IAM : nouvel album

L’Interview
Shurik’N (IAM)

 

A la place d’un album hommage à Morricone annoncé fin 2011 (droits d’auteurs trop élevés), ils ont préféré se recentrer sur les points forts qui ont forgé leur solide réputation. D’où le titre de ce sixième opus, Arts martiens, qui ne signe pas l’heure des bilans, mais plutôt celle des retrouvailles.

 

Comment décrirais-tu ce nouvel album ?
On ne peut pas vraiment parler de l’album de la maturité, car j’ose espérer qu’on l’a atteinte avant, vu nos âges… Ce n’est pas non plus un retour, puisqu’on ne s’est pas arrêté depuis six ans. Il porte bien son nom, car nous sommes revenus sur un travail en interne, à huis clos, dans la plus pure tradition d’IAM. Son titre englobe beaucoup de choses : la rigueur bien sûr, dans le côté martial, mais aussi notre appartenance à la ville, qui n’est plus à démontrer, mais que l’on aime bien rappeler. En parlant avec des personnes de l’extérieur, on s’aperçoit qu’il y a d’ailleurs à Marseille une façon particulière de narrer les choses. Une verve propre à la ville, avec une certaine virulence parfois. On en est plutôt fiers.

Vous lorgnez toujours vers une forme de minimalisme, de sobriété parfois… Peut-on parler de force tranquille ?
Oui, non sans une certaine virulence, parce qu’il y a beaucoup de raisons de l’être.

Le fait de signer sur Def Jam est-il un vieux rêve qui se réalise ?
Ce n’est même pas un rêve, parce qu’on n’osait même pas y penser. On ne savait même pas, à l’époque, si le rap allait encore être présent aujourd’hui.

Dans le morceau qui ouvre l’album, Spartiate Spirit, vous scandez « toujours là », comme si vous vous étonniez vous-mêmes de sortir encore des disques…
Tout le monde sait que le domaine dans lequel on évolue reste éphémère. Il est très dur de s’y maintenir. Et puis, c’est notre mentalité depuis le début. On lui doit sûrement le fait d’être resté soudé : on fait chaque album sans savoir si l’on pourra en faire un autre. On en espérait pas tant. Après avoir fini un album, on est comme des enfants à Noël, comme s’il n’y avait plus rien derrière.

En concluant sur Un dernier coup d’éclat et en revenant largement sur l’enfance et le passé, cet album semble se donner des airs d’au revoir…
Nous parlons plus du dernier coup d’éclat en date. On ne sait pas de quoi sera fait demain. C’est plus un « à plus tard, peut-être ».

S’appliquant à ranger le rap « cool » d’un côté et le rap « hardcore » de l’autre, les médias ont dû, début 90’s, faire face au cas IAM, qui ne correspondait ni à l’un ni à l’autre. « On a violé la norme », dites-vous dans l’album. Pensiez-vous avoir créé un nouveau genre à l’époque ?
Non. On fait de la musique qui nous ressemble, dans un pays de lettres. D’ailleurs, les écrits survivent à la musique, pas l’inverse.

Avez-vous noté une évolution dans le regard que portent les médias français sur le hip-hop ?
Malheureusement, pas vraiment. Après vingt-cinq ans de présence dans le panorama musical français, après être resté aussi longtemps dans les charts, après avoir été le genre le plus écouté en France, et même en étant la musique qui permet probablement la plus grande utilisation de la langue française, le hip-hop continue à ne pas être forcément considéré. On ressent des craintes, surtout liées à l’auditoire. Quand certains annonceurs retirent leurs produits de certaines radios ou événements quelconques parce qu’ils sont susceptibles d’attirer une certaine frange de la population que personne ne veut trop voir… Quand vous arrivez sur un plateau TV, que vous avez quarante-cinq ans, avec vingt-cinq ans de musique derrière vous, et qu’un technicien vous fait « Yo Yo » avec les doigts en « V »… Mais d’un autre côté, lorsqu’on monte sur scène, on voit des gens de tous les âges.

Pensez-vous souvent à l’aspect transgénérationnel ?
Oui, on en a pris conscience très tôt. On s’est vite rendu compte que le micro possède une portée plus grande que celle de la salle dans laquelle on joue. A l’époque, ce n’était pas pareil. On s’est vite dit qu’il fallait faire attention à nos propos. Il faut donc être irréprochable. Et puis j’aurais du mal à me justifier devant mon fils si je tenais des propos différents.

Akhenaton a dit, sur Europe 1, que nous assistons à un déclin civilisationnel. Peut-on établir un pont entre ces propos et l’aspect conscient, parfois grave, propre au dernier album ?
Oui. Chaque album est une photographie de l’humeur dans laquelle on se trouve. La crise a bon dos, mais il y a quand même une crise de l’humanité qui a démarré bien avant la crise financière. Une crise dans les comportements, dans l’acceptation des différences, dans des dérapages de plus en plus tolérés…

Peut-on voir le fait d’être allé puiser dans les cultures asiatiques et égyptiennes comme une forme d’échappatoire à ce déclin occidental ?
Peut-être, oui. C’est vrai qu’il y avait aussi, derrière nos lectures, une autre approche de la vie, une autre vision, une autre philosophie. Ces cultures nous ont servi de garde-fou. De toute manière, une culture isolée se meurt sur le long terme.

Imhotep expliquait, dans Marianne, son point de vue sur MP 2013, qui a oublié de placer du rap dans sa programmation, dans une ville pourtant réputée comme l’un de ses berceaux européens…
C’est vexant, ne serait-ce que pour une question de reconnaissance. Je ne parle pas d’IAM, mais de la culture hip-hop à Marseille dans son ensemble. Une culture qui a porté les couleurs de la ville un peu partout en Europe. A l’époque, beaucoup de groupes de rap sont arrivés à imposer aux journalistes le fait de venir les filmer sur place, sur leur lieu de vie, alors qu’il était de bon ton d’aller bêtement tourner dans un salon à Paris. Pour nous, Marseille est une capitale de la culture depuis des années, on le clame d’ailleurs partout où l’on va jouer. Forcément, ce manque peut nourrir quelques colères. Après, nul n’est prophète en son pays. Mais ça vient peut-être aussi du fait que cette musique attire une jeune frange de la population, qui habite des quartiers que personne ne veut voir déferler en centre-ville. Nier la culture hip-hop, c’est nier toute une frange de la population marseillaise, non ?

Avez-vous définitivement laissé tomber l’idée de participation à l’événement ?
On y a renoncé, après un ou deux essais. Puis l’album est arrivé, ainsi que l’organisation d’un concert à New York, à Central Park le 21 juin, qui a pris pas mal de temps à planifier. Plus d’autres dates…

Quelles sont tes prédictions concernant les municipales en 2014 ?
Pas de prédictions, mais des craintes. Tout se dégrade et il faut un bouc émissaire. Marseille connaît un regain de violence, alors que la ville ne s’en sortait déjà pas avec ses problèmes de propreté. Je pense que l’un des principaux problèmes liés à tout ça, c’est le désert culturel dont sont victimes certains quartiers. Lequel désert laisse place à l’ennui et l’oisiveté, qui laisse elle-même place à tous les vices. Mais à Marseille, tout le monde tient un discours, personne ne fait rien.

Propos recueillis par Jordan Saïsset

Arts martiens, dans les bacs le 22/04. Rens. www.iam.tm.fr