Chinese Man

Chinese Man Records

L’Interview
Sly

 

Il y a dix ans, High Ku, Zé Mateo et Sly créent, dans un même élan, le groupe Chinese Man et le label éponyme. Au-delà d’une créativité surprenante alliant finement les samples chinés aux quatre coins du monde, c’est humainement que se définit le mieux Chinese Man Records. Le label fête aujourd’hui ses dix printemps avec la sortie d’une compilation, Groove Session 3, et une tournée anniversaire en forme de « célébration ».

 

Quel est l’événement le plus marquant depuis ces dix ans ?
Je dirais peut-être la première fois qu’on a entendu un de nos morceaux à la radio : c’est une sensation assez étrange et, en même temps, un signe de reconnaissance du travail qu’on a accompli, un fantasme pour les musiciens.

Une déception pendant ces dix ans, une mauvaise expérience ?
Je me souviens d’un concert à Manille très compliqué techniquement. Les gens n’avaient tout simplement pas de son. Il s’agit plus d’expériences comme ça, on n’a jamais eu de grosses déceptions.

Comment avez vous monté, imaginé votre retour sur scène ?
C’est un peu un défi. Comme c’était les dix ans du label et du groupe, on voulait faire un événement particulier, une célébration, et notre idée était d’intégrer le plus d’artistes du label. Au tout début, on voulait faire un spectacle tous ensemble, ce qui était impossible puisque Deluxe était en tournée. Mais on aura quand même un plateau Deluxe / Chinese Man, seuls sur scène pour réinterpréter les morceaux assez marquants du label. On a dû faire le choix de grandes salles à cause de l’ampleur technique du spectacle… Côté vidéo, Fred & Annabelle ont réalisé une nouvelle création avec un dispositif que l’on n’avait jamais utilisé. Et on est indépendant, donc on s’occupe de tout… Ça va être un sacré défi ! Mais vu que la réception de l’album est assez bonne jusqu’à présent et que certaines dates affichent déjà complet, on pense que ça va être une réussite.

Votre dernier gros concert à Marseille a suscité la polémique : beaucoup n’ont pas compris le choix de la salle la plus petite du Dock des Suds pour l’un des groupes les plus estimés par les Marseillais…
On a été un peu dépassé… Quant au lieu en lui-même, on ne l’a pas choisi au début, même si on aime beaucoup cette salle parce qu’elle est bien foutue. Il y avait aussi l’envie d’avoir le public proche de nous. Quand on s’est rendu compte qu’il y aurait beaucoup de monde, c’était malheureusement trop tard pour basculer. On avait déjà prévu tout notre équipement, tout notre spectacle sur scène. Evidemment, si on devait le refaire, on le fera dans la grande salle.

Comment avez-vous travaillé sur Groove Session 3 ?
L’idée était de faire une sorte de carte de visite du label avec des morceaux de Chinese Man, mais aussi de Deluxe, Tomapam, LeYan… La seule contrainte était de se faire plaisir. On n’avait pas forcément besoin d’un fil rouge, c’était plus instinctif, l’occasion pour nous d’expérimenter des trucs un peu différents, d’avoir des invités, des featurings… C’est un projet placé sous le signe de la liberté, une sorte de retour aux sources. Quant à nous, on a testé des nouveaux styles, on s’est servi d’influences dubstep (ou plutôt de petits gimmick de production) et même un petit peu trap. On a aussi pris des samples de musiques hawaïennes, des choses que l’on n’avait jamais testées.

Sur le dernier maxi, il y a de nombreux featuring… Avez-vous une manière générale de fonctionner ou est-ce que ça dépend des artistes avec qui vous bossez… ?
On fait une première proposition, une sorte de brouillon que l’on envoie aux MCs. Une fois qu’on a les prises de voix, on s’occupe des arrangements. Si on leur donnait un morceau très avancé, très fini, en leur disant “tu peux rapper à tel ou tel moment”, ce ne serait pas vraiment une collaboration. Là, on intègre plus les artistes à la composition.

Dans le dernier morceau de la compilation, The Old Man, on entend des voix scander « Keep Go »… Est-ce une manière de dire qu’après ces dix ans, l’envie est encore là ?
Ce morceau est un peu spécial, même pour nous. Après en effet, on glisse des messages dans nos samples, même s’il n’y a rien de précis, que c’est plus de l’ordre de l’évocation, pour laisser à l’auditeur le loisir de se faire sa petite histoire…

Qu’est-ce que ça veut dire, avoir un label en 2014 ?
C’est la seule façon de travailler qu’on connait. Il s’avère que chaque jour qui passe, on est très content d’avoir choisi d’être indépendant. Concrètement, on a toujours une vision artistique du label, même si des gens nous aident dans la gestion au jour le jour. Pour nous, c’est synonyme de liberté de pouvoir gérer notre projet à notre rythme. Durant ces dix ans, on a évolué par pallier, le label a grossi, on a pu faire des projets de plus grande envergure.

Comment vous organisez-vous au sein du label ?
Cinq personnes travaillent quotidiennement à sa gestion, des amis qui étaient déjà impliqués dans le projet. On a appris au jour le jour et chacun s’est amélioré dans ce qu’il savait faire. Mais le vrai déclencheur a été la pub Mercedes, qui a utilisé le titre I Got That Tune. Bizarrement, cela nous a permis d’avoir les moyens de rester indépendants : à partir de 2008, on s’est vraiment plus structuré parce que, simplement, on avait les moyens de le faire.

La synchro pub est-elle un objectif du coup ?
Pas nécessairement, nous avons refusé toutes les dernières propositions. Le label a une certaine éthique et une image, donc on choisit au cas par cas. Ce qui est bien, c’est qu’aujourd’hui, chaque projet du label permet de financer le suivant. Le label est viable, mais si un jour on en a besoin financièrement ou parce que le projet nous plaît, on ne s’interdit pas de refaire ça.

Comment CMR choisit-il les artistes ?
Le but, c’est de s’agrandir. Même si, pour l’instant, on n’a pas vraiment les moyens d’avoir plus de groupes ou d’artistes. La taille du label ne le permet pas. Plus concrètement, Deluxe était originaire d’Aix, on les a vus quand ils jouaient dans la rue puis on les a rencontrés. Ça a collé aussi bien artistiquement qu’humainement. Pour Taiwan MC, c’est différent, parce que c’est notre MC en live depuis deux ans maintenant. Il avait envie de faire un projet solo, il nous a fait écouter les maquettes. Ça nous a plu, donc la question ne s’est pas vraiment posée. Le côté artistique et musical est très important, mais le côté humain l’est pratiquement tout autant.

Instant promo : que diriez-vous de Deluxe et Taiwan ?
Deluxe, c’est un groupe qui prend vraiment toute sa valeur en live. Ils ont une spontanéité, une énergie, un enthousiasme…Taiwan est original, dans le sens où il n’a pas choisi un style musical ultra tendance : le reggae.

On vous a vus débattre aux côtés de Stone Throw Records pour le Festival international du Film d’Aubagne cette année… A quand un documentaire sur Chinese Man ?
On a sorti un DVD live il y a un an, qui comprend un documentaire réalisé par Colin Lévêque, très intéressant, centré sur Chinese Man Records et ce que c’est d’être un label indépendant à notre époque. Les connections avec le cinéma et le documentaire nous intéressent beaucoup. Il y aura certainement un jour un documentaire plus axé sur le groupe et la façon dont on fait de la musique.

Votre univers visuel est envoûtant. Comment s’est passée la rencontre avec Julien Ouikid… Comment travaillez-vous ensemble ?
On l’a connu à radio Zinzine. Je m’occupais du visuel dans les premiers projets, mais la musique, puis le label, ont pris de plus en plus de place. Cette rencontre est arrivée à point nommé : on avait envie de changer notre charte graphique. On lui a exposé l’esprit du label et du groupe. Maintenant, on se connait tellement bien qu’on l’intègre assez tôt au processus, dès les premières maquettes. On n’a même presque plus besoin de se consulter : c’est un membre du groupe à part entière.

Une journée type avec Chinese Man, ça se passe comment ?
Elle commence assez tard… (rires) Ça varie, suivant si on s’occupe du label, auquel cas on file un coup de main aux gens du bureau, ou du groupe. Dans ce cas-là, on se retrouve tous les trois au studio, où on écoute beaucoup de vieux vinyles. On choisit quatre ou cinq samples et on commence à composer tous les trois, en improvisant. Mais il n’y a pas de journée type, ça change tous les jours.

Le son dont tu es le plus fier ?
Il y a un morceau que j’apprécie particulièrement : Ayoyo, qui utilise beaucoup de samples de musiques traditionnelles africaines et qui a été compliqué à mener au bout. Il est un peu différent de ce qu’on faisait à l’époque, assez dansant.

Le son que tu ne peux plus écouter ?
Il n’y en a pas, on ne renie rien. Mais forcément, les morceaux les plus anciens engendrent une sorte de décalage. On les a joués et entendus tellement de fois… Peut-être, bizarrement, le morceau plus connu, I’ve Got That Tune. A chaque fois qu’on fait un live, on prend beaucoup de temps pour le retravailler et en faire un morceau différent.

Une collaboration rêvée ?
Toujours la même personne, mais ça va être compliqué vu qu’elle est décédée : Nina Simone. Et dans les artistes actuels, peut-être Prince ou Eddie Vedder (le chanteur de Pearl Jam), mais ça reste un peu compliqué… (rires)

C’est certes le maître, mais le Chinese Man doit bien avoir un défaut…
Son principal défaut, c’est qu’il n’est pas facile à rencontrer : il nous parle et vient nous voir quand bon lui semble. Mais quand on a besoin de lui, il n’est pas forcément là.

Les qualités de ses disciples ?
Je vais dire ça sans fausse modestie, mais on est assez travailleurs en fait.

Propos recueillis par Elise Lavigne

 

Tournée des 10 ans, avec Chinese Man &Deluxe feat. Taïwan MC : le 25/04 au Dock des Suds (12 rue Urbain V, 3e). COMPLET !

Rens. : www.chinesemanrecords.com

 

Portrait chinois : si vous étiez…

Une injure :
Sly : Putain !
Zé Mateo : Saperlipopette
High Ku : OH l’enccccc (avé l’accent)

Un vice :
Sly : La cigarette
Zé Mateo : Cruciforme
High Ku : La paresse

Une arme :
Sly : Un katana
Zé Mateo : Le détachement
High Ku : Le savoir

Un supplice :
Sly : Le supplice de Tantale
Zé Mateo : Le supplice de Sisyphe
High Ku : Le supplice indien

Un gangster :
Sly : Johnny Torrio
Zé Mateo : Bonnie Parker
High Ku : Lucky Luciano

Un film :
Sly : The Snowpiercer
Zé Mateo : Orfeu Negro
High Ku : Mon voisin Totoro

Une chanson :
Sly : Baltimore de Nina Simone
Zé Mateo : I want to know d’Adriano Celentano
High Ku : Ganja smuggling d’Eek A Mouse

Un bruit :
Sly : Le bruit des vagues
Zé Mateo : Woody Woodpecker
High Ku : Une alarme

Une erreur :
Sly: L’erreur 401
Zé Mateo : fhgjukyt
High Ku : Chinese Man

Un objet :
Sly : Un laptop
Zé Mateo : Sexuel
High Ku : Un canapé