Marsatac 2012 : Aucan, 2 Many Dj’s et MF Doom

Marsatac à Nîmes et à Marseille

Bas les masques

 

« Harder, Better, Faster, Stronger » prophétisait Daft Punk à l’heure où Marsatac en était encore à ses balbutiements. Aujourd’hui, le festival essaime around the world, et ses ambitions s’affichent sans masque. Analyse du mastodonte, one more time.

 

En journalisme, on appelle ça un « marronnier » : à chaque nouvelle saison, c’est un sujet qui revient et qu’il s’agit de traiter, aussi invariablement qu’il tombe des gouttes lorsqu’il se met à pleuvoir. Marsatac, donc. Rentrée des classes, conférence de rédaction : qui va s’y coller ? Bibi. Quatorze ans que j’écris dessus, l’équipe s’accorde à dire que je maîtrise bien le sujet. D’abord en l’ayant vaillamment défendu, au début des années 2000, lorsqu’il se présentait sous la forme d’un événement soucieux de ressembler à sa ville, coloré, différent, fier de ses racines, et humble dans ses ambitions. Ensuite en ayant accompagné sa mue, dans la deuxième moitié de cette décade, période essentielle qui le vit résister à bien des tempêtes pour s’imposer comme le festival de musiques actuelles qui manquait tant à Marseille. Enfin, en étant progressivement tombé de haut, ces dernières années, constatant comme d’autres les dérives d’une dynamique mercantile qui se joue habilement des codes de son époque – communication intensive, anticonformisme de façade, éco-responsabilité à entrées multiples – pour asseoir durablement sa stratégie de conquête du territoire local, puis national, et même au-delà. Voilà pour l’historique – pour plus de précisions, consulter nos archives. Aujourd’hui ? Marsatac s’apparente à une machine de guerre, qui peut sortir l’artillerie lourde, rameuter des légions de fidèles, organiser sa propagande, bref, asseoir sa domination sur ses différents publics – festivaliers, partenaires, politiques. Bien sûr, il s’agit là d’une bataille très contemporaine et donc assez insidieuse – pas d’affolement, ce n’est que de l’entertainment. Cette bataille se joue évidemment sur l’image.

Rebelles sans cause
Marsatac se déploie désormais comme une marque et en tant que telle, elle est là pour prendre des parts de marché. Son credo ? Vendre du « culturellement cool ». Ainsi de cette propension galopante à transformer en zone de foire ce qui est à l’origine un espace de concerts, passant selon l’humeur d’une attraction foraine à une opération promo pour un sponsor, essaimant chaque année des concepts tous aussi étourdissants les uns que les autres. Dernier en date : l’édification d’une « base rebelle » à partir de laquelle les jeunes consommateurs/guérilleros pourront « prendre la pose avec une kalachnikov, envoyer une vidéo souvenir à leurs amis, repartir avec leur t-shirt aux couleurs du festival. » Ainsi de la décision d’implanter également l’événement à Nîmes, dans une impressionnante nouvelle salle appelée la Paloma. Message subliminal aux élites locales : si vous ne voulez pas de nous ici, nous avons les moyens de trouver ailleurs des investissements. Ainsi d’étendre son empire sous l’étiquette « Marsatac Calling » en organisant d’autres festivals aux quatre coins du globe (le dernier en date s’est déroulé à Budapest fin 2011, la Colombie est en ligne de mire à l’horizon 2015)… Comprenons-nous bien : ce ne sont pas les velléités d’expansion, inhérentes à toute entreprise, que nous pointons du doigt, mais bien ce qu’elles révèlent quant aux motivations qui les sous-tendent. Ce sentiment diffus que Marseille peut être un excellent marchepied pour un événement sachant jouer de son irrévérence et de sa mixité légendaires, usant de la culture comme d’un bien très monnayable, et finalement sujet à être délocalisé dès que l’occasion et les larrons se présenteront. Quelque chose de très symptomatique de notre époque, en fin de compte, astucieusement dissimulé sous une bonne couche de vernis branché (réseaux sociaux, bilan carbone, appli smartphone, théma insurrectionnelle avec logo pompé chez Massive Attack, etc., etc.). Bien, on ne va pas s’éterniser, il serait judicieux de parler quand même un peu des groupes, car oui, Marsatac, c’est aussi de la musique.

Passage de relais
La programmation de ce cru 2012 est pléthorique. Normal : deux sites sont réquisitionnés. Parce que nous émettons de sérieux doutes sur la capacité du public marseillais à se mobiliser à Nîmes, l’espace d’un week-end supplémentaire (et avec ce que cela engendre en termes de frais), nous passerons le relais à nos confrères du Gard pour détailler par le menu ce qui attend les auditeurs prioritairement ciblés à la Paloma. Ce que vous devez en savoir : le plateau proposé à Nîmes est assez complémentaire de celui qui lui succèdera à Marseille, mais davantage axé sur la découverte et dispensé uniquement sur deux scènes (édition « pilote » et configuration obligent). Il respecte la couleur musicale de Marsatac : musiques électroniques, indie pop et hip-hop (grosso modo la ligne éditoriale défendue par le magazine Tsugi). Pour ce qui est du plateau proposé à nouveau au Dock des Suds (une belle histoire de famille relie les entités en présence), il se décline sur trois soirs. Nouveauté : la soirée à dominante hip-hop, traditionnellement dévolue au vendredi, prend ses quartiers dès le jeudi avec un programme costaud (Doom, De La Soul, El-P…). Une même vibration urbaine imprègne le vendredi, avec les gros coups français du moment (1995, C2C, Orelsan…), pas mal de découvertes à la croisée du hip-hop et du dubstep (Aucan, Spoek Mathambo, Murkage…) et enfin une présentation du projet maison « Mix Up Maroc » (Nasser avec des musiciens marocains). Mais c’est bien sûr et toujours le samedi qui fait figure d’apothéose. D’abord parce qu’il aligne des têtes d’affiche « club » indétrônables (2 Many Dj’s, James Murphy, James Holden), ensuite parce qu’il se focalise sur tous les trucs un peu tendance du moment (Breakbot, Club Cheval, Juveniles…). Bref, chacun trouvera encore une bonne raison de se rendre à Marsatac, oubliant l’espace d’un soir les restrictions imposées par une crise qui, soyez-en sûrs, n’est jamais tout à fait la même pour tout le monde.

 PLX

 

Marsatac, du 20 au 22/09 à Nîmes (La Paloma) et du 27 au 29 à Marseille (Dock des Suds).

Rens. www.marsatac.com