Kevin Norwood © Jeremy Suiquer

Portrait : Kevin Norwood

La voix est libre

 

Il existe comme un trouble dans le jazz vocal : quand les chanteuses fuient les aigus, les chanteurs les cherchent ! Tout l’art de Kevin Norwood consiste justement à se fondre dans ce trouble jeu « transgenre » qui confère au jazz toute sa puissance subversive. Portrait, à l’heure de son album en quartet.

 

Sa voix a pu être comparée à celle de Betty Carter, l’une des égéries d’un bebop plein de soul. Même jeu avec des manières affectées, même sens de la pureté du timbre. Les modulations, loin d’être des effets de manche appuyés ou de simples citations, sont toutes personnelles et l’expression de son être. Pourtant, ce jeune Vauclusien d’origine britannique avoue être autodidacte en matière de jazz vocal. Son parcours de saxophoniste lui a permis de travailler sa « colonne d’air » et, certainement, son sens de la musicalité. On comprend mieux, dès lors, sa gestuelle en concert, comme s’il tenait un saxo, instrument qu’il a pratiqué en conservatoire et à l’IMFP de Salon-de-Provence et qu’il continue à travailler régulièrement. « Miles Davis disait qu’il chantait avec sa trompette », nous confie-t-il. Ce travail, sur le souffle, est assurément à la base de sa quête spirituelle à travers ses compositions. On sait, grâce aux recherches de Raphaël Imbert, la spiritualité des maîtres saxophonistes de la note bleue. Nul prosélytisme dans cette voie, si ce n’est l’espoir d’une émancipation vis-à-vis des stéréotypes sociaux, dont le jazz n’est pas exempt. Aussi le temps est-il une obsession récurrente dans son nouvel album : un titre évocateur, Reborn, et des compositions sur le même thème, Past Dreamers, Time Flies… Un temps qui est aussi bien un regard sur son parcours qu’un hommage au patrimoine jazzistique. Au point de proposer une paraphrase d’un morceau de Charlie Parker sur son magnifique duo avec le batteur Cédric Beck (à son meilleur), Blues For Mac. C’est que le fait de s’assurer la coopération sans faille de membres de la jeune garde du jazz phocéen (Vincent Strazzieri au piano et Sam Favreau à la contrebasse) est le gage d’un jeu des plus swing, rappelant que ce dernier, au-delà de ses acceptions traditionnalistes, touche à l’universel rythmique et à la quête des états modifiés de conscience. Et il faut l’entendre scatter : un phrasé définitivement monkien, dans un mix d’imprécation et d’humour toujours en fusion avec l’orchestre.
Alors, définitivement inclassable, Kevin Norwood ? Modeste, en tout cas, quand il avoue ne pas oser se frotter aux standards. Mais ô combien aventureux dans les choix de ses projets, comme en témoigne son précédent opus en hommage à Jeff Buckley… Pas étonnant d’ailleurs que Reborn sorte chez l’excellente maison avignonnaise AJMI, dont le militantisme artistique, loin de faiblir, resplendit en ces terres gangrénées par la peste brune. Parier sur une formation aussi jeune, lui offrir une résidence dans se locaux et lui permettre d’enregistrer pendant trois jours au Studio La Buissonne : autant de signes de résistance loin de tout prosélytisme. Si ce n’est pour la liberté.

Laurent Dussutour

 

Dans les bacs : Reborn (AJMI)

Rens. : fr-fr.facebook.com/KevinNorwoodQuartet