Babel Music XP

Retour de Babel

 

Grand retour et mutation du Babel Med, qui renaît sous une nouvelle forme : le Babel Music XP. Dans une ambition toujours tournée vers la diffusion des musiques du monde et leur mise en lumière auprès des publics et des professionnels du milieu, le « hub » méditerranéen revient avec une éthique marquée au fer rouge. Nous avons fait le point avec Olivier Rey, membre de l’association Latinissimo depuis des années et nouveau directeur de la manifestation.

 

 

Dès 1997, l’association est en quelque sorte pionnière dans le milieu en organisant le Womex (Word Music Expo, festival de référence mondiale dans la diffusion des musiques du monde) à Marseille. De 2005 à 2017, Latinissimo invente sa propre manière de traiter ces esthétiques en créant son festival, qui, loin d’un format de diffusion classique, est un « marché » des musiques du monde, un « hub », comme elle aime à le définir aujourd’hui, réunissant les professionnels du milieu musical mondial autour d’un tremplin tout aussi planétaire. « Cet événement s’est inscrit dans l’agenda international professionnel et a contribué à la structuration du secteur des musiques du monde », précise Olivier Rey.

Une coupe budgétaire les force en 2018 à cesser cette activité, alors que « plusieurs membres de l’équipe avaient ressenti des mutations au sein de la filière. L’appellation “musiques du monde” n’est pas un genre musical mais plutôt un terme marketing musical hérité de nos amis anglais dans les années 80 ! C’est une sorte de convention qui permet de rendre intelligible auprès du public cette esthétique. Les usages des publics et les pratiques des artistes, la porosité entre les différents genres de musique faisaient que cette appellation atteignait une sorte de plafond de verre. Les publics sont autant capables d’écouter de la chanson française, de la musique anglaise que de l’amapiano sud-africain. On a tous les outils aujourd’hui pour avoir la connaissance de l’ensemble des genres musicaux. »

Aux yeux de l’organisation, créer un événement dans sa dimension économique et culturelle restait tout à fait valable et légitime, voire nécessaire. Retissant le lien avec la Région Sud, rejointe par la Ville et la Métropole, l’organisation a pu « refondre l’économie de l’événement ». Les réseaux ont également été contactés, de façon à reconstruire l’évènement collectivement ; dans cette idée de « marché musical », producteurs, bookers, diffuseurs, médias et sociétés civiles doivent également être de la partie. Un travail de fond long de trois ans, qui a prouvé à Latinissimo que l’attente d’un retour existait. En 2020, l’annonce d’un événement intermédiaire est lancée pour novembre, avant une réelle reprise prévue pour 2021… Un « before » finalement organisé en distanciel, Covid oblige. « Un événement qui a tout de même permis de rassembler la filière, de mettre à plat l’ensemble des préoccupations qui remuaient le milieu musical, et de poser les jalons de là où nous voulions amener la refonte du projet : parler de l’économie, des questionnements sociétaux autour du spectacle vivant, la diversité, l’inclusion, la transversalité, l’écologie. En s’attachant à parler des musiques mondiales, la question de la mobilité est en question, comme bien d’autres que nous souhaitions traiter au sein de l’événement et de manière plus affirmée, pour ne pas être considérés comme en vase clos dans notre petit ghetto des musiques du monde, mais bien ouverts sur l’ensemble du milieu. »

Après finalement cinq ans d’arrêt, c’est en 2023 que l’événement renaît, avec une réelle interrogation de l’organisation entre économie et engouement. Côté candidatures, ce n’en sont pas moins de 1462 qui ont été reçues entre le 16 septembre et le 24 octobre derniers, alors que Babel n’en attendait que dans les 500, à vue d’œil. Considéré comme un « accélérateur de carrière », le festival crée l’intérêt pour les artistes du monde entier. « Le constat est simple, les artistes de ces esthétiques font leur carrière sur le spectacle vivant et pas sur le numérique. La crise Covid a renforcé la tendance de concentration autour des festivals, rachetés à tour de bras par des multinationales, et qui sont dans une logique commerciale plutôt que de diversité musicale. Cette logique a poussé les salles à faire de la billetterie à tout prix et donc à se focaliser sur des têtes d’affiche, ce qui grève les budgets puisqu’il y a une réelle inflation sur les tarifs de ces dernières. Il y a donc de moins en moins de fenêtres de diffusion pour ces artistes des musiques actuelles du monde. Est-ce qu’on laisse tout ce monde-là aux mains du secteur marchand ou est-ce qu’on organise quelques chose qui garantisse l’expression de la diversité musicale jusqu’au public ? »

Pour la sélection des groupes qui auront l’opportunité de se produire au Dock des Suds pendant l’exploitation du festival, Olivier Rey a fait appel à Fred André (également programmateur à la Fiesta des Suds) et à Stéphane Krasniewski (directeur des Suds, à Arles) afin de composer un jury de personnes de la filière régionale, des musiques du monde, des musiques actuelles, du jazz et des médias. Ensemble, elles ont choisi trente-deux groupes internationaux en suivant quelques paramètres : outre une exigence artistique évidente, les formations doivent être une minimum accompagnées, afin de pouvoir répondre à des invitations de programmateurs. Répartition géographique, stylistique et de parité étaient de mise également, avec une intention particulière donnée aux groupes portés par des acteurs de la filière régionale. « Le projet, pour un jury de cet ordre-là, c’est de tomber sur la pépite ! Le truc qui n’apparaît sur aucun écran radar, que tout le monde veut être le premier à faire. » Cet esprit de découverte est appuyé pour le public par des tarifs très bas pour ces soirées de concerts. « Les gens vont venir voir des groupes vaguement identifiés et repartir avec de nouveaux artistes en tête ! »

À propos de la dimension éthique, Olivier se permet d’ailleurs de préciser qu’« il y a différents marchés internationaux qui considèrent que les formats de 45 minutes sont des dates vitrines, de showcases, et donc de promotion pure qui ne justifient pas de prise en charge. Ils laissent donc tout à la charge des producteurs. Nous avons voulu prendre le contrepied, car certains pays ont des structures culturelles en capacité de prendre en charge ces frais et de défendre des projets, comme l’Espagne, les Pays-Bas ou le Canada, tandis que d’autres pays seraient pénalisés. Nous payons tous les artistes, en plus d’un technicien par projet, et nous prenons en charge l’hébergement, la restauration et les transferts. Ainsi, un groupe venant d’Érythrée et un autre des Pays-Bas seraient sur le même pied d’égalité. C’est assez normal de payer les artistes, mais mis dans la réalité des marchés internationaux, ce n’est pas une règle appliquée partout ! »

Le départ du Dock des Suds étant acté, il est de l’ordre du symbolique de pouvoir inscrire la manifestation dans un héritage de Babel Med, entre ses murs originels, répondant au désir de l’équipe d’organiser tous les concerts sous le même toit, afin que tous les artistes aient la même chance d’être vus par public et professionnels. « Si, à l’avenir, nous n’avons pas l’opportunité de garder nos trois scènes sous un même toit, j’aspire à garder, au moins, une unité de quartier. »

Cette année, les rencontres professionnelles auront lieu en journée à la Friche la Belle de Mai, manière d’appuyer encore une fois l’évolution de la manifestation, et de montrer une ouverture à d’autres structures. Le festival s’installera dans des locaux de la Friche, certes, mais est également partenaire de plusieurs de ses structures comme l’A.M.I., le GMEM ou le Cabaret Aléatoire. Malgré le cachet « pro », un partie de ces rencontres est ouverte au grand public et totalement gratuite, afin de réfléchir ensemble à ce que secouent les musiques du monde d’un point de vue politique : censure, liberté d’action ou d’expression…

Un retour très attendu, un festival tourné vers l’extérieur et porteur de réflexion(s), dans un monde qui court tête baissée vers l’enfermement et le systématisme. On prend.

 

Lucie Ponthieux Bertram

 

Babel Music XP : du 23 au 25/03 à Marseille.

Rens. : https://babelmusicxp.com

Toute la programmation de Babel Music XP ici