Les Ogres de Léa Fehner

Chronique : Les Ogres de Léa Fehner

Souffle au cœur

 

En attendant sa sortie nationale le 16 mars, Léa Fenher est venue présenter en avant-première aux Variétés son second film, Les Ogres, chef-d’œuvre solaire et intense brossant le quotidien volcanique d’une troupe de théâtre itinérant.

 

Sur les routes de France, une tribu de comédiens s’aime, fait la fête et se déchire en jouant Platonov sous chapiteau. Les Ogres, le nouveau film de Léa Fenher, auteure du très remarqué Qu’un seul tienne et les autres suivront en 2009, est une tragi-comédie douce-amère portée par un souffle, une énergie, une voracité de vie d’une puissance jubilatoire rarement ressentie. « Je voulais rendre l’espèce de souffle romanesque de cette vie sur la route, cet appétit de vivre que je voyais chez les gens qui avaient peuplé mon enfance. » Née dans une famille de comédiens, partie très tôt sur les routes, Léa Fenher a puisé dans ses souvenirs d’enfance, mais pas seulement, pour réaliser un opéra trivial, une fresque où le monstrueux voisine toujours avec la grâce et le grandiose. Une vie de saltimbanques où le quatrième mur disparaît, laissant le réel et le théâtral se confondre sans cesse. « Ce sont des familles où tout se mélange, le travail, la famille, où les enfants sont au courant de la moindre histoire de fesses, où tu grandis au milieu des cris, du théâtre et des ivrognes, sans parler de l’ingérence de tous dans la vie de chacun ou du manque de thunes viscéral. Mais récemment, ma vision s’est inversée. Là où je voyais des galères, je me suis mise à voir du courage et cette proximité avec le public m’a fait envie. » Si on est pris par une tornade de violence et d’émotions, c’est aussi parce que Les Ogres est un film de personnages. Des femmes et des hommes qui ont choisi le théâtre car le réel semblait trop petit pour leur appétit de vie démesuré. « Je voulais remettre au goût du jour les flamboyants, ceux qui ont du panache. Ranimer la fantaisie, le burlesque de ces personnages bruyants et excessifs. Aller au plus près de ce que veut dire aimer. Retranscrire un souffle. » Alors on défait les conventions sociales, on baise, on picole, on gueule et on pleure au gré des émotions, pris sans relâche dans le tourment d’une force qui explose à chaque seconde. « Le théâtre, à l’inverse du cinéma, c’est le règne du présent et de l’éphémère. Mais l’utopie du collectif aide à créer un quotidien du dérisoire. C’est là qu’on trouve le bonheur de continuer. On fait du spectacle comme on invite à bouffer. » Devant cet appétit insatiable, on pense bien sûr à Rabelais, ses ogres et son Abbaye de Thélème. Mais c’est surtout avec Dostoïevski et ses personnages, que la cinéaste avoue avoir dévoré ses dernières années, que l’on ressent une forte proximité. Des géants, affranchis des conventions, portés par une force de vie entrelacée dans leurs utopies qui les mène à éprouver les émotions et les tourments jusqu’au bout, sans limites. Acceptant au bout du compte de n’être que des corps soulevés constamment par le souffle mystique de nos pulsions sauvages. La grande sensation cinématographique de ce début 2016 se trouve assurément dans ce torrent solaire de liberté, d’émotion et de vie.

Daniel Ouannou

 

Les Ogres de Léa Fehner : sortie le 16/03