Andrea Chénier d’Umberto Giordano et Luigi Illica © Rolando Paolo Guerzoni

Andrea Chénier d’Umberto Giordano et Luigi Illica à l’Opéra de Toulon

Au pied de l’échafaud, j’essaye encore ma lyre…

 

Pour sa rentée, l’Opéra de Toulon présente Andrea Chénier, un drame lyrique sur fond de Révolution française, dont le panorama spectaculaire ne manque pas pour autant de déplier les grandeurs de l’intime.

 

C’est dans la prison Saint-Lazare où il attend d’être guillotiné qu’André Chénier compose les meilleurs de ses vers. La Révolution, après l’avoir enthousiasmé puis épouvanté, va dévorer maintenant cet idéaliste fait pour l’amour et la poésie. La veille de son exécution, il écrit encore une ode à sa muse Melle de Coigny : « Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphire, Anime la fin d’un beau jour, Au pied de l’échafaud, j’essaye encore ma lyre. Peut-être est-ce bientôt mon tour… » Le 7 thermidor de l’an II, la Terreur en fera un martyr du romantisme naissant.

Un siècle plus tard, le librettiste Luigi Illica offre au jeune compositeur Umberto Giordano un drame émouvant inspiré de cet épisode tragique. Après deux échecs et un fiasco retentissant, Umberto est plongé dans le doute. Dans la mansarde où il abrite sa bohème, il parvient pourtant à relever l’étendard du poète sacrifié et compose, avec la ferveur de ceux dont l’existence vacille, l’opéra qui va le sortir de l’ombre et du besoin. En écho à l’élan passionné de Chénier, il fait jaillir les promesses de la beauté face à la dureté des temps et au dénuement des cœurs comme une soif qui ne s’éteint jamais. À croire qu’il avait raison d’espérer puisque son œuvre n’a jamais quitté le répertoire depuis sa création triomphale en 1896 à la Scala de Milan.

 

Le Grand Théâtre de Toulon repeint en bleu blanc rouge

L’Opéra de Toulon a coproduit avec cinq théâtres lyriques italiens cet Andrea Chénier de Giordano et Illica, dont les premières représentations à Modène en février dernier ont démontré la haute tenue artistique.

Le metteur en scène Nicola Berloffa y brosse une grande fresque héroïque où la peinture d’histoire s’invite dans le décor et ménage une distance avec la violence de l’échafaud en érection permanente sur la scène. Le regard de ces grands tableaux en surplomb semble soumettre la cruauté des évènements à notre réflexion. Tandis que l’élégante frivolité de l’Ancien Régime disparaît, le foyer des passions s’assombrit inexorablement sous une lumière d’orage signée Valerio Tiberi, rehaussée de quelques notes vives, rouges et bleues évidemment, par les costumes d’Edoardo Russo.

La force des caractères et la profondeur grave des sentiments s’y expriment dans des scènes resserrées ou, au contraire, au moyen de masses chorales aux mouvements effervescents dont l’alternance renouvelle la tension dramatique. Le trio vocal proposé à Toulon est capable de relever les défis musicaux dont se sont emparés les plus grands ténors et sopranos véristes. Le baryton Devid Cecconi incarnera le citoyen Gérard, catalyseur ambigu du désastre, dont les contradictions intérieures forment un personnage clé, à la subtile évolution psychologique, auquel le compositeur a confié quelques airs décisifs de la partition. Le rôle-titre échoit à Gustavo Porta. Le ténor argentin, au souffle large, entonnera de toute sa vaillance expressive ses hymnes à la patrie, à l’amour de son prochain ; mais surtout, sur un mode plus élégiaque, à celui qu’il porte à Madeleine de Coigny, entrainés tous deux par une fatale nécessité vers un destin pressenti dès le second acte : « Credo a una possanza arcana ». Ah ! Madeleine, si vulnérable dans l’épreuve. C’est bien le diable si le cœur ne nous pince pas lorsque la soprano Cellia Costea exhalera sa plainte déchirante de l’acte III La Mamma Morta au pathos irrésistible ou si l’exquis duo d’amour final n’aiguise un peu plus la fine pointe de notre sensibilité.

Pas moins de dix autres protagonistes se partagent les générosités mélodiques de l’œuvre. À la baguette, le directeur musical Jurjen Hempel nous fera apprécier l’éloquence raffinée d’une orchestration néanmoins puissamment architecturée au bénéfice de la dynamique d’ensemble d’un si vaste plateau vocal.

Il y a dans cette combinaison de l’intime et du grandiose, du solennel et de l’intériorité, matière aux plus belles réalisations lyriques. Il y a fort à parier que ce premier opus de la saison toulonnaise s’inscrira, sinon dans l’histoire, du moins dans les mémoires.

 

Roland Yvanez

 

Andrea Chénier d’Umberto Giordano et Luigi Illica : du 11 au 15/10 à l’Opéra de Toulon.

Rens. : 04 94 92 70 78 / www.operadetoulon.fr/