Mémoires du Grand nord d'Arnaud Saury © Touhid Loudin

Avignon Off 2015

Le monde en scènes

 

André Benedetto aimait les contraires… En 1966, il imagine le Off d’Avignon pour répondre au festival de Jean Vilar. Cinquante ans plus tard, le « plus grand théâtre du monde » fourmille de propositions. Exploration en toute subjectivité.

 

Pourquoi bouder la fête d’anniversaire du Off sous le seul prétexte que la totalité du menu qui y sera servi ne met pas forcément en appétit ? Dans le démentiel banquet des 1336 propositions accommodées par 1071 compagnies à la mode théâtrale, il y a certes de la junk food artistique, des classiques mal revisités, des nourritures de l’esprit bien indigestes. Mais aussi de très bonnes choses qui feront les prochaines belles saisons des théâtres.
Au moment où de nombreux festivals sont annulés, où les compagnies cherchent désespérément des solutions de survie comme le financement participatif, il semble de mise de favoriser les partenariats. Des lieux se regroupent, mettant ainsi leurs moyens et réseaux en commun. C’est le cas du Théâtre des Doms, l’AJMI (Têtes de jazz) et la Manutention (Cinéma Utopia et Les Hauts Plateaux), regroupés autour d’un territoire géographique et de passerelles artistiques. Aux Hauts Plateaux, on s’attardera plus particulièrement sur Contrôle de Perrine Maurin, où l’on retrouvera l’étonnant comédien Gurshad Shaheman, qui nous avait estomaqués l’automne dernier aux Bancs Publics avec sa trilogie (Taste Me / Touch Me / Trade Me). Le contrôle social mis en scène entre concert rock, théâtre documentaire et performance. Avant-première le 1er juillet à Marseille dans le cadre des Mercredis de Montévidéo.
La programmation des Doms, vitrine de la création contemporaine belge francophone, tourne cette année autour de la question de la place. Celle des femmes aujourd’hui, avec Elle(s) de Sylvie Landuyt, prix de la critique belge 2014. Dans le monde du travail avec Le Réserviste de Thomas Depryck, mis en scène par Antoine Laubin, avec Baptiste Sornin (vu chez les Dardenne), parabole irrévérencieuse et participative qui invite chaque soir un spécialiste (sociologue, chercheur…) pour débattre avec le public après la représentation.
Certains lieux font perdurer l’esprit des débuts du festival Off dans la singularité, la découverte artistique, l’aide à la création, l’échange avec le public par le biais de rencontres gratuites, table rondes, étapes de travail ou inédits. Aux Doms, on se précipitera aux très prisés Apéros d’Emile&Cie ou au PechaKucha, concept singulier de présentation de projets d’artistes en vingt images et moins de sept minutes. Mais aussi aux lectures croisées PACA/Belgique, où l’on pourra découvrir la dernière création d’Elise Vigneron (Théâtre de L’Entrouvert), membre du collectif des huit jeunes artistes mis en place par les Théâtres ; ainsi que celle de Stéphane Arcas, Le Fil de la machine (compagnie Black Flag), menée à partir d’une interview de Philippe Jazarin, fondateur de la Machine à Coudre.
En face du village du Off et de son Magic Mirror, espace de parole des compagnies et des spectateurs, la Manufacture, lieu engagé autour de l’écriture contemporaine, est connu pour ses ovnis présentés à l’Espace 40 et ses Nighshots, petites formes de spectacles en devenir. Fabrice Murgia (enfin dans la région avec Children of Nowhere cet hiver) y dirigera Nicolas Buysse et Fabio Zenoni dans Walking Thérapie, un « safari » urbain pour cent spectateurs sous casque mené par deux prédicateurs déjantés. Côté spectacle, on retiendra Fromage de tête, dernier volet d’un ensemble consacré au mystère qui lie l’homme, les choses et le monde par le Groupe n+1 des Ateliers du Spectacle, et Fuck America par la compagnie Noob.
Dans la même lignée, le Théâtre des Halles inaugure Le Chapiteau, tandis que le Théâtre de l’Entrepôt offre un plateau à des compagnies de toutes disciplines, à la recherche de formes innovantes. Outre une aide à la diffusion de nouvelles créations contemporaines, ils permettent d’envisager des partenariats sur la durée. On y retrouvera le magnifique spectacle de Clara Le Picard All Bovary’s ou encore Mémoires du Grand Nord d’Arnaud Saury.
Dernière-née des scènes avignonnaises, le Das Haus fera la part belle aux temps forts de la scène indépendante berlinoise cette saison, souvent hybrides par leurs formats (danse-théâtre, performance, projet participatif).
Enfin, on ne partira pas d’Avignon sans faire un tour au Girasol, à l’Ile au Pot (cirque) et, surtout, sans avoir vu le buzz de l’année dernière (que l’on retrouvera pour une date unique aux Salins cet automne) : Un Poyo Rojo, mis en scène par Hermès Gaido (au Théâtre du Roi René). Deux incroyables interprètes, Luciano Rosso et Alfonso Barón, transmettent, dans l’impulsion du geste, la peur et l’attirance que peut provoquer l’autre. Sublime pour la beauté des corps, irrésistible d’humour et d’intelligence, c’est Le spectacle qui rend heureux.

Maryline Laurin

 

Avignon Off : du 4 au 26/07 à Avignon.
Rens. : 04 90 85 13 08 / www.avignonleoff.com

Les Doms : www.lesdoms.be/accueil/

La Manufacture : www.lamanufacture.org

L’Entrepôt : www.misesenscene.com