Albertine a disparu

Documentaire de Véronique Aubouy (France - 2018 - 34'). Projection en présence de la réalisatrice

L’ Albertine, c’est bien sûr celle de Proust, d’Albertine Disparue – sixième tome de la Recherche, nommé parfois La Fugitive. L’adaptation littéraire est toujours un jeu risqué. S’attaquer au monument Proust encore plus. Qu’à cela ne tienne, Véronique Aubouy s’autorise bien des entorses : si nous restons en Normandie, le récit sera bref, situé de nos jours, et, surprise, la plupart du temps dans une caserne de pompiers. Là apparaît tout l’enjeu : se défaire de tout révérence et saisir Proust, aujourd’hui. La figure du narrateur ? Un pompier vieillissant, Jean, emplissant la vie de la caserne, au demeurant quelque peu assoupie, de son chagrin, de ses interrogations et de sa souffrance amoureuse. Au-delà du clin d’oeil à la flamme amoureuse et aux braises de la souffrance, s’ouvre la possibilité d’incarner toute l’épaisseur de ces situations que l’on croit parfois enfermées dans un passé révolu. Dialogues et situations empruntés au roman voisinent avec quelques bribes de conversations comme saisies au vol de la vie de la caserne. Mais sans naturalisme : atmosphère ouatée à la douceur mélancolique, voix sans éclats, jeu presque immobile des personnages, phrasés tout en subtilité ne cherchent pas à effacer le geste de lecture, que l’on sent affleurer. Du texte aux corps, ici des pompiers, là d’adolescentes dans une rue commerçante de province, s’instaure alors une sorte de lecture avec des images, l’espace d’une possible actualisation des mots dans un entre-deux, écho fantomatique du livre, de sa petite musique intérieure, qui hante le film comme Albertine la caserne et l’esprit de Jean. (NF)

 

http://www.aubouy.fr/proust-lu.html

Bibliothèque de Saint-Savournin
Le samedi 12 février 2022 à 18h30
Entrée libre
https://ampmetropole.lectureparnature.fr/
Pôle administratif et culturel Jacques Peuvergne - 33 RD7
13119 Saint-Savournin
04 42 72 43 06

Article paru le mercredi 19 janvier 2022 dans Ventilo n° 457

L’entretien | Emmanuel Mouret

Pour sa cinquième édition, le festival Lecture par Nature organisé par les médiathèques de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence — de l’étang de Berre à Aubagne en passant par Salon, Istres, mais aussi bien sûr Marseille et Aix-En-Provence — met à l’honneur les liens entre littérature et cinéma. Avec comme parrain tout à fait légitime le cinéaste marseillais Emmanuel Mouret, amoureux des images et des mots.

En préambule de la conférence qu’il donnera à Istres autour de son travail sur l’adaptation d’un texte de Diderot pour son avant-dernier film Mademoiselle de Joncquières, rencontre avec ce cinéaste inventif, attachant, absurde et plus subversif qu’il n’y paraît, ou « absuversif » comme il se qualifie lui-même !

    Votre cinéma étant en grande partie basé sur les dialogues, donc sur le texte, quels liens existent entre la littérature et votre travail de cinéaste et scénariste ? J’avoue avoir été un élève davantage intéressé par le cinéma que par la littérature. C’est ma cinéphilie qui m’a poussé à lire quand j’ai compris que des cinéastes que j’admirais s’étaient inspirés d’auteurs de romans et que ces lectures avaient constitué le terreau de leur œuvre. Je comprends ce que vous dites par rapport à mon goût pour les dialogues ; pourtant, le cinéma n’est pas de la littérature. Le lien que l’on pourrait tout de même y voir serait sur le fait que la lecture, quelque part, sollicite notre imagination. On doit projeter dans notre propre imaginaire ce que les mots décrivent. Et je crois qu’il en est de même pour les dialogues de mes personnages. Par exemple, il y a souvent dans mes films des personnages qui racontent des histoires. Et le fait que ces histoires soient racontées oralement, cela crée pour moi une sorte de deuxième plan imaginaire, qui se superpose au plan visuel et concret qu’on a sur l’image. C’est ce que j’aime au cinéma, que l’imaginaire du spectateur vienne s’entrelacer avec ce qu’il voit. Souvent, je dis que nous sommes le personnage principal de notre vie. Et on doit se raconter sa propre histoire pour se situer dans le monde, être son propre romancier. C’est pour ça que nous dévorons, au sens littéral du terme, des histoires que l’on peut trouver dans la littérature, comme dans le cinéma... ou bien encore dans ce que nous entendons autour de nous dans la vie réelle.   Concernant votre film Mademoiselle de Jonquières, adapté d’un passage de Jacques le fataliste de Diderot, on aurait pu se dire, en connaissant vos films précédents qui sont souvent des comédies sentimentales plus ou moins légères, voire absurdes, qu’un auteur comme Marivaux aurait été peut-être plus naturel… Pourquoi ne pas avoir adapté Marivaux, que j’aime éperdument ? Je pense que c’est une question de langue, car il aurait fallu adapter ses dialogues à notre oreille contemporaine. Marivaux a une langue qui lui est propre, sur laquelle de nombreux grands metteurs en scène de théâtre ont travaillé. Et je ne me serais pas permis d’adapter ses dialogues, même si je rêverais de transposer une de ses pièces au cinéma. Cela me semblait plus simple pour Mademoiselle de Jonquières. Dans le texte de Diderot, il y a des passages qui sont des résumés purement narratifs de l’intrigue et des parties dialoguées. Même si la grande partie des dialogues du film sont de moi, j’ai essayé de garder la plupart des mots de Diderot.   Avez-vous d’autres projets d’adaptations de textes littéraires ?
 Si je n’ai pas actuellement de projet d’adaptation, j’ai tellement eu de plaisir à travailler sur Mademoiselle de Jonquières que je suis toujours à l’affût d’un texte que je pourrais adapter.
Cependant, il se trouve que pour le dernier film que j’ai tourné, dont le titre sera Chronique d’une liaison passagère, j’ai repris le projet de scénario de quelqu’un d’autre que j’ai adapté à ma façon.   Justement à propos de ce prochain film, qui devrait sortir en septembre 2022 avec à l’affiche Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne, sans trop en dévoiler, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? 
 L’histoire débute sur un contrat entre un homme et une femme qui s’engagent à ne se voir uniquement que pour le plaisir, à ne rien projeter. Parce que ni l’un ni l’autre n’a envie de s’engager : ils ont tous les deux des enfants, si ce n’est que l’un est en couple et l’autre plus. Cela donne des rencontres joyeuses, tendres, intenses… À tel point que pendant la première partie du film, on se demande comment et combien de temps ce « non engagement » va pouvoir tenir.   Pour finir, pourquoi avez-vous accepté d’être le parrain de cette cinquième édition du festival Lecture par Nature organisée par les bibliothèques et médiathèques de la métropole Aix-Marseille-Provence ? Les bibliothèques ont un rôle essentiel dans notre pays, et dans la ville en général. Ce sont à la fois des refuges quand on n’a pas d’espace pour travailler, et en même temps des cavernes d’Ali Baba pleines de trésors ! Les bibliothèques ont beaucoup compté pour moi quand j’étais étudiant. Si j’ai accepté cette invitation, c’est tout simplement parce que je me sens très redevable à l’égard des bibliothèques, un des plus beaux services publics qui existent !  

Propos recueillis par JP Soares

 

Événements proposés par Emmanuel Mouret dans le cadre du Festival Lecture par nature :

  • Jeudi 3 février à 19h : Le temps, des histoires : discussion sur la question du temps avec Cédric Lagandré, Emmanuel Mouret et Maryline Alligier
à la Médiathèque Simone Veil (La Ciotat)

  • Jeudi 24 février à 19h : Un casting pour Les Liaisons dangereuses, autour de l’adaptation cinématographique du roman de Laclos, à l’Institut de l’Image
(Aix-en-Provence)

   

Lecture Par Nature

Organisée par les médiathèques de tout le territoire de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence, la cuvée 2022 du festival Lecture par Nature propose de nombreuses animations autour des liens entre littérature et cinéma. Ainsi seront programmés plusieurs rencontres, projections et spectacles autour d’écrivains et de cinéastes (Emmanuel Mouret bien sûr, mais aussi Nine Antico, Alexandra Pianelli, Alain Damasio, Dario Argento, Jérémy Fel...), une mise en avant des éditions aixoises spécialisées dans le cinéma Rouge Profond, l’exposition de dessins Cinéma de papier... et, année du centenaire de la mort de Proust oblige, un programme spécifique sur l’auteur de La Recherche, notamment autour du travail que lui a consacré l’artiste Véronique Aubouy. Sans oublier des animations originales, comme un vidéomaton exquis, un roadmovie radiophonique, des ciné-concerts... Bref, une riche programmation qui ne manquera pas de ravir tous les amoureux de littérature et de cinéma !

JPS

 

Lecture par Nature : jusqu’au 27/02 dans les bibliothèques et médiathèques de la Métropole Aix-Marseille-Provence.

Rens. : https://ampmetropole.lectureparnature.fr/