Vernissage de l’exposition Archives invisibles au Tiers QG © VOST

Manifesta 13 Marseille

Union manifeste

 

Les sanglots longs des violons de l’automne… La biennale européenne d’art contemporain Manifesta 13 dévoilera ses premières expositions à la fin de l’été pour clore cette manifestation inédite en France le 29 novembre. Habituellement propice au spleen, l’automne 2020 sera consacré à l’art contemporain, et malgré les jours qui décroissent, nous serons au rendez-vous ! Si l’on doit réinventer le monde d’après, les artistes s’y emploient quant à eux depuis longtemps déjà, même s’il leur faut, pour cela, réécrire nos poèmes…

 

Les plus superstitieux diront que ce nombre 13 ne nous aura pas porté chance… Car si l’édition 2020 de la biennale itinérante d’art contemporain aura bien lieu à la rentrée, Manifesta 13 se trouve amputée dans sa dimension internationale et dans sa durée. Les dommages se feront moins ressentir pour les organisateurs, déjà à l’œuvre pour préparer la quatorzième édition à Pristina, que pour les acteurs marseillais, culturels, touristiques et économiques, qui misaient beaucoup sur la venue d’un public international pendant les cinq mois de réjouissances. En effet, si Manifesta est un évènement artistique, elle n’en demeure pas moins une belle opération financière pour les « villes-hôtes » qui ont pu voir leurs investissements multipliés jusqu’à quatre lors des précédentes éditions.

« Manifesta est la seule biennale itinérante au monde, classée quatrième parmi les plus influentes. Manifesta aborde l’Europe dans son ensemble et examine ses changements à travers le regard d’une ville en particulier et de ses spécificités artistiques et urbaines », confiait Hedwig Fijen au journal économique LNP en août 2019.

De l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne à la crise sanitaire de la Covid 19, en passant par les querelles fratricides autour des élections, le séjour de l’équipe rotterdamoise à Marseille aura été jalonné par quelques épisodes inattendus. Si la biennale se propose d’étudier les changements d’une ville, à l’instar d’un laboratoire scrutant un monde en mutation, la période y était propice. Depuis la brillante présentation de l’architecte Winy Maas et son état des lieux d’une ville en proie à une volonté politique urbaine inexistante, jusqu’au départ de la commissaire Marina Otero Verzier (1)), les relations entre la biennale et l’ancienne municipalité étaient délétères bien avant le confinement !

 

« L’âme de Marseille c’est un habitat villageois, c’est un vivre ensemble »

Phillipe Pujol, Péril sur la ville (à voir sur Arte.tv)

 

Alors comment les quatre, puis trois, commissaires internationaux ont-ils sauvé les meubles ? Comment ont-ils pu rendre compte, grâce aux artistes et à leurs œuvres, des traumatismes, de la pauvreté, de la fracture physique et géographique entre les riches et les pauvres, des classes intermédiaires abandonnées à leurs écoles insalubres, mais aussi des joies et des spécificités de cette ville, de ses habitants en résilience permanente, de toutes ses disparités et ses incohérences, de son extraordinaire ambivalence entre misère et beauté ? De ses innovations, de sa créativité et de son souffle de vie inébranlable qui attire les jeunes couples parisiens boulevard Chave et les jeunes artistes à y installer leur atelier depuis quelques années déjà ? Comment nos invités ont-ils réussi à aborder cette ville où rien n’est comme ailleurs, en évitant les écueils et les caricatures, nous le saurons à partir du 29 août, pour l’inauguration du premier des six pans de l’exposition Traits d’Union.s, qui réunit 47 artistes au sein de six sites marseillais : le musée Grobet-Labadié, le musée Cantini, la Vieille Charité, le musée d’Histoire, le Palais Longchamp et le Conservatoire. On s’attendait à des lieux insolites, la programmation de Traits d’Union.s nous ramènera aux musées : qui oserait s’en plaindre ?

 

Quant aux sujets, qui assument une intention politique de la part des commissaires, s’ils sont classés sous des appellations génériques (La maison, l’école, le refuge, l’hospice, le port et le parc), on peut, avant même de découvrir les œuvres, y lire les échos aux problèmes d’un monde en mutation dont Marseille se fait le laboratoire…

Traits d’Union.s est donc une grande exposition collégiale en six chapitres, au service de laquelle des artistes internationaux et quelques artistes du territoire (Ymane Fakhir, Sara Sadik, Martine Derain et Philippe Pujol) auront prêté ou produit des œuvres à dessein. Celle de Marc Camille Chaimowicz au Musée Cantini étayera un propos relatant l’épisode de la Villa Bel Air et de Varian Fry durant l’occupation. Une belle histoire qui se poursuit aujourd’hui tragiquement, là où il ne reste plus rien de la Villa, actuel théâtre du trafic de drogue asphyxiant la cité et ses habitants qui, de 2003 à 2018, se lavaient à l’eau minérale en bouteille à cause de la légionellose…

Plus largement, c’est une réflexion autour de la nature de l’objet artistique hors de son contexte que poseront les artistes de ce premier opus. La question du logement était incontournable avec, entre autres, la photographe Martine Derain ou la peintre Jana Euler. Une question cruciale à Marseille certes mais bien au-delà… Ce chapitre se questionnera sur les difficultés aujourd’hui non pas de choisir mais de trouver un endroit pour vivre.

L’Hospice : l’étrange, le poétique et le possible, avec notamment les œuvres de l’écrivaine et artiste Hannah Black, raconte l’ancienne activité de la Vielle Charité, mais plus largement le syncrétisme des populations accueillies au cours des différentes vagues d’immigration à Marseille…

Le chapitre consacré au port se penchera sur l’étonnante posture du Musée d’Histoire de la ville, auquel aurait pu s’agréger celle du Théâtre du Merlan, institutions culturelles réfugiées au sein de centres commerciaux, qui racontent l’histoire d’une civilisation de – 600 avant JC jusqu’aux soldes 2020, avec un témoignage architectural des années 70 par Jacques-Henri Labourdette.

Le Musée des Beaux-Arts, le Muséum d’histoire naturelle et la Consigne Sanitaire ouvriront une réflexion sur le thème « culture et nature », tandis que le Conservatoire National place Carli — palais des arts (1864), ancienne bibliothèque municipale, ancienne école des beaux-arts, anciennes archives municipales, ancienne salle de répétition du ballet Roland Petit, inscrit aux monuments historiques depuis 94 — accueillera entre autres les œuvres de Julien Creuzet, Mounir Ayache, et Mohamed Bourouissa.

Parallèlement, la programmation officielle — c’est-à-dire l’exposition Traits d’Union.s et les Archives invisibles au Tiers QG (ouvert depuis décembre 2019), qui accueille actuellement l’exposition de Sara Sadik autour de l’association M.A.D.E in Bassens — sera complétée par les propositions des acteurs du territoires et les 86 projets retenus par le jury, à Marseille et au-delà.

Les premières inaugurations des Parallèles du Sud auront elles aussi lieu lors du dernier week-end du mois d’août. Un week-end chargé, lançant les festivités qui s’échelonneront sans relâche jusqu’au 29 novembre avec les six expositions Manifesta, les 86 évènements Parallèles du Sud, le festival PAC à Marseille et le programme Route 6 hors Marseille (du 29 août au 17 octobre), les Ouvertures d’Ateliers d’Artistes (du 28 au 30 août), les Journées du Patrimoine (19 & 20 septembre), le Salon international du Dessin Contemporain Paréidolie (les 26 & 27 septembre), les Arts Ephémères (le 30 septembre), les expositions du FRAC… Si l’automne est d’ordinaire la saison du repli chez soi et des verveines sous la couette, la cuvée 2020 sera arty et se fera dans la rue. Inch Allah !

 

Céline Ghisleri

 

Manifesta 13 Marseille : du 28/08 au 29/11 à Marseille.

Rens. : https://manifesta13.org

 

Notes
  1. La curatrice a évoqué dans une conférence à Genève « l’expérience la plus difficile à laquelle j’aie participé », souhaitant un changement d’équipe municipale. Cf. l’article «  Manifesta Marseille : 47 artistes pour une édition très politique » de Pedro Morais dans Quotidien de l’Art (10 juin 2020[]