Henri Maquet

L’Interview : Henri Maquet

En France, la pratique des musiques traditionnelles relève souvent de l’hérésie pour une culture populaire en demande d’exotisme. Si le monde a ses chapelles, depuis Arles, Henri Maquet — alias Delta Sònic — les a toujours contournées. iPhone et flûtes en roseau, synthétiseurs et mâchoire d’âne : bienvenue dans l’univers fantastique des « Musiques Traditionnelles Augmentées ».

As-tu pu observer un renouveau des bals trad’ depuis 2000 ?
En Provence, une envie nouvelle s’est fait sentir, à la fois par une génération qui l’avait déjà connue et en manque de renouveau, et par une génération qui a découvert cette forme d’échanges autour de la danse et a provoqué un désir et une demande. Plus largement, le phénomène bal trad’ en France est croissant depuis plus d’une quinzaine d’années. Initialement associé à la musique traditionnelle, il devient folk peu à peu, puis néo-folk, puis néo-trad… Les courants cohabitent aujourd’hui.

 

D’où vient ta passion pour les musiques et danses populaires de tradition orale ?
Le génie populaire de la tradition orale réside dans le fait qu’elle agit comme un filtre. Avec les partitions et les enregistrements, on conserve une débauche de matériaux musicaux plus ou moins valables. La mémoire, quant à elle, ne s’encombre que du plus efficace. Nous pouvons aussi mémoriser des choses inutiles, mais pas nous en souvenir. Ainsi, de bouches à oreilles, d’expériences en souvenirs, la tradition orale transmet ce qu’elle a retenu de plus efficace. On découvrira ainsi dans la mélodie la plus anodine, une musicalité ciselée, choisie, pesée, équilibrée dans sa forme et son rythme ; elle aura de plus une qualité fonctionnelle par rapport à ce qu’elle sert (danse, chant, rituel). Chaque élément de la musique traditionnelle enseigne la musicalité elle-même et, lorsqu’on sait l’observer, donne le mode d’emploi pour créer une nouvelle musicalité. C’est l’avantage des graines bio sur les OGM : on peut reproduire des graines qui s’adaptent à leur environnement et créer ses propres variétés.

 

Quel a été ton premier contact avec l’occitan ?
Par le Provençal, à travers le folklore. Lorsque Gaël Hemery (qui me donnait mon premier cours de galoubet) a écrit « Digo Janeto » sur la partition.

Associes-tu le fait chanter en oc à un acte militant ?
Bof. Oui et non. Je milite pour un respect des différences et exceptions culturelles et contre une uniformisation des pensées, des modes de pensées, des formes de cultures. Je milite pour la culture durable, pas en celle qui produit des évènements ou qui véhicule et vend des idées prémâchées à une masse cible, mais celle qui est l’expression d’un territoire et du peuple qui le partage, celle qui est en lien tant avec l’histoire qu’avec le quotidien, tant avec son environnement naturel et humain qu’avec ses idées nouvelles et ses savoirs anciens. Je milite contre la culture hégémonique qui tend à voler la capacité de pensée, contre la culture business aseptisée, prête à vendre, ouverture facile. Je ne milite pas activement pour des formes institutionnelles de l’occitanisme, je n’ai rien contre, mais ce n’est pas ma priorité. J’ai d’abord le souci de partager la culture et la langue comme un outil pour vivre et partager intelligemment son quotidien.

Vous sentez-vous, toi-même et les artistes que vous recevez au festival ZinZan, dans la droite lignée de ce que l’on a nommé, dans les années 70 (avec des labels comme Ventadorn ou Revolum), la Nòva cançon (renouveau de la chanson occitane) ?
Bien sûr. Cette génération d’artistes est d’ailleurs présente chaque année au ZinZan. Cette année, c’était Combi, mais il y en a eu bien d’autres. Carlotti, Martina de Pèira, Jan dau Melhau, Equidad Barrès, Duo MadierS, Christian Vieussens…. C’est l’occasion pour toute une génération de découvrir ceux qui avaient tracé le chemin pour eux ; et cela, nous en sommes très fiers.




Comment définirais-tu ce tissu que constituent tous les musiciens que tu fréquentes ?
L’axe commun a été pendant longtemps les musiques de traditions populaires, mais les approches de chacun sont souvent très différentes. Je me considère un peu comme un électron libre qui va à la rencontre de collectifs et de démarches. Je me permets souvent de participer en rassemblant certains musiciens qui les composent autour de projets précis. J’ai ainsi rencontré les tambourinaires de Provence, les hautboïstes du Languedoc, les violoneux du Massif Central ou des Alpes, les jazzeux méridionaux du Gard, les chanteurs marseillais, les sicriotes de Toulouse, les cougourdes de Nice, les luthiers tourneurs et les accros à la perce naturelle… Par un récent hasard, j’ai rencontré l’univers du DIY et de la chiptune. J’apprends beaucoup et suis très stimulé par mes nouveaux échanges avec ces musiciens traditionnels du futur. J’y retrouve les mêmes démarches, objectifs et exigences que dans les musiques traditionnelles. A savoir : le travail sur la qualité des outils sonores sans hésiter à soulever le capot pour y mettre les mains.

Outre la musique, quelles sont tes activités ?
La musique et toujours la musique, mais sous des formes différentes. J’ai très vite pensé que, en tant que musicien des musiques traditionnelles, j’avais plusieurs missions à suivre en plus du simple travail compositeur/interprète. La première de toutes est la transmission : de répertoire, de chants, d’histoires, de légendaire, de savoir-faire, d’outils, d’instruments… La seconde est de savoir répondre à (presque) toutes les demandes, les situations où il y a besoin de musique, de musicalité, et que cela fasse sens. La troisième, c’est de rendre accessible cette culture locale et durable. Pour cela il faut provoquer les rencontres, la convivialité, partager, donner goût, enseigner, et transmettre à nouveau… Pour résumer je ne fais que de la musique, mais lorsque tu ne m’entends pas en faire, je continue en parlant, en faisant des instruments, en apprenant à d’autres à en faire, en organisant des ateliers pédagogiques, en organisant des bals, festivals, colloques, en envoyant des mails, en répondant à des articles, en collant des affiches…

Tu participes à l’organisation d’un grand nombre d’événement…
Principalement : le Festival ZinZaN, qui vient de vivre sa sixième édition. C’est une invitation conviviale à participer à un laboratoire-spectacle autour des musiques populaires des pays d’Oc. La programmation est exigeante et plutôt reconnue comme avant-gardiste : ancrée sur les apports des musiques traditionnelles mais dans des formes et des propositions artistiques plutôt révolutionnaires.
Ensuite, Le Chant du Roseau : rencontres et échanges de savoirs autour d’Arundo Donax, plus connue sous le nom de « canne de Provence », ou encore « roseau à musique ». C’est une semaine dédiée à ce trésor méconnu qui permet l’utilisation d’instruments comme la clarinette, le saxophone, les hautbois, cornemuses et autres bassons. Ouvert à tous publics, c’est un temps de rencontre sur une semaine, où sont invités luthiers, musiciens, botanistes, acousticiens… les rencontres se font autours de conférences à la soupe, de récoltes de cannes, d’ateliers-colloques et bien sûr d’un bal au roseau. Cet événement a vécu une quatrième édition financièrement très difficile et ne sera sans doute pas reconduit en 2014, si les institutions publiques qui prétendent nous soutenir ne se décident pas à le faire vraiment. Sur ces deux événements, je fais la programmation et j’encadre une partie de l’organisation avec mon inséparable binôme-acolyte, David Fauci. Le reste de l’année, il m’arrive de lancer des bals sauvages, au PMU du coin. Un concert inattendu, ou un carnaval autogéré.

Les flûtes sont-elles particulièrement liées à Arles ?
Oui, c’est Arles parce que j’ai découvert le galoubet tambourin et, attiré de curiosité pour cet instrument double flûte/percussion. Ensuite, ça a été les instruments de Marie Picard (des créations de céramique aux sonorités subtiles) qui m’ont amené à dompter le souffle nécessaire à leur bonne vibration. Et puis le roseau : pas de sous, besoin d’instrument, entouré de cannes… C’est l’environnement qui produit les devenirs possibles. J’ai déjà fait des contrats où je me pointe juste avec un opinel dans la poche, pour couper du roseau, faire des instruments et jouer avec devant un public. J’aime cette idée que la musique n’est pas liée forcément à un objet prédéfini, mais qu’on la porte en soi, pouvant ainsi être produite par une action sur l’espace et la matière.

Quand as-tu commencé à faire de la musique ?
Tout petit. A cinq ans, j’ai voulu imiter mon grand père qui se mettait au violon. Alors on m’a dégotté un mini-violon et je suis allé à l’école de musique avec lui…

Quelles sont tes principales références ?
J’aime pas trop le concept de référence, mais pour dresser un autoportrait, je dirais, en musique, Mozart, Pixies, Mont-Jòia, en littérature, Joseph D’Arbaud, Amédée Pichot, Robert Van Gulick, en philosophie, Socrate, Krischnamurti, Paul Ricoeur, en poésie, Th. Aubanel, F. Mistral, J. Reboul, R.Pécout, S.Bec, Ch. Rièu, Brueys, au cinéma, Tarantino, Chaplin, Keaton, Kitano, Kubrick et en gastronomie par contre, on fera un article spécial si tu veux, car t’auras jamais la place.

Quelle est la genèse du projet Delta Sònic ?

L’envie de travailler sur un solo avec la possibilité de travailler sur une multiplication de moi-même via des boucles, et pouvoir utiliser mes capacités de multi-instrumentiste en faisant sonner ensemble les différents timbres spécifiques que j’ai élaborés ces dernières années. Cette envie m’a amené à expérimenter de nouvelles manières de composer, de manipuler le son. Le projet m’a aussi peu à peu amené vers d’autres recherches de timbres complémentaires, en direction des effets et des sons électroniques.

Comment décrirais-tu ce projet ?
MTA : Musiques Traditionnelles Augmentées. Du groove rural au son urbain, le Delta : c’est la source. Quasiment toutes les musiques sont des compositions originales mais basées sur des canevas de musiques traditionnelles des pays d’Oc. L’idée est d’en conserver le groove et l’esprit modal, de les amener dans des sons et des structures de morceaux nouvelles, voire expérimentales et de les faire ressurgir encore plus fort dans un espace sonore où on ne les attends pas ; ce qui les rends encore plus flagrants. Le projet consiste aussi à proposer une forme solo (ce qui est plutôt rare), mais qui puisse produire beaucoup de son (ce qui est encore plus rare).

Comment résumerais-tu ton parcours musical ?
Si je devais vraiment le faire, j’aurais vraiment beaucoup de mal. Depuis la dernière création au ZinZaN du Bal Pop Trònic avec Jankepopp et Tapetronic, pour le premier bal traditionnel intergalactique, j’espère décrocher le prix Nobel de physique pour avoir réussi à faire se croiser des parallèles.


Il semblerait d’ailleurs que tu aimes jouer avec les codes. On te voit même sur Youtube agiter un iPhone et une mâchoire d’âne…
Je n’ai rien contre les codes, au contraire. Ils sont souvent nécessaires et participent au rituel musical. Par exemple, ils sont très importants dans les rapports musiciens/danseurs. Ils participent aussi à une ambiance générale, un décor, un rituel. C’est aussi bien souvent des moyens de participation, d’intégration, d’échange. Après, au-delà des codes, il y a des fonctionnements qui s’en emparent pour tisser, par-dessus, des dogmes. C’est là que commencent les cloisonnements et les problèmes. Lorsque je joue avec un code, c’est une double raison qui me motive. Premièrement, le fait de manipuler et de participer à ma façon, dans une manière qui m’intègre tout en me laissant indépendant. Et deuxièmement, le fait de le mettre en perspective, et montrer qu’il peut être utilisé autrement. Un point de départ plutôt qu’un point d’arrivée. Pour en revenir à l’iPhone et à la mâchoire d’âne, ce sont des objets qui représentent des révolutions technologiques, mais tellement espacées qu’ils semblent de deux mondes différents (c’était le cas d’ailleurs, avant cette vidéo). Ce qui est génial, c’est que l’iPhone devient un outil incroyablement efficace pour produire de la musique (c’est l’actualité techno-musicale du moment), mais c’est la mâchoire d’âne qui tient la vedette. Il faut reconnaître que symboliquement et visuellement, à côté, l’iPhone, c’est complètement naze. Bref, la vidéo est rigolote, le mariage des deux instruments est heureux et montre aux joueurs de mâchoire comme aux sonneurs d’iPhone que tout est possible.

Ça fait penser à certains artistes qui font le pont entre la pop commerciale et un shaman dans une grotte.
En effet, tout dépend de l’environnement, du groupe, de la vie… des besoins en fait. Il faut arrêter de penser que la musique est quelque chose de facultatif. Aucun peuple ne s’en passe. Elle remplit ses rôles, ses fonctions. Evidemment, certaines fonctions vont se retrouver dans différentes formes de société, et les musiciens auront à remplir ces mêmes fonctions avec des matériaux et un environnement différents. Pour la marche autour du Machu Pichu, je préconise l’iPhone au casque, pour la musique dans le TGV, je recommande la mâchoire d’âne.

Propos recueillis par Jordan Saïsset

Henri Maquet en concert :

  • Le 20/10 à la Mesòn (52 rue Consolat, 1er) avec Manu Théron, Ange B et Clément Gauthier, dans le cadre de la Carte blanche à Manu Théron

  • Le 26/10 à la Gare Coustellet (Place du Marché Coustellet, Maubec, 84) avec Confipop, Jankenpopp et Compagny Fuck, dans le cadre du festival Retour vers le futur (Octobre Numérique).

Rens. www.soundcloud.com/henri-maquet
www.zinzan.festival.sitew.fr