René Vautier

Cycle consacré au réalisateur français

« J’ai fait des trucs qui sont en fait très bordéliques parce que j’ai pensé pendant très longtemps que le cinéma c’était un objet d’utilisation immédiate, c’était une arme à utiliser tout de suite et puis après, quand on avait fait des images et qu’on les avait utilisées, c’était pas la peine de les garder. Du coup, ça ne m’a pas fait tellement de choses de voir un Le Pen ou des lepénistes me bousiller soixante kilomètres d’archives, parce que je me disais, les archives ce n’est pas mon fort, ils peuvent bousiller les images, les images qu’ils bousillent elles ont été utiles… C’était une perte bien sûr, c’est toujours une perte. Mais je n’avais pas ressenti, à l’époque, que le cinéma c’était aussi quelque chose qui était fait pour la mémoire. Et là maintenant, je me rends compte qu’il y a des choses que j’ai tournées et qui sont particulières. Je m’en suis rendu compte parce qu’il y a des tas de gens qui me demandaient des extraits d’images pour témoigner du passé, donc des images reflétant une réalité que d’autres n’avaient pas montrée. Alors là je me suis dit que maintenant il faudrait ranger tout ça. »

— Entretien avec Sabrina Malek et Arnaud Soulier pour le documentaire René Vautier, cinéaste franc tireur, sorti en 2002.

René Vautier, est né le 15 janvier 1928 à Camaret-sur-mer. Après une jeunesse passée dans la résistance sur la presqu’île de Crozon, il est envoyé à Paris par ses camarades maquisards. Il a pour mission d’y passer le concours de l’IDHEC (l’ancêtre de la Fémis) afin de devenir documentariste et de pouvoir, dit-il, « mettre une vérité en images ». La phrase du poète Paul Éluard, « Je dis ce que je vois, ce que je sais, ce qui est vrai » sera pour le cinéaste une véritable ligne de conduite jusqu’à sa mort, en janvier 2015 à Cancale. Réalisateur de films engagés, notamment auprès des luttes indépendantistes africaines, des luttes ouvrières française, ou encore contre l’extrême-droite, il aurait réalisé 180 films, pour la plupart disparus, abîmés, brûlés, ou dispersés par les urgences de l’histoire et par la censure. Vautier était l’auteur d’un cinéma que l’on a nommé d’intervention sociale, son œuvre a été comparée à une arme qui aurait disparu dans la bataille.

Videodrome 2
Du 28 janvier au 2 février 2020
Prix libre, conseillé : 5 € (+ adhésion annuelle : 5 €)
Rens. 04 91 42 75 41
www.videodrome2.fr
49 cours Julien
13006 Marseille
04 91 42 75 41

Article paru le mercredi 22 janvier 2020 dans Ventilo n° 440

Cycle René Vautier

L’arme à gauche

 

La disparition de René Vautier en 2015 a laissé orphelin tout amoureux d’un cinéma vivant, vibrant, libre et engagé. Au-delà de ses opus les plus connus, la richesse de son cinéma l’imposa comme une figure tutélaire d’un geste aujourd’hui presque disparu. L’équipe du Videodrome 2 consacre, pour notre plus grand bonheur, un cycle unique à cet immense cinéaste breton.

  Si l’adjectif, trop galvaudé, d’engagé devait faire apparaître un seul visage du cinéma français, c’est sans conteste celui de René Vautier qui s’imprimerait sur la pellicule. Le parcours du Breton à la caméra rouge, l’un des nombreux surnoms qui lui survécurent, dépasse largement les questions esthétiques du cinéma, qu’il ne goûtait guère, pour une recherche, selon son expression, d’une vérité en images. Mais une vérité armée d’une caméra, viseur idéal contre un colonialisme et un fascisme à abattre. Les convictions profondes qui animèrent le cinéma de René Vautier, décédé en 2015, déclenchèrent de fait un torrent de condamnations et de censures, qui vinrent prouver que cet immense artiste voyait et filmait juste. « J’ai fait des trucs qui sont en fait très bordéliques parce que j’ai pensé pendant très longtemps que le cinéma c’était un objet d’utilisation immédiate, c’était une arme à utiliser tout de suite et puis après, quand on avait fait des images et qu’on les avait utilisées, c’était pas la peine de les garder », s’amusait-il à préciser, sous forme de pied de nez, lors de ses entretiens avec Sabrina Malek et Arnaud Soulier. Il est difficile de référencer l’œuvre intégrale de René Vautier, prenant en compte la disparition ou la destruction de certaines copies : on lui a prêté près de cent cinquante films. Si son œuvre n’est pas aussi colossale, elle n’en reste pas moins plurielle, protéiforme et formidablement riche d’enseignements sur l’histoire de la seconde moitié du vingtième siècle. C’est donc avec un bonheur total que nous découvrons la proposition de la sémillante équipe du Vidéodrome 2, salle incontournable du Cours Julien : du 28 janvier au 2 février, une dizaine de films du cinéaste constituera l’un des plus beaux cycles de cette rentrée 2020. À commencer par l’opus de 1972, quasi prophétique, Mourir pour des images, hommage à Alain Kaminker et histoire du tournage de La Mer et les jours. Bien évidemment, les trois films qui restent emblématiques du cinéma de René Vautier auprès d’un large public se retrouvent parmi cette programmation, d’Afrique 50, brûlot anticolonialiste saisissant qui connaîtra les foudres de la censure gouvernementale, au magnifique et indémodable Avoir 20 ans dans les Aurès, regard sans concession sur les horreurs de la guerre d’Algérie, en passant par Classe de lutte, film collectif (aux côtés, entre autres, de Pierre Lhomme, Joris Ivens et Jean-Luc Godard), premier opus du Groupe Medvedkine de Besançon sur la création d'un syndicat, dans une usine, par une ouvrière, dont les photogrammes ont résolument marqué l’histoire du cinéma. Quelques perles incontournables viennent se nicher dans cette magnifique programmation, à découvrir sans réserve, d’À propos de… l’autre détail — qui revient sur les tortures ordonnées en Algérie par Jean-Marie Le Pen — à Et le mot frère et le mot camarade de 1995, en passant par une poignée de films courts, Marée noire, colère rouge, Algérie en flammes ou Techniquement si simple, sans oublier la lecture, qui achèvera le cycle, de La vérité est toujours belle / La censure est politique. Soulignons que du 7 au 9 février, le Videodrome 2 proposera également la découverte des vidéos de l’auteur Guillaume Dustan à travers la projection de dix films inédits — programmation concoctée par Julien Laugier, Pascaline Morincôme et Olga Rozenblum, en partenariat avec le CipM —, et nous avons là l’une des programmations les plus exigeantes et les plus intelligentes qu’un cinéma puisse proposer aujourd’hui dans l’Hexagone.  

Emmanuel Vigne

 

Cycle René Vautier : du 28/01 au 2/02 au Vidéodrome 2 (49 cours Julien, 6e).

Rens. : 04 91 42 75 41 / www.videodrome2.fr

Le programme complet du cycle René Vautier ici