y a une histoire de rythme et de tempo.
B : Quant à la forme, on la doit à Nicolas Mémain, qui fait partie des artistes marcheurs. Il a vraiment accroché au projet et a proposé de dessiner la forme de la métropole pour le trajet. D’après lui, en dehors de petits archipels (Aix, Marseille, Salon, etc.), deux zones non constructibles — l’Etang de Berre et le Massif de l’Etoile — donnent forme à cet espace. Les autoroutes s’enroulent autour de ces deux points en formant un huit. C’est une belle forme, d’autant plus que le point central est la gare d’Aix TGC, donc au beau milieu des coulisses du territoire.

Quel est l’intérêt de ce partenariat ?
Alexandre :
Le CAUE13 a une mission de service public, l’association est présente dans toutes les communes. D’un côté, on a une action de conseil : projets d’urbanisme, études de faisabilité, conseils en amont… Et de l’autre, on a aussi une mission de sensibilisation auprès du grand public, des scolaires, des associations à travers des débats, des médiations… On est là pour tenter de répondre aux différentes questions que peuvent se poser les habitants sur leur territoire et y réinstaurer une culture commune autour de son aménagement. Parce que même si toutes les communes sont différentes, elles restent liées par les mêmes grandes problématiques comme l’étalement urbain ou les transports. Et notre travail nous permet d’avoir une double vision, à l’échelle des communes et à l’échelle du territoire en général. Caravan est un projet fantastique pour nous, car il rentre complètement dans notre domaine d’étude. On va faire un état des lieux collectif de ce territoire.
B : Pour nous aussi, c’est super intéressant d’avoir le CAUE13 à nos côtés, on va pouvoir croiser notre  regard très contemplatif d’artistes aimant l’architecture avec celui, plus technique, des experts du CAUEqui aiment l’art.

Concrètement, à quoi ressemblera cette randonnée ?
B
: 365 kilomètres de marche, reliant une trentaine de commune. Il y aura trois saisons : un Printemps de L’Etang autour de Berre, un Eté marseillais durant lequel on fera 60 km dans Marseille et un Automne de l’Etoile qui nous amènera autour du massif de l’Etoile.
A : A chaque saison se jouera quelque chose de nouveau. Les acteurs, le nombre de kilomètres, l’élu, le contexte, les paysages… tout sera différent. Et puis Caravan, c’est aussi un voyage, une performance et une enquête, donc tout ce qui va être fait sera conservé. C’est un moment de collecte d’infos, de prise de note, de photos. Il y aura un rendu en direct sur un blog, des émissions enregistrées par Radio Grenouille et pour 2014, sans doute un « portrait du territoire », qui rassemblera tous les points de vue.

Pourquoi avoir choisi le milieu périurbain pour ce sentier de randonnée ?
B
: Parce que ce sont des endroits qui ne sont jamais montrés, valorisés, photographiés. Or, il faut savoir que les Bouches-du-Rhône sont essentiellement composées d’espaces périurbains, cette espèce de ville générique qui se retrouve partout, de Lille à Marseille. C’est aussi une manière différente d’aborder notre environnement et de le comprendre. Les zones périurbaines n’ont pas vocation à recevoir des piétons, ce n’est pas prévu pour ça. De fait, l’exercice consiste à passer dans des endroits délirants, parfois glauques, parfois forts visuellement, intenses. Il y a une expression que j’aime bien pour définir cette sensation : « regarder sous les jupes des villes ».
On a envie de le partager avec d’autres cette expérience bouleversante qui nous amène une connaissance intime de cet espace, de les amener dans des endroits où ils ne sont jamais allés. Le geste est simple, mais complètement inédit.

Pourquoi inviter les élus à se joindre à votre randonnée ?
A
: Pour entendre l’histoire du territoire et la commenter ensemble, préparer des projets d’urbanisme. Et surtout le faire à plusieurs voix : architectes, artistes, experts, élus. C’est aussi le rôle du CAUE : faire le lien entre les architectes et les élus dans ses missions.
B : Le CAUE évite la confrontation directe entre l’artiste et l’élu. C’est  un moyen d’éveiller la conscience, d’élargir le regard et de poser les bonnes questions : comment penser l’espace, notre manière de vivre, autrement, pour penser à demain ?
A : On est garant du sens du projet, on est là pour expliquer, accompagner. La bonne balade, c’est partir avec une envie et avoir une bonne discussion pendant la marche. On ne parle pas en marchant comme autour d’une table, c’est une vraie expérience. Ce dialogue à trois permet de regarder les choses sous un autre angle, de prendre des chemins détournés, d’aller par les arrières, pour finir par parler des problèmes autrement, dans un contexte très pratique. On fait une boucle, c’est un grand passage de relais solidaire, avec des communes qui vont marcher ensemble.

Y a-t-il un élu en particulier que vous souhaiteriez voir se joindre à vous ?
A
: Non, car tous les élus sont intéressants, ils ont tous des choses à raconter sur leurs communes.

Pensez-vous que ce projet peut faire évoluer le regard des habitants sur leur territoire?
B
: Avec ce GR, on comprend beaucoup mieux notre ville et on voit plus globalement le territoire. Par exemple, le cœur économique de Marseille est à Port-de-Bouc.
A : Et puis cette expérience crée des liens, à vie. Cela va forcément changer la relation entre un élu et un architecte qui s’embarquent ensemble sur ce trajet. Tout le monde va regarder sa commune différemment et ça va créer une culture autour de cet espace qui nous relie tous.

Quelle est la différence entre le GR produit par MP 2013 et votre projet, qui partagent le même trajet ?
B
: MP 2013 va organiser toute une série d’évènements sur le GR, avec des temps forts dans différentes villes. Nous voulions apporter une autre vue, sur du long terme. On veut faire un portrait de cet espace de communes. Caravan est un peu plus technique et touche donc un public un peu plus restreint, mais reste complémentaire du GR 2013
A : L’autre fait important, c’est qu’à côté de ces communes sous les projecteurs en 2013, il y en d’autres, pourtant traversées par le GR, qui resteront dans l’ombre. Caravan est une manière de les relier, de dire que l’on fait tous partie de ce même élan.

Comment votre projet a t-il été accueilli par MP 2013 ?
B
: Ils ont compris la complémentarité des deux projets et ont même labellisé Caravan. Le GR est un outil tellement fabuleux d’interprétation urbain que ça aurait été dommage de ne pas s’en servir…

Comment pérenniser ce parcours au-delà de 2013 ?
B
: C’est la Fédération Française de Randonnée qui possède la marque GR. Les randonneurs qui ont commencé à baliser le GR se le sont appropriés.
A : C’est un espace public dont les citoyens vont être responsables. C’est quand même assez génial de voir des gens se dévouer pour surveiller ce chemin, le baliser, l’entretenir… Mais pour qu’il soit vraiment pérenne, il faut aussi que les gens continuent de l’emprunter au fil des ans.

Avez-vous déjà des projets pour poursuivre cette démarche de découverte ?
B
: Geoffroy Matthieu, l’un des artistes associés au GR, va effectuer un travail d’observatoire du paysage. Il va choisir cent points de vue sur le GR, en sélectionner trente avec un comité scientifique et les renouveler tous les ans pendant dix ans pour témoigner de l’évolution de l’espace périurbain.
A : Et puis on va laisser des traces de ce que l’on aura vécu durant 2013 : les artistes vont écrire, produire autour de ce projet, Caravan va écrire son journal de bord, il va y avoir un topo-guide du GR.

Propos recueillis par Aileen Orain

 

Rens. http://caravan2013.blogspot.fr