Les Chiens de Jean, Néron de Jean-Jacques Ceccarelli

Focus sur l’Artothèque Antonin Artaud

Le cœur ou la raison

 

L’annonce la semaine dernière du maintien des subventions allouées par la DRAC à l’Artothèque Antonin Artaud a rassuré les 2200 signataires de la pétition lancée en septembre dernier pour maintenir les subsides de l’association. Mais par les temps qui courent, les bénévoles qui œuvrent au fonctionnement de l’Artothèque se demandent plus que jamais de quoi demain sera fait…

 

« La pratique et la transmission artistiques sont essentielles à la constitution de l’être. Un enfant qui a eu l’occasion de rencontrer un artiste, d’aller à un concert, n’a pas la même vision du monde. Il sait qu’il y a du possible pour lui et que tout ce patrimoine et ces pratiques artistiques qu’il peut découvrir, et pratiquer, sont mis à sa disposition. Car c’est lui qui construit le monde de demain », déclarait Françoise Nyssen dans Le Figaro le 4 septembre dernier.

On considère aujourd’hui qu’au moins 50 % des Français sont totalement exclus de la culture (la réalité tournerait plutôt autour de 75 %). Si tous les acteurs s’accordent à déplorer cette fracture culturelle, les différentes tentatives pour y remédier semblent échouer au regard du fossé qui se creuse un peu plus chaque jour. La grande bataille pour reconquérir ces « exclus de la culture » se poursuit donc et se focalise sur les ouvriers, les employés et les jeunes identifiés comme les plus éloignés de l’offre culturelle. En début de mandat, Françoise Nyssen a rappelé vouloir toucher 100 % des élèves par la culture et par l’art et, avec Jean-Michel Blanquer, faire du PEAC (Parcours d’éducation artistique et culturelle) une priorité.

Une fois ce constat posé, on se dit que la présence, depuis bientôt trente ans, d’une galerie d’art contemporain et d’artistes sur place pendant les montages d’exposition, des vernissages, des présentations de leur travail aux élèves et des ateliers de pratique, au sein même d’un lycée situé dans les zones classées en politique de la ville, remplit tous les critères d’éligibilité aux subventions proposées par la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC), mais également par la ville de Marseille, la Région et le Département. En termes de proximité, personne ne fait mieux ; seulement voilà, les choses ne semblent pas si simples… L’Artothèque Antonin Artaud pourrait bien être victime de ce qui fait sa spécificité et sa richesse. Son implantation au sein même d’un établissement scolaire, seul exemple en France, relevant de l’Éducation Nationale, brouille les pistes et complique la vie des subventionneurs. À qui revient donc la lourde tâche de subvenir au fonctionnement de cette association loi 1901, créée en 1987 dans l’enthousiasme général de la part des collectivités territoriales. L’Artothèque Antonin Artaud a vu défiler sur les cimaises du réfectoire et de la salle d’exposition plus de 200 artistes du territoire et produit un petit livret que nous gardons tous précieusement dans nos bibliothèques, entre les monographies des Presses du Réel et les catalogues de la Biennale de Lyon. La collection est constituée de plus de 600 œuvres provenant d’acquisitions ou de dons d’artistes. La qualité des expositions est reconnue par tous les professionnels, la programmation plébiscitée par les artistes. Bref, le professionnalisme des expositions n’est plus à démontrer ; l’Artothèque tient largement la dragée haute aux galeries associatives de Marseille. D’ailleurs, elle appartient au réseau d’art contemporain Marseille Expos, dont l’entrée ne se fait que par cooptation par ses pairs. C’est sans l’ombre d’un doute un lieu d’art contemporain. Pourtant, le ministère de la Culture, via la DRAC, et le ministère de l’Éducation Nationale, via le rectorat d’Aix-Marseille, se renvoient la balle et laissent le devenir des quelque 17 000 euros de fonctionnement annuel de l’association dans l’incertitude la plus consternante ! Car, on le sait bien dans ces cas-là, si l’un des partenaires se désengage, les autres lui emboîtent le pas.

 

Le cœur a ses raisons que la raison ignore…

Aussi, même si les 2500 € alloués par la DRAC sont maintenus pour 2017, les bénévoles de l’Artothèque s’inquiètent de ce qu’il adviendra l’année prochaine et les suivantes… Les raisons évoquées sont nombreuses et sans doute légitimes. Si les statuts ne sont plus conformes aux lignes budgétaires, si le devenir de la collection est incertaine en cas de disparition de l’Artothèque, si les bénévoles ne sont pas des professionnels de la profession puisque leur métier est aussi d’enseigner la philosophie, les mathématiques, le français ou l’histoire ; en résumé, si désormais l’Artothèque n’entrait plus dans les cases qui donnent accès aux subventions publiques selon les (nouvelles) lignes draconiennes des dossiers de subventions et les compétences spécifiques relevant de chacun des financeurs, alors il va falloir accompagner l’Artothèque dans une reformulation de son fonctionnement et l’aider à correspondre à nouveau aux critères demandés. Car il est certain que dans le contexte social et politique actuel, nous ne pouvons pas nous passer d’un outil comme celui de l’Artothèque pour s’adresser aux jeunes et les ouvrir à la culture, à l’altérité, à la tolérance et à tous les domaines qu’aborde l’art actuel. L’art permet de reposer les questions sociétales dans lesquelles les jeunes sont immergés. Tous admettront donc que les sommes dont on parle, 17 000 euros de budget annuel, sont dérisoires par rapport aux objectifs et aux résultats obtenus. Et personne ne comprendrait les raisons, aussi fondées administrativement soient-elles, qui entraîneraient la disparition d’un outil d’éducation et d’accès à la culture aussi efficace.

Il reste à suivre l’exemple de la ministre elle-même et travailler main dans la main. « Mon rapprochement avec le ministère de l’Éducation Nationale est fondamental et va durer dans le temps. La culture n’est pas un supplément d’âme, elle est constitutive des apprentissages. » Françoise Nyssen

Si la polémique a du bon, autant profiter de ce coup de projecteur sur l’Artothèque pour en assurer la pérennité, lui donner encore plus de moyens et offrir à plus d’artistes encore la possibilité rémunérée d’accompagner les jeunes dans leur ouverture à l’art. De quoi embaucher une personne pour coordonner toutes ces actions et les nouvelles, celles qu’il serait possible de faire avec un peu plus d’argent. Et pourquoi pas lancer une enquête auprès des jeunes qui ont bénéficié de cette rencontre avec l’art durant leur parcours scolaire ? Car combien de lycéens ont rencontré des œuvres, discuté avec des artistes depuis trente ans entre les murs du Lycée Antonin Artaud ? Comme le font en ce moment ceux qui découvrent les dessins de Jean Jacques Ceccarelli, disparu cette année, à qui l’Artothèque est la première à rendre hommage…

En ce début d’année scolaire, il y a peut-être une lycéenne dont les parents ne vont jamais au musée, au théâtre ou même au cinéma, qui ne possèdent aucun ouvrage d’art à la maison, ni aucun livre sauf ceux de France Loisir. Elle fera, jour après jour, l’expérience esthétique d’une rencontre avec une œuvre d’art au sein de son établissement scolaire par le biais d’une artothèque et d’un professeur d’art plastique qui, chaque semaine, accroche une nouvelle œuvre originale dans la classe. Elle s’y ouvrira, l’utilisera comme vecteur d’émancipation sociale et plus tard, témoignera peut-être chaque quinzaine dans un magazine culturel gratuit de comment cette rencontre a changé son rapport au monde et comment l’école avait su jouer son rôle d’éducateur artistique en son temps…

Il y a des sujets qui nous tiennent plus à cœur que d’autres…

 

Céline Ghisleri

 

Hommage à Jean-Jacques Ceccarelli / Quoi de neuf à l’Artothèque ? : jusqu’au 23/11 à l’Artothèque Antonin Artaud (25 chemin notre dame de la Consolation, 13e).

Rens. : 06 45 68 15 64 / www.artothequeantoninartaud.fr