Le duo Phono Mundial au magasin Galette © Jordan Saïsset

Phono Mundial

L’Interview
Waaterproof

Duo de dj’s axé pépites des cinq continents et organisateur de soirées exigeantes, Phono Mundial a même lancé un blog didactique truffé de belles découvertes. Nous avons donc rencontré Loïc aka Waaterproof, pour parler de choses et d’autres, de musiques d’ici et d’ailleurs.

Pourquoi ces musiques ?
Parce qu’on les aime bien. Parce qu’elles sont dansantes, parce qu’on les a pas tellement entendues en France. On est pas mal orientés vers celles antérieures aux années 80. On vient de la soul, la musique latine, la musique brésilienne… Ce n’est pas la même chose que ce qu’on appelait la world, un concept des années 80. La world est une adaptation de la musique africaine, par exemple, au public européen. C’est Peter Gabriel avec son label Real World… ça a assez mal vieilli. Les disques que l’on passe correspondent à la première phase de la mondialisation, au début des années 60, au moment des premières indépendances : lorsque des musiques extra-occidentales (en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient) se sont mises à intégrer des guitares électriques et des synthétiseurs via, principalement, l’influence du funk, ou encore des Shadows, qui ont fait tache d’huile en Asie. Mais on pourrait parler aussi de l’influence des Stones, d’Hendrix, d’Ennio Morricone… Des musiques qui, à l’époque, ne sortaient généralement pas de leurs pays d’origine. Des musiques avec un son bien plus brut que celui de Real World. Nous préférons aussi, toujours dans ces registres, les OVNI, parfois discoïdes.

 

Le terme world est-il donc péjoratif ?
J’ai un peu du mal avec la « musique du monde » : ça ne veut pas dire grand-chose. On préfère celui de « sono mondiale » inventé par Jean-François Bizot (fondateur de Radio Nova et Actuel). Et puis, sans vouloir être méchant, j’ai un peu l’impression que le milieu world est resté bloqué sur les années Mitterrand, l’époque des radios libres… Cette époque où Mory Kanté est devenu une énorme star en France. J’ai l’impression que c’est le modèle économique qui prévaut encore aujourd’hui. Il y a parfois une volonté d’enfermer les musiques traditionnelles dans une sorte de carte postale, bien qu’il y ait sûrement toujours de la recherche dans ce domaine-là. Nous préférons les croisements entre les musiques folk, trad et la pop, ou bien les musiques enregistrées en direct sur le terrain, et restées intactes depuis. A côté, à la même époque, Youssou N’Dour enregistrait un disque pour le Sénégal et un autre pour les publics occidentaux… Nos sélections s’attachent à démontrer que ce qu’on appelle le « Tiers-Monde » n’a pas attendu la world pour être moderne et novateur. Tu as des pionniers de l’électronique au Nigéria en 76, et des superbes galettes psychédéliques au Liban ou en Turquie, de la disco en Iran, etc.

N’y a-t-il pas un désir de faire ressurgir des disques de musiques populaires de tradition orale qui se perdent avec le temps ?
Oui, bien sûr. Après, il y a pas mal de rééditions aujourd’hui. Par contre, les Anglais ont réédité bien plus de musiques issues de leurs anciennes colonies que la France. Ici, il y a un rapport bizarre aux minorités. Les musiques arabes, par exemple, n’étaient pas vraiment défendues avant l’explosion du raï et elles sont plutôt redevenues communautaires. Tout ce qui lui est antérieur relève aujourd’hui de la conservation, car on a l’impression que presque tout le monde s’en fout. Chaque pays entretient un rapport différent à ce phénomène, et par conséquent à la culture du vinyle. Après, il semblerait que ces activités soient réservées aux grande villes. Les musiques tropicales, par exemple, marchent aujourd’hui pas mal à Paris ou à Lyon. Mais bon, pour être allé il y a deux ans aux Transmusicales, qui ont toujours été portées sur les « musiques du monde » certes, j’ai tout de même l’impression qu’il se passe quelque chose : les courants les plus réclamés étaient ceux venus du Brésil ou d’Afrique. Comme si une tendance se renversait. Tu as des gros succès occidentaux très inspirés de ces musiques : M.I.A., Vampire Weekend… Et tout un regain d’intérêt pour la cumbia ou les musiques arabes.

Y a-t-il une communauté de diggers (chercheurs de vinyles d’occasion) à Marseille ?
Il y a plutôt une bonne ambiance entre les chineurs, même si ça peut arriver que des gens se battent parfois dans les vide-greniers, hein. Après, il y a ceux que l’on ne connaît pas et qui restent discret, car il convient de l’être pour des tas de raisons. C’est un milieu dont on parle plus depuis quelques années ; c’est presque à la mode, ce qui est paradoxal car les plus anciens ne font pas ça pour s’afficher, mais plutôt par nécessité économique et par passion. Quant à Marseille, c’est un terrain assez propice pour cette activité car il y a beaucoup de communautés différentes et probablement des disques qu’on ne trouve qu’ici. On essaye d’ailleurs d’en partager un maximum sur notre blog tout en faisant en sorte que cela reste didactique. On ne cherche pas à mettre en avant des raretés à tout prix, comme c’était le mot d’ordre dans la scène « rare groove ». Un tube d’une époque donnée et d’un endroit donné, c’est tout de même un tube, et on trouverait idiot de s’en priver pour une question de posture de digger. De toute façon, un morceau rare en vinyle peut maintenant être joué en numérique par des dizaines de dj’s, donc ça a un peu perdu son sens. Et à peine as-tu découvert un morceau ou un groupe qu’il est réédité quelques mois après…

 

Que penses-tu du de l’ère de l’archivage dans laquelle nous baignons ?
Pour avoir bossé dans une cinémathèque de films amateurs, nous n’avons jamais autant archivé. Et c’est un boulot de fou, interminable. Après, on est obligés de faire le tri. Il y a des choses qui se perdent. Et tant mieux, quelque part.

Propos recueillis par Jordan Saïsset

 

Le blog : www.phono-mundial.com

La Surprise partout de Phono Mundial #13 : le 8/03/2014 au Molotov (3 place Paul Cézanne, 6e). Rens. www.lemolotov.com