Festival d'Aix-en-Provence

Musique classique et lyrique, concerts et opéras, 75e édition.
• Les 4, 5, 7, 10, 12, 14, 18, 20, 22 & 24/07 au Théâtre de l'Archevêché : L'Opéra de Quat'sous de Kurt Weil et Bertolt Brecht (2h). Direction musicale : Maxime Pascal. Adaptation et mise en scène : Thomas Ostermeier
• Les 5, 8, 11, 12, 14, 15, 17, 22 & 23/07 au Théâtre du Jeu de Paume : Picture A Day Like This de Georges Benjamin et Martin Crimp (1h15). Direction musicale : G. Benjamin. Mise en scène : Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma
• Les 6, 8, 11, 13, 15, 17, 19 & 21/07 au Théâtre de l'Archevêché : Cosí Fan Tutte de Wolfgang Amadeus Mozart (3h30 avec un entracte). Direction musicale : Thomas Hengelbrock. Mise en scène : Dmitri Tcherniakov
• Les 7, 10, 13, 18 & 21/07 au Grand Théâtre de Provence : Wozzeck d'Alban Berg (1h40). Direction musicale : Sir Simon Rattle. Mise en scène : Simon McBurney
• Les 7, 8 & 9/07 au Pavillon Noir : The Faggots and their Friends beteween Revolutions de Philip Venables et Ted Huffman (1h30). Direction musicale : Yshani Perinpanayagam. Mise en scène : T. Huffman
• Les 8, 10, 11 & 12/07 au Stadium de Vitrolles : Ballets russes d'Igor Stravinski, accompagnés de films de Rebecca Zolotowski, Bertrand Mandico et Evangelia Kranioti (2h40 avec deux entractes)
• Le 15/07 au Grand Théâtre de Provence : Le Prophète de Giacomo Meyerbeer, en version concert (4h avec deux entractes). Direction musicale : Sir Mark Elder
• Le 17/07 au Grand Théâtre de Provence : Otello de Giuseppe Verdi, en version concert (2h40 avec un entracte). Direction musicale : Michele Mariotti
• Le 24/07 au Grand Théâtre de Provence : Lucie de Lammermoor de Gaetano Donizetti, en version concert (2h40 avec un entracte). Direction musicale : Daniele Rustioni
Avec aussi des concerts de Kirill Gerstein, Asmik Grigorian, Lakecia Benjamin, Orchestre Balthasar Neumann, London Sympony Orchestra, Mahler Chamber Orchestra, Gharbi Twins...

LE FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE FÊTE CETTE ANNÉE SES 75 ANS !

Depuis 75 ans, et plus que jamais, le Festival présente au public, dans l’écrin magique d’Aix-en-Provence et de sa région, des propositions qui renouvellent les approches et le répertoire, élargissent les contours de l’opéra, dialoguent avec les autres arts et modifient le rapport entre les œuvres, les publics et les lieux – dessinant pour la création de nouvelles orientations. C’est ainsi que l’événement d’ouverture de cette édition, au Théâtre de l’Archevêché, est L’opéra de quat’sous, chef-d’œuvre de théâtre musical satirique interprété par la troupe de la Comédie-Française, qui marque les débuts de Thomas Ostermeier sur une scène lyrique.

La réouverture du Stadium de Vitrolles, saluée comme un grand événement international, est tout aussi représentative : ce lieu modulable rend en effet possibles les projets les plus variés, qui font évoluer l’identité du Festival et attirent de nouveaux publics. Cette année, l’Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä accomplit la prouesse de donner en une seule soirée les trois ballets les plus célèbres de Stravinski, que des cinéastes inventifs — Rebecca Zlotowski, Bertrand Mandico et Evangelia Kranioti — revisitent librement dans des fables montrant l’art, la condition humaine et la nature aux prises avec une forme de démesure.

Cette volonté d’innovation traverse l’ensemble de la programmation avec, notamment : Così fan tutte – l’œuvre des débuts du Festival en 1948 – vu par Dmitri Tcherniakov comme un jeu de rôles amer pour couples expérimentés ; Wozzeck, qui signe l’entrée de Berg au répertoire du Festival, et l’interprétation en version de concert du rare Prophète de Meyerbeer, glorieux représentant d’un genre dans lequel il ne s’était jamais aventuré ; ou encore une grande soirée-cabaret dont le pianiste Kirill Gerstein, l’une des personnalités musicales les plus fascinantes aujourd’hui, est le maître de cérémonie.

Depuis 75 ans, et plus que jamais, la musique contemporaine occupe une place de choix, avec trois créations majeures : d’abord Picture a day like this de George Benjamin et Martin Crimp, onze ans après le succès mémorable de Written on Skin – un conte philosophique grave et léger qui suit une jeune femme lancée dans la quête éperdue d’une preuve tangible de bonheur ; ensuite The Faggots and Their Friends Between Revolutions de Philip Venables et Ted Huffman, revue musicale baroque et iconoclaste célébrant joyeusement tous les types de différences ; enfin une œuvre orchestrale de Betsy Jolas, commandée conjointement par le London Symphony Orchestra et le Festival à l’occasion de cet anniversaire. La compositrice de 97 ans, qui a assisté à la première édition du Festival, jette un regard serein sur l’ensemble du parcours accompli. George Benjamin, Betsy Jolas et Kirill Gerstein sont par ailleurs mis à l’honneur dans des portraits illustrant les différentes facettes de leur art.

Depuis 75 ans, et plus que jamais, l’opéra se fait au Festival le miroir du monde, qu’il exprime dans des paraboles artistiques d’où jaillissent beauté, émotion et pensée vive – même du matériau le plus sombre. L’Opéra de quat’sousCosì fan tutteWozzeck, les ballets de Stravinski, Le ProphèteOtelloLucie de Lammermoor : les œuvres proposées cette année convoquent des époques de confusion morale et d’oppression, des gestes de démesure, et par-dessus tout des dispositifs de manipulation – des faibles, des femmes, des foules – qui résonnent fortement avec notre temps. Le plus souvent, ces fables existentielles et parcours initiatiques empreints de cruauté mènent fatalement l’individu et la collectivité à leur perte ; mais ils rendent aussi parfois possible, paradoxalement, la découverte de soi et l’émancipation – l’être humain s’y montrant tout à la fois incroyablement vulnérable et extraordinairement fort.

Depuis 75 ans, et plus que jamais, le Festival pratique l’excellence. Nombre des orchestres ayant écrit son histoire récente sont à Aix cet été – du London Symphony au Mahler Chamber Orchestra en passant par les orchestres Balthasar Neumann ou de l’Opéra de Lyon. Parmi les chefs, il faut noter le retour de Sir Simon Rattle, Susanna Mälkki, Thomas Hengelbrock, Daniele Rustioni ou Michele Mariotti – ce dernier à la tête des forces du Teatro di San Carlo de Naples – mais aussi la venue de Maxime Pascal et de son ensemble Le Balcon. Les noms les plus en vue de la mise en scène ont été réunis, parmi lesquels on peut citer encore Simon McBurney pour Wozzeck – qui bénéficie de l’incarnation majeure de Christian Gerhaher dans le rôle-titre – ou Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma. Certains des plus grands chanteurs de la scène internationale y font leurs débuts, notamment dans l’exceptionnelle série d’opéras en version de concert et les récitals, de Jonas Kaufmann à Asmik Grigorian, en passant par John Osborn, Anita Rachvelishvili, Lisette Oropesa, Maria Agresta ou Pretty Yende. Et l’on se réjouit de retrouver des artistes comme Ludovic Tézier, Marianne Crebassa, Pene Pati, Florian Sempey, Nicole Chevalier et Jacquelyn Stucker ; ou de faire plus ample connaissance avec des représentants de la nouvelle génération comme Mané Galoyan, Liv Redpath et Fatma Said.

En contrepoint de la programmation d’opéra, une ambitieuse proposition de quinze concerts parcourt toutes les époques et tous les styles, de Mozart à la création contemporaine et de la grande œuvre chorale au concert symphonique, en passant par la musique de chambre, le jazz et les musiques de la Méditerranée – où des créateurs et interprètes virtuoses tels que Lakecia Benjamin, les Gharbi Twins, le Noé Clerc Trio accompagné de Robinson Khoury et Minino Garay et le sextet Mosaïc partagent un même goût du collectif et de la transmission auquel s’ajoute parfois une profondeur spirituelle : autant de valeurs que l’on retrouve dans le grand concert de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée dirigé par Duncan Ward.

Enfin, le Festival, c’est aussi l’offre riche, diverse et gratuite d’Aix en juin : le Wajdi Riahi Trio et les « Voix de Silvacane », qui font résonner des chœurs d’Arvo Pärt, des spirituals et de la poésie soufie ; les concerts des Résidences de musique de chambre et de chant de l’Académie, mise à l’honneur à l’occasion de ses 25 ans dans le grand concert Parade[s] sur le cours Mirabeau, qui va de Mozart à la musique cubaine ; un grand week-end pour fêter les 15 ans du service éducatif et socio-artistique Passerelles ; la programmation de films en partenariat avec les cinémas d’Aix ; et une journée qui ouvrira le grand chantier consacré aux collections et à la mémoire du Festival. Enfin, le public pourra de nouveau suivre les « préludes » aux opéras et dialoguer avec les artistes dans le cadre des « tête-à-tête » et des « midis », également disponibles sur #LASCÈNENUMÉRIQUE.

Cher public, les artistes, les équipes et moi-même sommes heureux de vous donner rendez-vous l’été prochain pour découvrir ou retrouver dans l’art vivant et son partage sensible ce qui fait du Festival d’Aix-en-Provence une expérience unique. Une nouvelle fois et plus que jamais.

PIERRE AUDI
Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence

Aix-en-Provence
Du 4 juillet au 24 juillet 2023
9/165 €
https://festival-aix.com/
13100 Aix-en-Provence

Article paru le jeudi 29 juin 2023 dans Ventilo n° 485

Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence

Appel d’airs

 

Le festival lyrique d’Aix-en-Provence souffle ses soixante-quinze bougies. Pendant trois semaines, l’opéra sera partout chez lui. Ses hautes volées résonneront au-dessus des toits et ses airs se propageront de place en place. Ce grand ensemble de manifestations lyriques ira, andante, comme une procession colorée, affirmer et perpétuer la précellence de la ville d’art pour les festivités musicales dont elle est l’hôtesse experte.

    Dans les maisons d’opéra, les créations intégrales (musique, livret et mise en scène) sont extrêmement rares. En a-t-on mesuré le ratio précisément : un titre nouveau pour cinquante du répertoire ? Les causes en sont intelligibles, le propos n’est pas d’en faire la énième déploration mais de faire valoir les orientations différentes lorsqu’elles présentent d’efficaces contrepoids. C’est le cas au Festival d’Aix, où le zèle pour la beauté a les moyens de se fonder, en une mesure quasi-équivalente, sur l’idée patrimoniale et sur l’esprit d’innovation. Ainsi, deux créations dramatiques et une composition symphonique verront le jour sur les tréteaux aixois lors de cette édition. La commande et la production de l’opéra en un acte Picture A Day Like This est la primeur 2023. Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma en signent la mise en scène et la dramaturgie, Hicham Berrada le décor-vidéo. « Une sorte d’Alice au pays des merveilles mais pour adultes », précise l’auteur du livret, Martin Crimp, avec un sourire indéchiffrable comme pour atténuer la charge pathétique de son récit. Une quête initiatique en forme de course contre la montre d’une journée à l’issue décisive pendant laquelle l’espoir et le tragique, l’ordinaire et la fantasmagorie repoussent très loin le grand écart de la condition humaine. Véritable forge du ressort affectif, la partition de George Benjamin est tendue par cet enjeu obsédant. Le compositeur dirigera le Mahler Chamber Orchestra et le plateau vocal emmené par la mezzo Marianne Crebassa. The Faggots And Their Friends Between Revolutions, une fantaisie musicale de Philip Venables sur un texte et une mise en scène de Ted Huffman, démontre, s’il était nécessaire, qu’existe sur la scène lyrique un puissant appel d’air pour des approches renouvelées, des narrations et des formats innovants. Foutraque, échevelée, la comédie du tandem extravague sur tous les tons queers qu’il n’y a pas de mal à se faire plaisir. Sérieux ? À l’occasion de cet anniversaire, le festival a commandé à la compositrice franco-américaine Betsy Jolas une œuvre qu’elle a naturellement baptisée Ces belles années... Celles du festival, les siennes ? Sous la direction de Sir Simon Rattle, le London Symphony Orchestra rendra hommage à la vieille dame de 97 ans, déjà présente à la première édition en 1948. On retrouvera avec émotion cette figure attachante de la musique française qui a traversé son siècle avec élégance et continue son chemin avec la même indépendance d’esprit. Parce que le Septième Art fut musical avant même d'être parlant, les affinités du cinéma avec l’art musical sont restées foisonnantes. Pour explorer le hors-champ de la musique de Stravinsky, le festival a convié trois réalisateurs — Rebecca Zlotowski, Bertrand Mandico et Evangelia Kranioti — à traduire, en forme de trajectoires parallèles et ouvertes, le vague pénétrant de trois œuvres composées, entre 1910 et 1913, pour les Ballets Russes : Petrouchka, L’Oiseau de feu et Le Sacre du Printemps. Pour recevoir la projection géante et l’Orchestre de Paris au grand complet, il fallait un lieu à la démesure de cette audiovision. Il existe depuis peu au Stadium de Vitrolles. Quel que soit le risque de l’aventure, quelles que soient les contentions budgétaires à desserrer, dans l’étonnement constant auquel Pierre Audi et son équipe nous invitent se discernent à la fois un commencement et une finalité supérieure de la promesse esthétique du festival. Si l’art de l’opéra est grand autant qu’il nous mystifie, en revanche notre désir se relance sans cesse en apprenant de quelles apparences il se nourrit. La meilleure surprise étant celle qui se fait d’autant plus sensible que l’on se familiarise avec les œuvres et que l’on acquiert à leur contact des organes insoupçonnés pour en découvrir des aspects que ne laisse pas deviner une première approche. La tradition y est donc un trésor à toujours réinvestir. Indispensable à cet objectif, la mission pédagogique du festival auprès des publics éloignés par la distance géographique, culturelle ou sociale se poursuit tout au long de l’année au moyen de projets artistiques participatifs. De même, l’adhésion de jeunes artistes professionnels aux programmes de « perfectionnement, de réflexion, d’expérimentation et de création » de l’Académie du festival stimule des dynamiques toutes aussi déterminantes pour l’avenir du spectacle lyrique. Dans cette longue chaîne de dons reçus et transmis, L’Opéra de quat’sous (Weil), Così fan tutte (Mozart) et Wozzeck (Berg), les trois nouvelles productions 2023 à grand déploiement, et les trois opéras en version concertante, Le Prophète (Meyerbeer), Otello (Verdi) et Lucie de Lammermoor (Donizetti) parcourent les siècles et les styles illustrant ce principe de circulation des idées et des temporalités qui anime le festival lyrique d’Aix depuis son origine. Le travail du temps a fait de Così fan tutte l’objet transitionnel du festival. Il permet de retracer en pointillé son histoire depuis l’édition alpha jusqu’à la proposition 2023, déconcertante et pourtant si pertinente, signée par Dmitri Tcherniakov : les quatre protagonistes sont loin d’être les jeunes plumets inexpérimentés auxquels nous sommes accoutumés mais deux couples matures et manipulateurs. Malgré la désillusion que ce passage à l’âge adulte entraîne, le metteur en scène parviendra-t-il à rendre l’attachement du festival à son doudou mozartien moins addictif ? Rien n’est moins sûr. Un grand absent dans cette programmation commémorative, l’opéra baroque à qui l’on doit pourtant quelques unes des riches heures du festival. « On ne peut pas tout faire, ce sera pour la prochaine édition », nous a-t-on assuré. Le rendez-vous est pris.  

Roland Yvanez

 

Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence : du 4 au 24/07 à Aix-en-Provence.

Rens. : https://festival-aix.com/fr

La programmation du Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence ici