Tu Me Hiciste Ver El Cielo + Daw + Sofia Foi (V.O.)

Trois films respectivement réalisés par Luis Esguerra Cifuentes (Colombie/Espagne - 20'), Samir Ramdani (France - 28' - en présence du réalisateur) et Pedro Geraldo (Brésil - 1h10).Carte blanche au FIDMarseille

Tu Me Hiciste Ver El Cielo

Luis Esguerra Cifuentes est un créateur d’images, au sens propre du terme. Il catapulte dès l’ouverture nos yeux et nos oreilles dans un espèce-temps indéfini, aux confins d’un monde d’une plasticité et d’une texture fantastiques, surgi d’une épaisseur noire et de son centre lumineux. Il compose la vision d’une nature réinventée, d’un univers forestier, où pixels et structures numériques se marient à la chaude densité de la végétation. You made me see the skyemprunte à la science-fiction quelques ingrédients – l’existence d’une zone dont l’accès est limité en raison de la prolifération inquiétante d’un lichen, une entreprise exploratoire et la présence d’une entité non humaine signalée par sa voix, modulation électrique et granuleuse. Mais cette zone est un refuge. Elle accueille une communauté animale et humaine d’êtres qui cohabitent en symbiose. Ici, tout n’est que tendresse et liesse. Les jambes habillées de collants résille se fondent dans la végétation comme partageant une même écorce. On y chante. On s’y performe librement. Les baisers s’échangent dans l’air saturé d’une sensualité primordiale et innocente. Film mutant qui ne cesse de se transformer, You made me see the sky – ce beau titre réfère à une chanson de Shakira –, semble nourri de la pensée de Donna Haraway. Il nous invite à retrouver les puissances chthoniennes enfouies, à fusionner avec les arbres et les autres. Ode à la métamorphose et au vivant, dont le lichen serait le modèle, ce rêve futuriste au plein mystère est avant tout un doux hommage aux femmes trans, aux femmes oiseaux, et à Camila Sosa Villada dont la poésie, inscrite à même le texte, porte les souvenirs d’un monde que l’on espère à venir.

— Claire Lasolle, FIDMarseille

 

Daw

La scène d’ouverture est digne d’un bon blockbuster de science-fiction, genre que Samir Ramdani affectionne particulièrement. La Cellule (FID2020) en était une formidable illustration. Le réalisateur use des mêmes ingrédients : énergie des adolescents qu’on appelle « des quartiers », moyens et espaces qui revendiquent leur modestie, bande son électrique qui habille les séquences d’un voile hollywoodien haute couture, plans impeccables. Le schéma narratif est d’une simplicité enfantine : des adolescents ont disparu, Samir Ramdani, en flic indolent, et sa supérieure, Samira, jouée par Leyla Jawad, doivent les retrouver. Sans détour, le scénario est l’occasion de déplier l’art de la mise en scène du réalisateur pour investir les potentialités de la fiction politique, avec une maîtrise du comique de situation à toute épreuve. Daw distille encore une fois un humour corrosif. Le décalage permet d’aborder tabous et stéréotypes de la société française à l’égard des Français d’origine algérienne. Quand Samira discute au téléphone avec le préfet de l’avancée de l’enquête, elle passe subrepticement à la langue arabe. Et le film navigue ainsi avec une joie acide de l’arabe au français, du français à l’arabe. Précisons que Samira est lesbienne, son ex-copine prof de boxe. Que Dawest ouvertement féministe et décolonial. Il est aussi plus sombre et plus frontal que les films précédents du cinéaste. Le plaisir du fait main est ici au service des enfants d’immigrés qui ne connaissent pas l’origine du mot ratonnade ni le massacre du 17 octobre 1961. Daw assume ainsi l’urgence de l’appropriation des héritages et l’idée que « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. »

— Claire Lasolle, FIDMarseille

 

Sofia Foi

Sofia, 23 ans, a un visage poupon, les cheveux courts, et une casquette rouge vissée sur la tête. Sommée de quitter l’appartement où elle est hébergée, elle décide d’aller tuer le temps sur le campus de l’Université de São Paulo, où elle se rend comme tatoueuse, et non comme étudiante. Avec un dénuement extrême, le film dessine l’errance de ce personnage secret, mystérieusement entêté, qui ne se laisse pas déchiffrer et se montre tout en résistance, dans une sensualité tragique. Sofia Foi avance par ellipses et évocations, au fil du jour et de la nuit, au gré des rencontres avec des ami·e·s ou compagnon·ne·s de classe. Figures elles aussi solitaires et énigmatiques, elles apparaissent, statufiées, observantes et immobiles, comme porteuses d’une révolte étrangement sourde et silencieuse. Au travers de Sofia, Pedro Geraldo dépeint les contours d’une jeunesse marginale et vulnérable, précarisée, égarée au bord d’un monde qui la menace, perdue entre les pleins et les vides d’un campus qui ne la protège pas.
Filmés en plans fixes dans de très beaux clairs-obscurs aux tons verdâtres, les recoins de l’université inquiètent. Le réalisateur installe un régime sonore et plastique grave et sombre, qui redouble l’isolement de Sofia. Son visage sibyllin et ses yeux insondables, filmés en gros plans, sont par moments transfigurés par de sublimes surimpressions; elles figurent la nostalgie d’un amour brutalement interrompu, une disparition à venir. Le film façonne à partir d’absences, dans lesquelles se loge, semble-t-il, le visage d’une mort qui nous regarde : Sofia foi.

— Louise Martin Papasian, FIDMarseille

Montévidéo
Le jeudi 12 octobre 2023 à 21h
5 €
www.actoral.org
3 impasse Montévidéo
13006 Marseille
04 91 37 97 35

Article paru le mercredi 13 septembre 2023 dans Ventilo n° 486

Festival Actoral

[vc_row css=".vc_custom_1694609454159{margin-bottom: 50px !important;}"][vc_column][vc_column_text]

En pleines formes

 

Filant la métaphore d’une couronne de pain dès son identité graphique, la nouvelle édition d’Actoral met en bouche notre temps et vient chercher l’appétit de tous nos sens.

    À l’heure où nous écrivons ces quelques ligne, les crayons de couleur de l’été sont un peu mâchouillés, et la rentrée de septembre nous accable déjà de ses nouveautés et de surinformation. Si c’est à contrecœur que nous quittons la nonchalance estivale, on peut se consoler en se rappelant que septembre est aussi le mois d’un rendez-vous devenu incontournable dans cette rentrée culturelle qui s’étirera jusqu’à la mi-octobre. Si le festival Actoral est synonyme de profusion, il n’en est pas moins aux antipodes du consumérisme appauvrissant qui nous entoure : ici, chacune des soixante-douze propositions est une petite pépite en soi, la signature d’un regard délicat et parfois en même temps une œillade provocatrice envers une société qui s’emballe. Dans la cour de Montévidéo, la petite équipe nous attend pour un point presse avec Hubert Colas, fondateur de cet événement qui a acquis sa dimension actuelle en 2013, il y a dix ans. Celui-ci se plaît d’ailleurs à rappeler le rendez-vous confidentiel que furent les toutes premières éditions, qui réunissait quelques aficionados de la littérature poétique et autres mordus de théâtre, avant que d’évoquer les différentes propositions des deux cents artistes invités au festival cette année. Mais comme à son habitude, Hubert étant de ceux qui se mettent aussi au service des autres artistes, il offre la primauté du tour de parole à trois artistes alors en résidence dans ce formidable outil qu’est Montévidéo : Anne-Sophie Turion et Éric Minh Cuong Castaing nous parlent ainsi de leur installation performative intrigante sur les hikikomori (voir ci-dessous), tandis que le jeune Darius Dolatyari-Dolatdoust nous parle de son amour pour le textile, davantage passionné par le réinvestissement de ce qui existe déjà que par la création, dans une perspective écologique plus que louable dans l’art du vêtement, et dont on peut voir les immenses fresques brodées sur les murs de Montévidéo jusqu’en octobre. Tout les distingue, mais on flaire une même dynamique, sensible au monde qui les entoure et immergée dans celui-ci, bien loin d’une expérimentation incongrue et confidentielle menée dans une tour de verre. De ce même lieu, épicentre du projet d’Actoral menacé par une expulsion comme beaucoup le savent déjà, nous ne parlerons guère dans ces colonnes car l’heure est aux délicates négociations. Nous apprenons que l’État et la Ville de Marseille semblent avoir répondu à l’appel à l’aide d’Hubert Colas, tous conscients de l’incontournable utilité de cet espace de fabrication des œuvres les plus singulières, souvent reconnues par la suite dans les plus gros lieux de diffusion, et maillon incontournable de la vitalité artistique de notre temps pour la ville, l’hexagone et au-delà. Non sans un certain paradoxe, la question devient presque patrimoniale pour la création contemporaine. Estimant cet archipel fertile et prolixe, une ordonnance 45 du ministère de la Culture impose désormais une pérennité de l’usage culturel de ces bâtiments. Puisse le propriétaire l’entendre aussi de cette oreille, c’est tout ce que nous leur — et que nous nous — souhaitons ! Pour revenir à notre présent, l’édition 2023 d’Actoral reprend les ingrédients et les (bonnes) recettes qui ont fait son succès : un investissement du territoire marseillais avec un week-end d’ouverture qui se lie aux dix ans du Mucem, une politique de partenariat avec des grands théâtres comme avec de petites librairies, une polymorphie des formes proposées et une dynamique festivalière qui, par sa programmation journalière sur quatre semaines et ses moments festifs, permet une densification et une unité du public qui se retrouvera de soir en soir, au fil des propositions. Un public à qui ces artistes semblent vouloir faire écouter ce que la société éveille en eux, dans une pluralité de formes « souvent aux confins du burlesque et du macabre »… Vaste programme, dans lequel nous vous invitons à prendre le risque sur quasiment chaque proposition, tant l’ensemble est alléchant. Faisant fi de l’exhaustivité, mais conscients que notre lectorat reconnaîtra beaucoup de noms dans la programmation faite de fidélités artistiques (Christophe Fiat, Mohamed El Khatib, Laura Vazquez, Dorothée Munyaneza, Tommy Milliot, Léa Drouet, Rodrigo Garcia, Dieudonné Niangouna, Dana Michel, la Need Company… et tant d’autres qui échappent à ce name dropping, faute d’espace), nous avons sélectionné des propositions qui arrivent tôt dans l’agenda. Affaires sensibles, à faire, à suivre…  

Joanna Selvidès

 

Actoral : du 21/09 au 14/10 à Marseille.

Rens. : www.actoral.org

Le programme complet du festival Actoral ici

  [/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row css=".vc_custom_1694609461663{margin-bottom: 80px !important;}"][vc_column][edgtf_section_title title_tag="h2" title="Les immanquables de la première semaine du festival"][edgtf_post_layout_one number_of_posts="" category_id="0" author_id="0" sort="latest" thumb_image_size="original" title_tag="h2" display_category="no" display_date="no" display_comments="no" display_social_share="no" display_like="no" display_excerpt="yes" excerpt_length="500" display_pagination="no" post_in="41076,41072,41069"][/vc_column][/vc_row]